Émile Zola, « Ah ! Vivre indigné, vivre enragé… » Quarante ans de polémiques, anthologie présentée par Jacques Vassevière

zola-jacques-vasseviereNous connaissions un Émile Zola engagé, à propos de l’affaire Dreyfus surtout, qui fut son plus héroïque combat. Nous ignorions peut-être que cette vocation à mettre sa plume au service de causes généreuses et à s’emporter face à des situations choquantes remonte à loin et constitue l’une des caractéristiques de sa conception du métier d’écrivain.
Il suffit, pour s’en convaincre, de citer les phrases enflammées que reproduit Jacques Vassevière, à qui nous devons cet excellent choix de textes, au début de son introduction :
« Ah ! Vivre indigné, vivre enragé contre les talents mensongers, contre les réputations volées, contre la médiocrité universelle ! Ne pouvoir lire un journal sans pâlir de colère ! […] Voilà quelle a été ma passion, j’en suis tout ensanglanté, mais je l’aime, et, si je vaux quelque  chose, c’est par elle, par elle seule »

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Le parti de l’indignation

Ces lignes datent de 1882. Zola a dépassé la quarantaine. Les Rougon-Macquart ont commencé à paraître, mais ni Germinal, ni La Terre, ni La Bête humaine n’ont vu le jour. Quant aux articles en faveur de la réhabilitation de Dreyfus donnés au Figaro ou à L’Aurore, ils ne seront publiés qu’à partir de 1897. Quinze années de luttes donc, et bien davantage si l’on se réfère à des révoltes antérieures, précoces, sonores, agressives, comme celles recueillies dans Mes haines, en 1866, où le futur grand romancier s’en prend aux « gens nuls et impuissants », aux « sots », aux « cuistres », à ces « brutes qui se dandinent sur leur deux pieds » et « qui veulent faire de la vérité d’hier la vérité d’aujourd’hui ».
Le ton est donné et, plus tard, le journaliste-écrivain voudra créer le « parti de l’indignation » (1880) parce qu’il se sent « las de subir tant de médiocrité bruyante, au nom du salut de la nation ». Ses engagements sont politiques, d’abord : contre l’Empire, contre l’Assemblée monarchiste, contre certains politiciens, pour la République. Ils sont aussi esthétiques, le chef du courant naturaliste s’élevant contre les barbouilleurs auxquels il oppose le talent novateur d’un Manet ; raillant les poètes parnassiens, « joueurs de flûte » stériles, pestant contre les égarements d’une certaine critique (Francisque Sarcey), les mièvreries d’une littérature prétendue populaire, attachée à l’argent et au moralisme, l’arrogance de l’université (l’École normale).
Sur tous ces sujets, la voix tonne, l’argumentation secoue, la phrase cingle et l’on entend « le cri d’un honnête homme et d’un artiste révolté » (1865), prêt à assumer ses éventuels excès : « Je suis injuste, j’en conviens ; mais je veux être injuste. C’est ma passion » (1880).
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Une leçon de liberté et de courage

Nous devons être reconnaissants à Jacques Vassevière pour cette pertinente sélection qui parvient à restituer l’image fidèle d’un combattant solitaire, « libre de toute influence », demeurant en toutes circonstances « seul et debout ». Dans ce même article paru dans Le Figaro en 1896 et intitulé précisément « Le Solitaire », Zola regrettait que fasse défaut à son époque un de ces hommes « sain, fort, audacieux », apte à dénoncer les injustices et à proclamer « les forces éternelles de la vie ». C’était s’oublier lui-même.
Et un regret du même ordre pourrait s’appliquer à notre début de XXIe siècle, alors que l’on déplore le silence des intellectuels, la dictature des médias, la tyrannie de la bien-pensance. Il a fallu naguère, pour secouer notre engourdissement, qu’un frêle vieillard, au crépuscule de sa vie, reprenne, peut-être sans le savoir, l’injonction de l’auteur de L’Assommoir en faveur de l’indignation.
Sa voix nous manque, celle de Zola encore plus, qui nous livre, à travers ce florilège, une leçon de liberté et de courage.

Yves Stalloni

 
• Émile Zola, « Ah ! Vivre indigné, vivre enragé… » Quarante ans de polémiques. Anthologie présentée par Jacques Vassevière, Le Livre de poche, 2013.
• Émile Zola, « Mes Haines », présentation et notes de François-Marie Mourad, par Yves Stalloni, sur ce site.
• Zola dans les Archives de « l’École des lettres » : plus de quatre-vingts articles téléchargeables en inscrivant le nom Zola dans la rubrique Recherche.
 Sommaire des numéros de « l’École des lettres » consacrés à Zola.
 

Yves Stalloni
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