Le rôle de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme. Entretien avec Hervé Fernandez

Agence nationale de lutte contre l'illettrismeL’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) a été créée en 2000, à la suite de la publication du rapport de Marie-Thérèse Geffroy évaluant les actions menées par le Groupe pour la lutte contre l’illettrisme (GPLI), fondé en 1984. L’ANLCI reprendra le flambeau avec, à sa tête, Marie-Thérèse Geffroy.
Maintenant un lien fort avec les partenaires et les acteurs impliqués, l’Agence fédère toutes les initiatives qui concourent à la réduction de l’illettrisme et insiste sur la prévention. À l’époque de ce changement, entre 1998 et 2000, le ministère de la Défense estimait à 1, 8 million le nombre d’illettrés en France, alors que l’INSEE en comptait déjà 2, 3 millions.
En 2004, l’INSEE en dénombrait 3 millions, contre 2, 5 millions en 2011. Hervé Fernandez a bien voulu préciser à L’École des lettres le rôle de l’Agence dont il est le directeur.

 

La définition de l’illettrisme

L’ANLCI définit l’illettrisme comme un phénomène concernant les personnes qui, malgré une scolarisation dans notre pays, ne parviennent pas à se faire comprendre en écrivant ou en lisant des messages simples liés à la vie quotidienne.

Hervé Fernandez, directeur de l’ANLCI © CR, 2015
Hervé Fernandez, directeur de l’ANLCI © CR, 2015

Elle a fait entrer dans son évaluation le calcul, le repérage dans l’espace (la capacité de lire un plan, par exemple) et l’utilisation du numérique.
L’illettrisme, souligne Hervé Fernandez, ne peut être confondu, comme il l’est si souvent, avec le seul problème linguistique puisque les personnes en situation d’illettrisme parlent français.
Quant au mot « analphabétisme », il s’applique à des individus n’ayant jamais fréquenté l’école. Les formations qui leur sont proposées sont alors très différentes.
L’illettrisme n’est donc pas une question de nationalité mais de scolarisation.
 
 

Les missions de l’ANLCI

L’ANLCI est consciente qu’aucune institution ne peut, à elle seule, résoudre le vaste problème de l’illettrisme. Axant son travail sur la prévention, elle propose de concevoir et de relayer des ressources diverses afin de sensibiliser les pouvoirs publics et les acteurs de la société civile ne disposant pas des connaissances ou des outils nécessaires à la détection et à l’accompagnement des personnes en situation d’illettrisme.
L’Agence se veut au carrefour des partenaires et acteurs impliqués dans la lutte contre l’illettrisme, et les aide à prendre la place qui leur revient dans cette action nécessairement collective.
Tout en organisant des politiques publiques sur les territoires, elle veille également à ce que chaque région puisse avoir un diagnostic précis de la situation et déployer des stratégies offensives. Elle conçoit pour cela des guides pédagogiques, des référentiels, et relaie sur son site des informations sur les bonnes pratiques. Avec l’aide du Fonds social européen, l’Agence fait connaître des solutions qui ont fait leurs preuves pour soutenir ceux qui souhaitent agir sans savoir comment s’y prendre.
 

Lutte contre l’illettrisme, lutte contre les stéréotypes

D’autre part, l’un des objectifs de l’ANLCI étant de mesurer l’ampleur du phénomène et de donner aux décideurs une idée précise du nombre de personnes confrontées à l’illettrisme, elle poursuit un travail de fond avec l’INSEE autour des enquêtes « Information et vie quotidienne ». Deux de ces enquêtes, menées en 2004 puis en 2011-2012 avec les mêmes instruments de mesure, auprès de personnes âgées de 18 à 65 ans, montrent que 7 % des Français se trouvent aujourd’hui en situation d’illettrisme, contre 9 % en 2004.
Les résultats d’autres marqueurs, comme les Journées défense et citoyenneté, sont utilisés. Les JDC, qui mesurent la performance des jeunes de 17-18 ans, font apparaître que 4 % d’entre eux sont en situation d’illettrisme, et qu’ils sont 9,6 % à ne pas accéder à la compréhension des textes.
L’ANLCI parvient ainsi à dresser un tableau précis de la situation et à évaluer avec finesse les besoins réels de la population. Certains des chiffres révélés par ces enquêtes, souligne Hervé Fernandez, bousculent plusieurs clichés, notamment celui qui s’attache à lier immigration et illettrisme. En effet, 70 % des personnes en situation d’illettrisme parlaient déjà le français à la maison lorsqu’elles avaient 5 ans. Les données socio-économiques ne sont cependant pas encore assez poussées pour analyser finement le rapport entre pauvreté et illettrisme. Hervé Fernandez précise, par ailleurs, que plus de la moitié des personnes en situation d’illettrisme habitent en zone rurale.
Autre point marquant : près de la moitié des personnes concernées ont un emploi, ce qui a permis à l’ANLCI et à ses partenaires d’élaborer au sein de certaines entreprises des plans de formation spécialisés. Toutes ces nouvelles données, qui bouleversent les stéréotypes, permettent de répondre aux besoins avec des armes adaptées.

Le goût de la lecture au cœur du combat

Le goût de la lecture, que doit éveiller l’école, est au cœur du combat. Or, tous les enfants n’ont pas les mêmes chances à l’entrée à l’école, constate Hervé Fernandez. Un énorme travail devrait être conduit avant même la maternelle au sein des PMI (Centres de protection maternelle et infantile), par exemple, mais aussi avec les familles, puis avec les corps enseignant ou accompagnant. L’école s’imprègne peu à peu de cette dimension préventive.
L’ANLCI a en effet joué un rôle important dès 2000 lors des plans successifs de prévention et de sensibilisation : le dispositif « Plus de maîtres que de classes », les orientations données afin de renforcer le lien avec les familles, les aménagements des rythmes scolaires, etc. Un autre chantier vise à développer les « actions éducatives familiales ».
L’agence souhaite ainsi proposer aux parents qui ne possèdent pas les savoirs de base des formations pour réapprendre à lire et à écrire. Car, quand ils sont mieux armés et maîtrisent les compétences fondamentales, ils peuvent mieux accompagner leurs enfants.
L’ANLCI tisse ainsi des liens entre partenaires pédagogiques, institutionnels, enfants, parents et enseignants, pour faire retrouver ou découvrir la nécessité et le goût de la lecture.
 

Qui fait quoi ?

Les financeurs
Pour les adultes, le Conseil régional, l’État, Pôle emploi, les entreprises, les fonds mutualisés pour la formation (organismes paritaires qui accompagnent les entreprises dans la lutte contre l’illettrisme), les fondations privées…
Les décideurs
Les préfets, les recteurs, les ministères et les élus, les collectivités territoriales et les partenaires sociaux qui définissent les moyens et prennent en compte, ou non, le problème de l’illettrisme. Le Groupe d’études « illettrisme » à l’Assemblée nationale, présidé par Colette Langlade, députée de la Dordogne, a voté, par exemple, les lois de refondation sur l’école et insiste sur la prévention.

Propos recueillis par Sai Beaucamp Henriques

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• Les Journées nationales d’action contre l’illettrisme, du 8 au 13 septembre 2015.
En 2015-2016, « L’École des lettres » rendra compte régulièrement des actions menées par l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) et par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF).
Vos réflexions, propositions et témoignages sur les questions de maîtrise de la langue, à tous les niveaux d’enseignement, sont les bienvenus : courrier@ecoledeslettres.fr, tél. : 01 42 22 94 10.
• La problématique de l’illettrisme dans l’École des lettres.
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Sai Beaucamp Henriques
Sai Beaucamp Henriques

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