Bac de français 2020 : l’explication linéaire, l’éternel retour ?

On assiste, à l’approche du nouvel oral du baccalauréat de français 2020, à l’une de ces transformations silencieuses que ne désavouerait pas l’historien François Jullien avec le retour de l’explication linéaire et la disparition de la lecture méthodique.
Quel contraste en effet entre l’apparition spectaculaire en 1987 de l’explication méthodique au bac, accompagnée de son cortège de justifications savantes, théoriques, pédagogiques, polémiques, et aujourd’hui, trente ans après, son remplacement sans bruit, sans débat, sans critique par la tenace explication linéaire de retour en grâce.

La disparition de la lecture méthodique ne donne lieu à aucune funérailles en grande pompe, comme si la génération qui l’avait portée était elle-même éteinte, et c’est avec l’air le plus naturel que les plumes officielles de la DGESCO traitant des nouvelles épreuves orales du bac de français 2021 énoncent cette phrase d’apparence si sobre, si innocente , si évidente : « le candidat propose une explication linéaire d’un passage d’une vingtaine de lignes », phrase que les « attendus de la prestation orale » commentent par : « bonne compréhension littérale du texte ». Le temps semble avoir fait son œuvre, érodant les convictions d’hier, préparant les mutations d’aujourd’hui .
Les années 1980 ont marqué l’apogée des théories textuelles, théories des genres, du sens, du lecteur, dont l’école s’était faite progressivement et caricaturalement l’écho : il fallait expulser l’auteur, ses intentions, son autorité, affirmer que le sens était pluriel, relevait d’une construction, d’une coopération du lecteur, que la lecture appelait des grilles, des schémas, des modèles, et tout cela produisit ces instructions officielles de 1987 promouvant la lecture méthodique et affirmant hardiment :

« Elle rejette la paraphrase, elle ne mime pas passivement le développement linéaire du texte, elle n’attribue pas à l’auteur a priori une intention, elle tend à mettre en œuvre l’observation des formes, de leur système et de leur organisation, l’exploration prudente et rigoureuse de ce que ne dit pas le texte en clair, la construction progressive d’une signification à partir d’hypothèses de lecture. »

Aujourd’hui la fureur de la théorie est retombée : on ne demande plus à l’élève et à son professeur de proposer une hypothèse de lecture cohérente et méthodique, pas davantage de dire ce que le texte ne dit pas (!) mais de comprendre simplement le texte lu, de dire ce qui est écrit. Ce qui importe ce n’est plus le jeu entre la surface et la profondeur, l’explicite et l’implicite mais c’est avant tout le littéral, l’intentionnel, le certain. La paraphrase reste certainement toujours un danger et une paresse de l’esprit, mais ce danger paraît moindre que celui d’un axe de lecture ambitieux masquant une incompréhension littérale piteuse. Les mots ne sont plus à prendre à droite à gauche pour être associés en système, mais à prendre à la suite les uns des autres, dans une phrase qui a sa logique, son sens, son rythme et ses échos.
« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans » : non Baudelaire ne dit pas qu’il a mille ans, comme l’affirma un jour un candidat (capable pourtant de définir impeccablement le spleen), mais il dit qu’il a tant de souvenirs qu’il se sent usé par les innombrables traces que laisse le temps, par une mémoire qui aiguise son sentiment de malheur et son impossibilité à vivre. C’est pour éviter de pareils contresens tenant à la littéralité du texte mal entendue que l’explication linéaire prouve son sa raison d’être et son efficacité, sans avoir à se soucier de justification idéologique ou théorique.
Si rappeler son origine ancienne, enracinée dans l’exégèse biblique, puis dans la traduction de textes latins ou grecs en français, si se référer aux inspecteurs généraux du XIXe siècle affirmant dès 1850 que la compréhension littérale de la langue classique était le problème majeur de l’enseignement, si noter que l’explication linéaire est l’épreuve la plus importante du CAPES, si remarquer enfin que son retour au bac fait sens avec l’arrivée d’une question de grammaire, bref si se parer de ces cautions historiques et linguistiques pouvaient être aux yeux de certains une mauvaise publicité pour cet exercice remis au goût du jour, convenons simplement et objectivement que d’un point de vue purement pragmatique l’explication linéaire valide une juste compréhension d’un texte littéraire, manifeste chez un élève sa capacité à saisir la pensée d’un auteur dans un temps, une langue et un contexte peut-être étranger au nôtre .
Cette compréhension est peut-être peu, mais elle est essentielle. Non seulement à l’éclaircissement du texte, mais au plaisir pris à sa lecture. Du reste rassurons ceux qui craindraient que le retour à l’explication linéaire soit un retour à l’explication traditionnelle et normative du XIXe siècle : nous avons lu, tous, et médité, ce célèbre poème de René de Obaldia extrait d’Innocentines (1969), « Le plus beau vers de la langue française », et écoutant :

« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin. »

Nous savons y entendre une parodie bouffonne du vers harmonieux plutôt qu’un exemple rare de poésie sublime, et expliquer linéairement ne sera jamais pour nous l’occasion de pointer une suite d’allitérations et de faire des remarques de vocabulaire sur le geai ou le jasmin mais de pointer l’intention comique d’un vers prosodiquement saturé d’effets sonores, mais sémantiquement creux.

Pascal Caglar

Pascal Caglar
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