Swann a cent ans, Camus vient de naître

Swann a cent ans…

Marcel ProustIl est des personnages littéraires qui parviennent à acquérir une telle notoriété qu’on peut les considérer comme réels : ainsi pour Hamlet, Harpagon, Goriot, Bardamu et… Swann, l’un des personnages du monumental ouvrage de Proust, À  la recherche du temps perdu.

Si ces héros littéraires ne vieillissent pas, les œuvres où ils apparaissent sont soumises, elles, à l’écoulement du temps et permettent des commé-morations. D’où ce titre, « Swann a cent ans », car le livre où le personnage de Swann apparaît pour la première fois fête son centenaire. Du côté de chez Swann, en effet, premier volume de Recherche de Marcel Proust est paru en 1913.
Et le 13 novembre 1913, naît, dans un petit village d’Algérie, celui qui deviendra l’un des écrivains les plus importants du XXe siècle, Albert Camus.

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1913, un bon millésime pour la littérature et l’art

Cette année 1913, veille d’une catastrophe mondiale, est un  bon millésime en matière littéraire et artistique  : c’est la publication d’Alcools par Apollinaire, du Grand Meaulnes par Alain-Fournier, de La Colline inspirée par Maurice Barrès, de Les Copains de Jules Romains, Les Poésies de A. O. Barnabooth de Valery Larbaud.

Affiche manifeste de Jacques Copeau annonçant l'ouverture du théâtre du Vieux-Colombier
Affiche-manifeste de Jacques Copeau
annonçant l’ouverture du théâtre
du Vieux-Colombier

Cette année encore, Copeau fonde le Vieux-Colombier, Kandinsky publie Du spirituel dans l’art et Stravinsky fait jouer le Sacre du printemps.
Où en est Proust à ce moment-là ? Il n’est plus un jeune homme, puisqu’il est âgé de quarante-deux ans, et s’il a beaucoup écrit, il n’a pas publié grand chose et n’est célèbre que dans les cercles restreints de la mondanité.
Il a surtout fait paraître un ouvrage bizarre, hétéroclite, composé de monographies de peintres et de musiciens, illustré par Madeleine Lemaire et préfacé par Anatole France, Les Plaisirs et les Jours.
On lui doit aussi divers articles pour les journaux et des traductions de l’historien de l’art anglais Ruskin.

Le début de la “Recherche”

En novembre 1909, Proust a  annoncé à son ami Reynaldo Hahn qu’il a écrit deux cents pages d’une œuvre nouvelle : c’est le premier chapitre de ce qui sera le Contre Sainte-Beuve, publication posthume. Six mois plus tard, le même manuscrit atteint cinq cents pages et constitue le vrai début de la Recherche.

Dernière page du manuscrit de la "Recherche"
Dernière page du manuscrit de la “Recherche”

Proust le propose au directeur du Figaro, Calmette, qui trouve ce texte impubliable sous la forme de feuilleton dans son journal. Il y consentira un peu plus tard, présentant ces écrits comme de « petits poèmes en prose ».
En 1912, le manuscrit de la Recherche semble achevé : 1 400 pages qui sont apportées à divers éditeurs : Fasquelle, qui le refuse ; la NRF (dirigée par le triumvirat Gide, Copeau, Schlumberger) oppose également un refus. Refus aussi de la part d’Ollendorff. Plus tard Gide, dans une lettre à l’auteur, reconnaîtra son erreur : « Le refus de ce livre restera le plus grave erreur de la NRF – et (car j’ai cette honte d’en être pour beaucoup responsable) l’un des regrets, des remords les plus cuisants de ma vie. »

À la recherche d’un éditeur

Proust rencontre enfin l’éditeur Bernard Grasset avec lequel il négocie un « compte d’auteur ». Du côté de chez Swann paraîtra finalement le 13 novembre 1913.
proust-swann-grassetLa presse accueille l’ouvrage avec intérêt, parfois avec enthousiasme, comme le fait Cocteau ou encore Henri Ghéon dans un article de la Nouvelle revue française. À partir de ce moment, la course contre le temps va commencer. En 1914 est annoncé, toujours chez Grasset, le second tome qui devrait s’appeler Le Côté de Guermantes. Mais c’est la guerre, et le projet avorte.
Entre-temps, la NRF, qui ne forme pas encore les éditions Gallimard, mais que dirige Gaston Gallimard, souhaite rattraper l’erreur de Gide : elle rachète les droits et réédite Swann, en s’engageant à publier la suite.
Cette suite viendra, en raison de l’interruption de la guerre, en 1918 avec le vrai tome 2 : À l’ombre des jeunes filles en fleur. Cette fois, c’est le succès, le livre étant couronné par le prix Goncourt l’année suivante. Même si la critique est très partagée et aurait préféré récompenser Les Croix de Bois de Dorgelès.
La suite de la publication continue à la NRF. Avec, successivement, Le Côté de Guermantes (deux tomes), Sodome et Gomorrhe (deux tomes).

Swann a cent ans

En 1921, Proust demande à Jean-Louis Vaudoyer de l’accompagner à une exposition de peintures hollandaises qu’il veut voir absolument. Notamment le tableau de Vermeer, Vu de Delft, pour le « petit pan de mur jaune » qui sera cité dans son livre.  Il est pris d’un malaise sérieux. Il rentre chez lui et ne se relèvera plus.
Le samedi 18 novembre 1922, il meurt des suites d’une pneumonie mal soignée. Il a pratiquement fini son œuvre, sans avoir pu relire les manuscrits des derniers volumes qui seront posthumes : la Prisonnière, Albertine disparue, jusqu’au Temps retrouvé qui sortira en 1927.
Mais ceci est une autre histoire qui appelle d’autres célébrations. Pour l’instant, rendons hommage à Swann qui, malgré ses cent ans bénéficie d’une virtuelle mais éternelle jeunesse.
 

…Camus vient de naître

1913, naissance d’un futur prix Nobel de littérature

Le hasard du calendrier fait qu’au moment même où Proust réussit à faire paraître Du coté de chez Swann, le premier volume de son monumental ouvrage donné au public le 13 novembre 1913, naît, dans un petit village d’Algérie, alors territoire français, d’un père ouvrier caviste et d’une mère d’origine espagnole, celui qui deviendra un des écrivains les plus importants du XXe siècle et obtiendra, en 1957, le prix Nobel de littérature.
Il s’agit bien sûr d’Albert Camus, qui vit le jour à Mondovi le 7 novembre 1913, il y a tout juste cent ans.

Une œuvre qui s’accorde à nos temps troublés

S’il paraît nécessaire, à l’occasion de cet anniversaire, de revenir à Camus, c’est que son œuvre et sa pensée s’accordent à nos temps troublés. Alors que l’étoile de Sartre ne cesse de pâlir, Camus, dont la vie fut bien plus courte, puisqu’il disparut tragiquement à 47 ans, après une éclipse passagère, gagne en rayonnement.
albert-camusSon œuvre, encadrée par deux livres aux titres emblématiques, La Mort heureuse et Le Premier Homme, est intemporelle et touche aux préoccupations universelles. Le Premier Homme, notamment, dont une adaptation cinéma-tographique est sortie récemment, aurait pu être son chef-d’œuvre s’il avait eu le temps de l’achever, bien qu’il contienne, en l’état, des pages absolument bouleversantes.
Ce qu’on retient aussi de Camus, en contraste avec les esprits dogmatiques qu’enfante notre époque, c’est qu’il est un être partagé, ambivalent, prisonnier d’une conscience déchirée. Une face pour l’exil, une pour le royaume. L’envers et l’endroit, le oui et le non. Sa pensée avance de façon dialectique, hésitant entre le sacré et le raisonnable, la sensibilité et l’intelligence, la passion et le désespoir, l’innocence et la culpabilité, l’engagement et le recul distancié, le reniement de Dieu et la fascination pour le Christ.
À un niveau plus léger, il y a l’opposition entre l’écriture et le football, entre la philosophie et le théâtre, entre les séductions du monde et la tentation du silence – thème essentiel pour lui.
 

Une urgence : relire Camus

Une autre raison de le sentir proche, pour ceux qui vivent sur les bords de la Méditerranée et même pour les autres, est cet attachement viscéral aux valeurs du sud, grecques, latines, maghrébines. Ces terres de soleil et de lumière devaient répondre à sa quête, quête de sens, quête de cohérence, quête de bonheur, quête d’éternité, lui dont l’œuvre entière est emplie de la hantise de la mort perçue comme « le seul scandale » et le vrai mal.
L’occasion est donc bonne pour inviter à relire Camus, à retrouver sa belle écriture, ses récits brefs, épurés, son appel aux symboles et aux mythes qui lui permettent de partir du réel pour le transfigurer. Relire L’Étranger ou La Peste, ces ouvrages souvent commentés mais pas toujours bien compris, et surtout l’ironique confession que constitue le monologue de Jean-Baptiste Clamence dans La Chute.
Lire aussi, plus que ses essais, parfois un peu datés, ou son théâtre, démonstratif et abstrait, les somptueuses nouvelles qui composent Noces ou L’Exil et le royaume. Dans tous les cas, une urgence : le retour à Camus.

Yves Stalloni

 
Albert Camus dans les Archives de “l’École des lettres”.
Marcel Proust sur France Culture.

Yves Stalloni
Yves Stalloni

Un commentaire

  1. Monsieur.
    Dans la Prisonnière Proust décrit la mort de Bergotte !comme vous pour celle de Proust !
    Céleste Albaret parle de la mort de Proust en d’autres termes.

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