Quel est l'impact de l'école dans l'éducation à la citoyenneté ?

Platon et Aristote, par Raphaël, détail de "L'École d'Athènes", fresque réalisée entre 1508 et 1512, musée du Vatican
Platon et Aristote, par Raphaël, détail de “L’École d’Athènes”, fresque réalisée entre 1508 et 1512, musée du Vatican

L’École des lettres nous propose de partager nos réflexions sur les attentats récents et sur la manière d’en parler en classe. De tels échanges ne peuvent qu’être utiles pour aborder ces événements avec les élèves avec la bonne distance.
Mais tout cela est effroyable et mes mots sont insuffisants pour exprimer des idées à la hauteur des faits.
Je souhaite donc plutôt faire part de mon inquiétude quant à ce qui se passe dans plusieurs établissements scolaires de la banlieue parisienne (dans les cités, mais pas exclusivement), et plus globalement dans l’esprit de nombreux jeunes qui y sont scolarisés.

Rumeurs et contradictions…

Jeudi, juste après la minute de silence, une élève (non musulmane) que j’avais en cours a dit : « Mais madame, c’est normal, il y a des choses qu’on ne doit pas dire » et une autre (non musulmane) : « De toute façon, c’est un complot de juifs qui veulent faire accuser des musulmans. »
Ce même jeudi, un de mes amis, principal en Seine-Saint-Denis, a décidé de ne pas faire observer cette minute de silence pour éviter les réactions contre-productives des élèves, les propos intolérables de certains et les débordements.
Lors de la marche de dimanche, du moins dans l’itinéraire que j’ai suivi – où se trouvait une foule très compacte  – et d’après les images diffusées aux informations le soir, j’ai remarqué que les jeunes collégiens et lycéens de banlieue étaient sous-représentés, voire quasiment absents.
Suite à ces constats inquiétants, je me pose donc la question du réel impact de l’école dans l’éducation à la « citoyenneté » et dans l’apprentissage du « vivre ensemble » – notions primordiales pourtant rabâchées à l’envi dans les textes officiels de l’Éducation nationale –, de l’efficacité des cours d’histoire, de littérature, de philosophie et de sciences à transmettre les valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité durement gagnées au cours du temps.

L’école est-elle capable de faire face aux « bulldozers » des réseaux sociaux ?

Ou plutôt, je me demande si l’école est aujourd’hui capable, en l’état, de faire face aux « bulldozers » des réseaux sociaux auxquels les jeunes accordent bien davantage de crédit.
En tant qu’enseignante, je continuerai à sensibiliser les élèves à la liberté, à l’égalité, à la tolérance et à tous les fondamentaux nécessaires au respect du contrat social. En cours de grec, je continuerai à les faire réagir et réfléchir en lisant Aristote (Politique) et Xénophon (Économique), qui décrivent une société grecque antique discriminatoire où femmes, enfants, étrangers et esclaves ne sont pas considérés comme des citoyens.
En cours de latin, je continuerai à faire réagir et réfléchir les élèves en lisant Varron, qui présente une société latine qui considère les esclaves comme du matériel au même titre que les bœufs et les chariots (Traité de l’agriculture), ou en parlant de Néron qui massacre des chrétiens sous couvert de faire de l’art en mettant en scène la mort de Dircé dans les arènes.
En cours de français, je continuerai à faire réagir et réfléchir les élèves en lisant Voltaire et en proclamant avec lui « écrasons l’Infâme ».

Comment rendre les valeurs démocratiques inconditionnelles aux yeux des élèves ?

Mes collègues et moi continuerons à faire cela parce que nous sommes convaincus que la culture est la solution. Mais c’est visiblement insuffisant et l’école souffre aujourd’hui de lacunes en se montrant finalement peut-être incapable d’éduquer.
Quelles solutions permettraient de concurrencer avec succès tout ce qui semble pernicieusement interpeller et séduire aujourd’hui les élèves ?
Comment rendre les valeurs démocratiques de nouveau inconditionnelles à leurs yeux ?
C’est à mon sens ce qu’il nous faut impérativement trouver.

É. N.

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Sur le site de l’École des lettres
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• La morale républicaine à l’école : des principes à la réalité, par Antony Soron.
• Lire en hommage ? – Lire les images, par Frédéric Palierne.
• Cogito « Charlie » ergo sum, par Antony Soron.
Le temps des paradoxes, par Pascal Caglar.
Le bruit du silence, par Yves Stalloni.
• Trois remarques sur ce que peut faire le professeur de français, par Jean-Michel Zakhartchouk.
• Paris, dimanche 11 janvier 2015, 15h 25, boulevard Voltaire, par Geoffroy Morel.
• « Fanatisme ” , article du ” Dictionnaire philosophique portatif » de Voltaire, 1764.
• Pouvoir politique et liberté d’expression : Spinoza à la rescousse, par Florian Villain.
Racisme et terrorisme. Points de repère et données historiques, par Tramor Quemeneur.
 La représentation figurée du prophète Muhammad, par Vanessa Van Renterghem .
En parler, par Yves Stalloni.
« Je suis Charlie » : mobilisation collégienne et citoyenne, par Antony Soron.
• Liberté d’expression, j’écris ton nom. Témoignages de professeurs stagiaires.
• Quel est l’impact de l’École dans l’éducation à la citoyenneté ? Témoignage.
L’éducation aux médias et à l’information plus que jamais nécessaire, par Daniel Salles.
Où est Charlie ? Au collège et au lycée, comment interroger l’actualité avec distance et raisonnement, par Alexandre Lafon.
• « Nous, notre Histoire », d’Yvan Pommaux & Christophe Ylla-Somers, par Anne-Marie-Petitjean.
• Discours de Najat Vallaud-Belkacem, 22 janvier 2015 : “Mobilisation de l’École pour les valeurs de la République”.
Lettre de Najat Vallaud-Belkacem à la suite de l’attentat contre l’hebdomadaire « Charlie Hebdo ».
Liberté de conscience, liberté d’expression : des outils pédagogiques pour réfléchir avec les élèves sur Éduscol.
Communiqué de la Fédération nationale de la presse spécialisée.
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l'École des lettres
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Un commentaire

  1. Bonjour,
    Le sujet est vaste mais pourrait commencer par quelques (re)définitions.
    La “citoyenneté” est un terme à la fois polysémique et polymorphe. Selon l’espace et le temps auxquels il s’applique, il prend des sens différents et cela peut être, une des raisons pour lesquelles les enseignants et les élèves ne parlent pas le même “langage”.
    La citoyenneté moderne implique des valeurs à la fois différentes et élargies, dans un monde qui est à la fois réel et virtuel. Ces deux formes de citoyenneté cohabitent tout en étant d’essences totalement différentes.
    La seconde (re)définition tient au rôle même de l’école: instruire et/ou éduquer?
    Si le débat est ancien, il n’a toujours pas trouvé de réponse claire, ni du coté enseignant, ni de celui des citoyens.
    Sans redéfinir ces bases, il semble difficile de trouver des éléments de réponses cohérents.
    Pour info, concernant cette nouvelle forme de citoyenneté, il existe une étude sur le “MetaCitoyen”, nouvelle entité humaine évoluant à la fois dans le monde réel et un cyber espace, ainsi que le font tous nos enfants.
    https://www.adjectif.net/spip/spip.php?article327

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