
Bac de français 2025
Dissertation sur Le Menteur,
de Pierre Corneille
Pour l’épreuve anticipée de français 2025, les élèves de première générale sont tombés (pour le sujet A, la dissertation, objet d’étude « Le théâtre, du XVIIe siècle au XXIe siècle »), sur Le Menteur, de Pierre Corneille, parcours associé « Mensonge et comédie ». Le dramaturge maîtrise à la perfection l’art de faire du mensonge un ressort comique.
Par Milly La Delfa, professeure de lettres (académie de Paris)
En filière générale, voici le sujet donné aux bacheliers 2025, le 13 juin 2025 pour la dissertation (sur 20 points) :
Énoncé
Objet d’étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle.
Selon vous, dans la comédie Le Menteur, l’art du mensonge est-il toujours maîtrisé ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en prenant appui sur Le Menteur, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé et sur votre culture personnelle.
Corrigé
« Vous autres qui doutiez s’il pourrait s’en sortir / Par un si rare exemple apprenez à mentir », ce sont sur ces vers prononcés par Cliton et adressés au public que se termine Le Menteur, pièce créée par Pierre Corneille en 1644. Exhibant la dimension illustrative de la comédie, les derniers mots du valet rappellent aux spectateurs les vertus didactiques du spectacle auquel ils viennent d’assister. « Rire et instruire », c’est bien la fonction première d’une pièce comique au XVIIe siècle. Ainsi Corneille, en portant à la scène les conséquences qu’auront les mensonges du jeune Dorante qui, pour ne pas épouser celle à qui son père le destine, s’enfonce dans un tissu d’affabulations, donne à réfléchir sur l’habileté nécessaire à l’usage du mensonge.
« Dans la comédie Le Menteur, l’art du mensonge est-il toujours maîtrisé ? » Dans cette question, le fait de mentir est élevé au rang d’« art », c’est-à-dire de technique acquise par la pratique et dont le menteur aguerri domine les risques et les aléas. Or, cette habileté à déguiser la vérité et à avoir recours à l’artifice par nécessité ou par jeu est sans nul doute un savoir-faire commun à un certain nombre de personnages de la pièce, du personnage éponyme aux jeunes femmes qu’il courtise, Clarisse et Lucrèce. Malgré cela, ce recours au mensonge se fait-il sans risques, et est-il toujours couronné de succès ? Le talent des menteurs les rend-il infaillibles ? Ce sont les questions que l’adverbe « toujours », qui précède le participe adjectivé « maîtrisé », nous incite à nous poser.
Ainsi, on se demandera si les personnages qui font usage du mensonge dans la pièce Le Menteur en ont une connaissance assez fiable et une pratique assez sûre pour l’utiliser sans risque.
Dans un premier temps, nous verrons que l’art du mensonge est une technique maîtrisée par Dorante et les autres menteurs de la pièce. Puis nous nous demanderons si le recours au mensonge relève, chez les personnages, de l’art ou plutôt d’une aptitude innée qu’il s’agit de perfectionner, avant d’avancer la possibilité de considérer la pièce comme une véritable école du mensonge où le public serait, aux côtés des personnages, un potentiel élève.
A. L’art du mensonge : une technique maîtrisée par les menteurs de la pièce
Si mentir est un art qui demande de la pratique et du talent, les menteurs de la pièce s’y montrent souvent extrêmement habiles.
I. Dorante : le menteur du Menteur
Il va sans dire que le personnage éponyme de la pièce excelle dans l’art de travestir la vérité ou d’inventer des fictions suffisamment crédibles ou séduisantes pour que les victimes de ces mensonges soient totalement dupées.
a) Travestir la vérité : acte I, scènes 2 et 3. La maîtrise de l’art du mensonge par Dorante est visible dans sa capacité à élaborer une fiction au cours même d’un échange avec Clarisse. Cette fiction lui permet d’inscrire la brusque émotion amoureuse qui le saisit dans le temps long.
— Constatant à la scène 2 de l’acte I la relative inefficacité d’une déclaration trop abrupte, « Jugez par-là que bien peur recevoir ma flamme », à laquelle Clarisse répond : « Si votre cœur s’embrase ainsi en un moment / le mien ne sut jamais brûler si promptement. », Dorante réagit immédiatement en construisant, au fil de ses tirades, une double imposture.
— La présence du valet témoin, Cliton, les apartés qui rendent compte de son étonnement et ses interventions pour rappeler son maître à l’ordre : « Savez-vous bien, Monsieur, que vous extravaguez ? »justifient au public l’antonomase éponyme – Dorante est bien le menteur – donnent caution à sa virtuosité et signalent peut-être sa redoutable efficacité en tant que maître de l’illusion.
b) Inventer des fictions séduisantes : Dorante excelle également dans les récits mensongers de grande ampleur. Deux morceaux de bravoure, le récit du divertissement fastueux donné en l’honneur d’une femme à l’acte I, scène 5 et celui de son mariage à Poitiers à l’acte II, scène 5 donnent l’illustration dramatique du titre de la pièce : c’est à un menteur hors pair que les personnages ont affaire et, prisonniers du tissu verbal dans lequel il les emprisonne, Alcippe, le destinataire du premier récit, et Géronte, celui du second, ne peuvent que se laisser étourdir par l’illusion que les paroles de Dorante font naître dans leur esprit.
c) Profession de foi d’un menteur : acte I, scène 6. Aux reproches explicites que lui adresse son valet, Dorante répond par l’affirmation de son plaisir de mentir. Faisant concurrence aux auteurs : « J’aime à braver ainsi les conteurs de Nouvelles », il revendique la jouissance d’une fiction mensongère dont il les paie en retour : « Je le sers aussitôt d’un conte imaginaire ».
Il y a une sorte de défi à s’imposer dans l’art de mentir qui nécessite de la part du menteur une pratique régulière, gage d’habileté.
2. D’autres menteurs et menteuses brillantes
Dorante n’est pas le seul à maîtriser l’art du mensonge dans la pièce. Il se retrouve à devoir faire face à un couple amical féminin qui, pour démêler le vrai du faux, est prêt à user du mensonge et du travestissement.
a) Un combat de menteurs : le « divertissement rare », selon Cliton.
Alors que Dorante est démasqué et que Clarisse souhaite le confondre, celui-ci se rend sous le balcon de Lucrèce où elle a donné rendez-vous au menteur. Cliton rappelle alors à son maître que Lucrèce est fille d’avocat et qu’il serait plaisant qu’elle mente à Dorante. Acte III, scène 4 : « Qu’elle pût un moment vous piper en votre art/ rendre conte pour conte, et martre pour renard ».
Ce souhait du valet anticipe le plaisir du public à assister à une passe d’armes entre plusieurs virtuoses du mensonge, Dorante bien sûr mais également Clarisse et Lucrèce. Ce plaisir se retrouve dans Le Mariage de Figaro, de Beaumarchais, créé en 1784, quand la comtesse Almaviva et Suzanne, à l’acte III, décident à leur tour de prendre au piège le comte dans une mise en scène mensongère destinée à lever le voile sur ses infidélités.
b) Des menteuses qui maîtrisent l’art de mentir et de se mettre en scène
— La scène du balcon acte III, 5 est l’occasion de voir un spectacle inversé : le menteur victime de deux menteuses qui, outre l’art du langage, maîtrisent également celui de travestir leur voix, de jouer sur la proximité de leur silhouette et sur le voile propice à l’illusion que la nuit jette sur elles. Leur connaissance de la duperie de Dorante : « Il fait pièce nouvelle, écoutons », leur donne un surplomb sur le jeune homme et leur permet de « découvr[ir] le fond de l’artifice ».
Menteuses contre menteur, elles dévoilent l’imposture et mettent Dorante en position délicate.
3. Un art maîtrisé dans toutes ses potentialités
Le mensonge, au théâtre, et qui plus est dans cette comédie, se déploie de multiples façons que la pièce se plaît à donner à voir.
Dans cette sous-partie, on peut proposer un inventaire problématisé des techniques de mensonges :
- Le travestissement identitaire à l’acte I.
- La fausse confidence à l’acte I, scène 4, quand Dorante confie à Cliton s’être battu avec Alcippe et l’avoir tué alors que celui-ci apparaît en pleine santé à la scène suivante.
- Le récit mensonger : le mariage et la grossesse de la pseudo-femme de Poitiers.
- L’ekphrasis imaginaire de la collation sur le bateau.
Support du comique, le mensonge est le socle comique de cette comédie de Corneille qui en exhibe toutes les potentialités.
On peut évoquer en contrepoint la pièce de Marivaux, Les Fausses confidences, qui décline au contraire un seul dispositif mensonger tout en en approfondissant les modalités.
On a montré dans cette première partie que les personnages de la pièce maîtrisaient l’art du mensonge dont ils ont tous une connaissance et une pratique approfondies qui en font des menteurs virtuoses.
B. Art ou habileté innée qu’il s’agit de perfectionner, le mensonge au prix du risque
I. Dorante : un menteur talentueux mais à l’art du mensonge perfectible
Si la virtuosité de Dorante est indubitable, son art du mensonge relève parfois plus de l’improvisation que d’une maîtrise affirmée et son talent inné pour la fabrique d’illusion est perfectible.
S’opposant à « l’art », c’est-à-dire à une habileté acquise à force de pratique ou d’étude, la notion latine d’« ingenium », que l’on peut traduire par « disposition naturelle », semble plus à même de rendre compte du rapport que Dorante entretient avec l’affabulation.
- Un recours au mensonge spontané : l’art du mensonge de Dorante ne répond pas à une véritable stratégie pour obtenir ce qu’il veut, mais au contraire semble émaner des évènements eux-mêmes. Ainsi, chaque rencontre est prétexte à un mensonge, et c’est la même fréquence des mensonges gratuits et des mensonges stratégiques qui souligne cette faculté à mentir. Le mensonge du faux mariage, stratégique puisqu’il permet à Dorante d’échapper au mariage arrangé par son père, côtoie celui du faux duel contre Alcippe et les déclarations fantasques d’une maîtrise de plusieurs langues : « L’Hébreu ? Parfaitement. / J’ai dix langues Cliton, à mon commandement. » Acte IV, scène 4 qui sont complètement gratuits. Cette propension à l’affabulation semble déborder Dorante, constituer un trait de caractère davantage qu’un art qu’il a acquis et qu’il domine.
- De plus, les nombreuses erreurs qu’il commet témoignent d’une certaine faiblesse : l’apparition d’Alcippe après sa pseudo-mort provoque la colère de Cliton qui se croyait, à juste titre, le « secrétaire » de son maître, son complice : « Il est mort ! Quoi, Monsieur, vous m’en donnez aussi ! / A moi de votre cœur l’unique secrétaire ! / A moi de vos secrets le grand dépositaire ! ».
Et la méfiance de Géronte qui ne comprend pas pourquoi le père de l’épouse de Poitiers change de nom entre deux rencontres avec Dorante : « Pyrandre ! tu m’as dit tantôt un autre nom / C’était, je m’en souviens, oui, c’était Armédon ». Comme le valet le rappelle à son maître au vers 1260 : « Il faut bonne mémoire après qu’on a menti. »
Le menteur, qui vient d’arriver à Paris, est donc un menteur en apprentissage. Il sait tirer parti de son don inné pour voiler la vérité, la tordre ou la transformer, mais il risque de perdre la seule vérité qu’il y ait : celle du cœur.
2. Une maîtrise approximative qui favorise la comédie
- Support de la comédie, le quiproquo initial entre Lucrèce et Clarice prend racine dans le mensonge que Dorante adresse à Clarice en lui faisant croire qu’il l’aime depuis un an, et se ramifie en toute une série de mensonges plus ou moins extravagants. La cascade d’affabulations et le risque qu’elles soient découvertes comme à la fin de la scène 5 de l’acte III, où l’imposture de Dorante apparaît à Clarice, maintiennent la tension comique. La surenchère dont Dorante se rend coupable est également source de rire, notamment lors de la scène du coup de feu à l’acte II, scène 5 et des apartés outrés de Cliton qui instaurent une connivence forte avec le public.
- On peut opposer à cette maîtrise partielle l’art absolument parfait de Célimène dans Le Misanthrope. L’évocation de ses contemporains à l’acte II, scène 4, lors de laquelle elle dresse en quelques traits cruels, le portrait des courtisans qui l’entourent, est un bijou d’hypocrisie et d’acuité. Seule l’erreur d’avoir laissé des traces écrites de son double jeu entraînera la magnifique menteuse à sa perte sans que jamais pourtant sa parole ne la trahisse.
3. Seul un menteur imparfait est un menteur de comédie ?
- Le danger d’une maîtrise parfaite du mensonge : le personnage menaçant. Les relatives erreurs ou confusions de Dorante désamorcent le caractère dangereux, voire diaboliques du mensonge.
La colère et la tristesse de Géronte à l’acte V, scène 2 : « Dorante n’est qu’un fourbe, et cet ingrat que j’aime / après m’avoir fourbé me fait fourber moi-même » et la grande scène d’explication qui suit illustre les dangers d’une trop grande malhonnêteté. En choisissant la sincérité, bien que Dorante se trompe encore sur l’identité de celle qu’il aime, le jeune homme désamorce le cercle vicieux du mensonge au profit d’un retour à la comédie pure qui doit réconcilier les générations opposées et célébrer un mariage. Il s’oppose par là à la figure d’un autre menteur, mais bien plus impénitent que lui, celui de Molière. En effet, lors d’une même confrontation avec son père, Dom Juan, « l’épouseur à toutes mains », reste « un monstre dans la nature » (acte IV, scène 4). Tartuffe, autre hypocrite jamais revenu à la sincérité, entérine également le danger extrême qu’une vérité trop longtemps bafouée fait peser sur la société.
- Dorante, Clarice, Lucrèce et Sabine n’ont pas recours aux mensonges de façon professionnelle. Leur jeunesse et le goût de l’aventure les mènent vers le mensonge comme moyen d’être ce qu’ils aspirent à être et ne sont pas encore sans que la gravité de leurs affabulations menace la noblesse de leur cœur.
C. À l’école du mensonge
I. L’art du mensonge comme essentiel à la comédie sociale
Dans la pièce, le mensonge est également un moyen d’apprendre à vivre dans un univers où le paraître est essentiel :
- Dès la première scène, Dorante fait part à Cliton de ses craintes de n’être pas à la hauteur de Paris : « Comme il est malaisé qu’aux Royaumes du Code / On apprend à se faire un visage à la mode ». Les fictions ne sont que la défense d’un jeune homme qui se juge insuffisant socialement, cela peut constituer une étape intermédiaire entre ses aspirations et le temps qu’il lui faut pour devenir celui qu’il aspire à être. Ainsi, loin d’être une fin, la maîtrise du mensonge n’est qu’un moyen.
- C’est également un recours face à une autorité paternelle trop grande. En effet, malgré la relative bonté de Géronte qui ne veut pas marier son fils de force, c’est la peur d’un mariage arrangé de longue date qui enchaîne Dorante à sa spirale de mensonges. Et c’est également la peur du reproche paternel qui l’accule à mentir encore à la scène 4 de l’acte V : « Cliton. — Quoi, même en disant vrai vous mentiez en effet ? Dorante. — C’était le seul moyen d’apaiser sa colère. »
- Pour Clarice et Lucrèce, l’enjeu est sensiblement différent, mais émane également de la comédie sociale : mentir en échangeant leurs identités est un moyen de découvrir la vérité sur ce que ressent vraiment Dorante.
2. Choisir le bonheur à la vérité
- Un menteur qui retombe sur ses pieds : moins l’art du mensonge, c’est la faculté qu’a Dorante à retomber sur ses pieds qui force l’admiration. Tout le quiproquo final et le mariage avec celle qu’il fuit depuis mais dont il finit par s’accommoder, sont source de plaisir infini pour le spectateur. Ainsi, c’est l’art de jouer avec la vérité qui est au centre de cette comédie. Si Dorante ne maîtrise pas toujours l’art du mensonge, Corneille, lui, maîtrise à la perfection l’art d’en faire un ressort comique. En garantissant à son menteur une fin heureuse, le dramaturge plaide pour la force de la fiction. Son héros est une figure qui permet de réfléchir au lien entre stratagème et théâtre car, en tant qu’incarnation scénique de l’art de raconter des histoires fausses que l’on prend pour vraies, il questionne l’art du comédien, virtuose lorsqu’il s’agit de faire apparaître, sous les yeux des spectateurs, le temps d’une représentation, une fiction qui supplante la réalité et qui ne déçoit jamais.
- En choisissant d’épouser Lucrèce et donc en reniant la vérité de son cœur, Dorante choisit l’harmonie retrouvée, une vision du bonheur, qui en ce siècle de la mesure et de l’honnêteté, n’est pas une valeur à négliger.
Si les personnages qui font usage du mensonge dans la pièce Le Menteur en ont une connaissance assez fiable et une pratique assez sûre pour l’utiliser sans risque, l’art du mensonge n’est pas toujours totalement maîtrisé. Mais ce sont ces faiblesses qui en garantissent l’efficacité comique et en désamorcent la dimension menaçante. La comédie nous apprend à mentir en nous montrant les plaisirs, les risques et les dangers que recèle cet art délicat. Toujours au service de l’amour, de soi, des femmes ou du père, le mensonge ne serait pas toujours une menace, comme Florian Zeller l’avance dans sa pièce Le mensonge : « Je dis seulement que mentir, c’est parfois une preuve d’amour ».
M. L. D.
Ressources complémentaires
- Pascal Caglar, « Le Menteur, de PierreCorneille : études et textes », 25 juillet 2024.
- Pascal Caglar, « Le Menteur, au théâtre de Poche-Montparnasse : Corneille en verve », 17 juin 2024.
- Antony Soron, « Nouveau programme de l’agreg de lettres modernes 2025 : pas si classique, » 29 mai 2024.
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