Coups de cœur d’une rentrée littéraire

librairieCette année, dès la mi-août, on aura trouvé les romans qui n’arrivaient sur les tables des libraires qu’au début septembre. On aura même pu lire des articles sur ces livres dans les grands quotidiens.
Des critiques ont désigné les romans à lire, et ceux à éviter : les rumeurs sur de possibles Goncourt vont déjà bon train.
Commençons par rappeler ce que tout le monde sait : une rentrée littéraire est d’abord un enjeu économique.
La littérature contemporaine, sauf pour quelques têtes de gondole, ne dispose pas d’un immense public. Créer un événement comme celui-ci, le pérenniser, permet de mettre sous les projecteurs des œuvres de création (souvent) et quelques produits (hélas). Plus de 600 romans paraissent en moins de deux mois. Beaucoup disparaîtront des tables, certains n’auront droit à aucun article, pas même à une brève dans un quotidien gratuit.
Ces textes éphémères sont des paris, à la fois littéraires et économiques. Il suffit d’une surprise, d’un roman qui rencontre son public, pour qu’une rentrée d’éditeur soit réussie. À tous égards. Ce n’est toutefois pas le lot commun. C’est d’ailleurs pourquoi le nombre des premiers romans publiés en août septembre diminue, et que les « noms » sont édités, parfois en grand nombre.

Les classiques de demain

Plutôt que de présenter toute la rentrée sous forme de liste, chose que l’on trouvera dans la plupart des journaux, nous préférons énumérer quelques coups de cœur, présenter quelques découvertes, et expliquer ce qui préside à ces choix. Pendant plusieurs semaines, vous lirez sur ce site des recensions de romans – et le choix est rarement le fruit du hasard.
Il y a d’abord les romanciers d’aujourd’hui qui seront des classiques demain. Ils sont déjà objets de travaux à l’Université, leurs auteurs sont mis en débat. Mais ils ont surtout fait le pari du roman comme genre ouvert, capable de tout embrasser ou embraser.
Ils s’inscrivent dans une tradition, que ce soit par leurs références ou par la façon dont ils abordent – par exemple – la question de l’autobiographie, du je dans la fiction, ou de l’Histoire.
Patrick Deville, Emmanuel Carrère, Lydie Salvayre ou Olivier Rolin, dont nous avons aimé les romans à des titres divers ont en commun d’avoir une œuvre derrière eux (et sans doute devant) et de creuser une question : celle de l’Histoire mondiale dans le cas de Deville, celle d’un « je » face à certaines figures héroïques ou diaboliques (parfois les deux) pour Carrère, celle des humains face à l’Histoire pour Lydie Salvayre ou Olivier Rolin.
Dans ces cas, mais ce n’est pas leur seul cas, la langue est une matière qui ne sert pas qu’à « communiquer » : elle est le moteur de l’écriture, ce qui la conduit, la fait advenir.

L’exemple de Laurent Mauvignier

On pourrait placer Laurent Mauvignier dans la catégorie qui précède. Il appartient à la génération qui suit, même si ce critère d’âge n’est pas forcément parlant. Son œuvre ne cesse de prendre le large : ses premiers romans, ressemblaient à des huis-clos, tournant autour de l’individu et de sa famille.
Dans la foule a marqué une première inflexion, racontant de façon polyphonique, le drame du Heysel (la mort de supporteurs italiens lors de la finale Juventus Liverpool). Des hommes, consacré à la guerre d’Algérie s’ancrait dans l’Histoire. Autour du monde dit tout dans son titre : le tremblement de terre et le tsunami qui ont dévasté le Japon sont les points de départ d’une secousse qui traverse la planète et atteint, par les images, des anonymes en divers lieux, révélant les lignes de faille qui nous affectent.

Lignes de faille

Ces lignes de faille, ces perturbations, on les trouve dans d’autres romans. Des textes décrivent des êtres désorientés, qui cherchent des chemins ou souffrent de ne pas les trouver, dans ce pays en crise d’identité, en crise par rapport à sa langue.
Le deuxième roman d’Elisabeth Filhol, Bois II, en fait partie, mais aussi Faux nègres de Thierry Beinstingel ou Mécanismes de survie en milieu hostile d’Olivia Rosenthal, l’un des romans les plus étonnants de cette rentrée, parce qu’il est à la croisée du conte de fées et du documentaire, qu’il place le lecteur en position d’explorateur ou de survivant, obligé de faire le chemin avec la narratrice, dans ce qui ressemble à un labyrinthe.
Dans un registre plus prévisible, Peine perdue d’Olivier Adam décrit dans un microcosme du sud est de la France, ce que la France, voire l’Europe en crise vit dans le macrocosme.
Les failles sont nombreuses ; de fréquents séismes se produisent : on appelle cela les émotions. On les retrouvera, autrement dits, dans Jacob, Jacob, de Valérie Zenatti, qui parle de perdants, ayant longtemps rêvé, espéré. Avec en arrière-plan, la Libération de la France par de jeunes soldats nés à Constantine, et la guerre d’Algérie, jamais si éloignée.
 

Coups de cœur, confirmations et révélations

Une rentrée littéraire, ce sont aussi des coups de cœur, des confirmations ou des révélations. Parfois des chocs. Chant furieux en est un. Ce premier roman est d’abord un hymne à la langue française, dans toute sa splendeur et sa gloire, telle qu’elle sait mêler le verlan et Saint-Simon, pour chanter la gloire d’un héros d’aujourd’hui.
Dans un registre différent, le très singulier Blanès d’Hedwige Jeanmart surprend, désoriente, presque autant que le texte d’Olivia Rosenthal. C’est un livre qui inquiète, selon le mot de Gide. Moins inquiétant mais tout aussi intrigant, Le Triangle d’hiver, de Julia Deck conduit une femme assez limite, cousine de la Viviane Elisabeth Fauville qui a signé l’entrée de la jeune romancière en littérature, fait sourire, voire rire, sans pourtant éloigner le lecteur d’une réalité aux contours à la fois banals et étranges. À peine en a-t-on fini la lecture, qu’on recommence, pour trouver le « twist », le petit détail qui nous manque.
Œuvres vives de Linda Lê évoque un écrivain imaginaire, qui n’est pas sans ressemblance avec les écrivains qui hantent la romancière, et dont elle parle par ailleurs dans un bel essai : c’est un ardent, un homme brûlé, dans une ville, Le Havre qui a servi de cadre aux romans de Maylis de Kerangal et de Julia Deck. Linda Lê se tient à part, en marge.
Les livres nous parlent de ce monde, de nous, et ils tiennent en marge de la rumeur, des « connexions », d’un bruit qui empêche de penser. Quelques bonnes raisons, donc, de plonger les yeux dans les lignes !

Norbert Czarny

.

• Le roman contemporain sur le site de “l’École des lettres”. Parmi les dernières lectures  :

Elsa Boyer, Yves Pagès,Jean Hatzfeld,Yves Ravey, Erri de Luca, Pierre Lemaitre, Édouard Louis, Michel Tournier, Maryline Desbiolles, Éric Chevillard, Maylis de Kerangal, Dominique Viart, Malika Ferdjoukh, Jean Rolin, Laura Alcoba, Charif Madjalani, Brigitte Giraud, Gaëlle Obiégly,Bertrand de la Peine, Sylvie Germain, François Beaune, Arnaud Cathrine, Florence Seyvos, Gisèle Bienne, Valérie Zenatti, Tiphaine Samoyault, Camille Laurens, Yves Charnet, Christian Oster

Norbert Czarny
Norbert Czarny

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *