« Comédie-Française, une histoire du théâtre », par Agathe Sanjuan et Martial Poirson

« Comédie-Française, une histoire du théâtre », par Agathe Sanjuan et Martial PoirsonDans la préface qu’il consacre à cet ouvrage, l’administrateur général du Théâtre, Éric Ruf, s’étonne qu’il n’y ait pas eu de livre généraliste sur la Comédie-Française.
Étonnement fort juste et fort provisoire car désormais avec ce Comédie-Française, une histoire du théâtre, d’Agathe Sanjuan et Martial Poirson, le manque est réparé, le vide est comblé, et de manière magistrale et éclatante.
L’ouvrage est en effet une histoire et une étude, une somme d’informations érudites et plaisantes, une enquête sur la singularité d’un théâtre hors du commun en Europe, une participation à la vie même de cette institution, qu’il ne faut surtout pas réduire à un musée du théâtre français.

Les farceurs français et italiens en 1670, anonyme, attribué à Vério © Comédie-Française.
Les farceurs français et italiens en 1670, anonyme, attribué à Vério © Comédie-Française.

Lectures croisées

Les auteurs, Agathe Sanjuan et Martial Poirson, l’une conservatrice de la bibliothèque-musée de la Comédie-Française, l’autre universitaire, spécialiste de l’histoire culturelle, ont eu besoin de pas moins de deux ans pour rassembler les pièces de cette histoire monumentale envisageant la « Maison de Molière » sous tous ses aspects, politique, économique, esthétique, artistique, technique, avec cet art de ne jamais lasser malgré l’exhaustivité du propos, l’ouvrage étant à la fois savant et grand public, agréable au spécialiste comme à l’amateur.
Le secret de ce tour de force réside peut-être dans le plan du volume et la double lecture qu’il propose, l’une qui de chapitre en chapitre tisse une histoire continue du Théâtre-Français, avec ses périodes et ses évolutions, depuis la mort de Molière jusqu’ à nos jours, l’autre qui, bâtie sur une même division thématique de chaque chapitres, permet une étude discontinue de trois domaines systématiquement repris :
1. L’organisation, les statuts, la politique de la Comédie-Française.
2. La vie de la Troupe, de ses membres, leurs productions, leurs tendances artistiques, les métiers du spectacle et les évolutions techniques.
3. La réception des œuvres, les modifications des salles successives, la diversité des publics, et l’image de l’Institution.

La Comédie-Française en 1790 par Antoine Meunier (1765-1808) © BNF
La Comédie-Française en 1790 par Antoine Meunier (1765-1808) © BNF

Les grands moments de l’histoire du théâtre

Le parcours historique a le mérite de ne pas découper de larges périodes bornées par les seuls siècles, mais plus finement d’épouser les vrais moments de l’histoire du théâtre.
Ainsi suivons-nous :
– le temps des fondations (1680-1715), où s’établit le privilège de la Comédie-Française, seule troupe habilitée à représenter des spectacles en français dans Paris en contrepartie d’une tutelle monarchique bienveillante ;
– le temps des luttes (1715-1789), où il faut faire face aux troupes concurrentes et à un pouvoir politique plus présent ;
– le temps des ruptures (1789-1815) lors de la Révolution qui fait éclater l’unité de la Troupe en deux théâtres distincts, le théâtre de la Nation et le théâtre de la République, avant que l’Empire ne reconstitue le Théâtre-Français ;
– le temps des doutes (1815-1850) à l’heure de l’émergence des théâtres des Boulevards et de l’acceptation tumultueuse des auteurs romantiques ;
– le temps des refondations (1850-1918) marqué par une reprise en main de l’État et un début de mission de service public sous la Troisième République ;
– le temps des expérimentations (1918-1959) partagé entre tradition et modernité, démocratisation et conservatisme ;
– le temps des ouvertures (depuis 1959), réaction pour ne pas s’enfermer dans un rôle exclusivement patrimonial mais s’ouvrir au contraire aux nouvelles esthétiques, aux nouveaux auteurs, aux metteurs en scène étrangers.

La Comédie-Française, place Colette.

Entre tradition et innovation

Le XXIe  siècle confirme cet équilibre entre tradition et innovation, répertoire et avant-garde, bénéficiant d’un soutien de l’État conduisant aussi bien les importants travaux de rénovation de la salle Richelieu en 2012 que le colossal projet de « Cité du théâtre » dans les anciens Ateliers Berthier, projet lancé en 2016 pour un achèvement prévu en 2022 avec de nouvelles salles et un pôle regroupant le Conservatoire national, le théâtre de l’Odéon Europe, et la Comédie-Française.

Charles André van Loo, "Mademoiselle Clairon en Médée", 1760 © RMN
Charles André van Loo, « Mlle Clairon en Médée », 1760

Le parcours thématique offre la liberté d’aller rechercher les informations de son goût concernant l’univers de la Comédie-Française : l’amateur de technique, d’agencement de plateau, de cage de scène, d’éclairage ou de cintres, le curieux de l’histoire des costumes ou des décors, l’intéressé par l’histoire architecturale des théâtres de l’Odéon (1782) ou de la salle Richelieu (théâtre de la République en 1791), le sensible aux destins des grands acteurs (Mlle Clairon, Lekain, Talma, Rachel, Sarah Bernhardt), le friand d’anecdotes et de curiosités (les banquettes ou le public sur scène, le passage au parterre assis, le quatrième mur, l’origine de la claque – nom d’un personnage de La Harpe –, l’incendie du théâtre en 1900, les rapports avec le cinéma (les Comédiens collaborant aux premiers films en 1908), l’avide de chiffres, de recettes, de nombre de productions, de représentations, d’auteurs les plus joués (Molière, Racine, Corneille), le curieux du rayonnement de la Comédie-Française à l’étranger (histoire des tournées), par l’ouverture au public scolaire (invention des matinées en 1869), par la composition de la troupe, l’histoire de sociétaires, la sociologie des comédiens, la politique des administrateurs, et bien sûr l’amoureux des belles illustrations, l’admirateur de tableaux, de portraits, de plans, de décors, de caricatures, de carnets (plus de cent photographies au total), bref quiconque témoigne d’un intérêt pour le Théâtre et pour la Comédie-Française trouvera la réponse à sa passion dans les trois cents pages de ce volume in quarto.
La devise de la Troupe : Simul et Singulis, « Être ensemble et être soi-même »
Devise de la Troupe : Simul et Singulis, « Être ensemble et être soi-même »

À la fois mine d’informations et récit continu d’une histoire vivante, ce livre a sa place dans toutes les bibliographies d’étudiants en lettres, dans toutes les bibliographies de culture générale, dans toutes les bibliothèques scolaires, universitaires et municipales, dans toutes les bibliothèques d’amateur cultivé. Il ravira tous ceux qui éprouvent du plaisir à s’instruire, à voyager dans le temps, à mieux comprendre une histoire toujours en mouvement.
Et le livre refermé, une irrépressible envie vous prend de courir voir le rideau se lever salle Richelieu.

Pascal Caglar

« Comédie-Française, une histoire du théâtre », par Agathe Sanjuan et Martial Poirson, Éditions du Seuil, 2018, 304 p.
• Voir sur ce site les articles consacrés aux mises en scène de la Comédie-Française et les très nombreux articles sur le théâtre dans les archives de l’École des lettres.
• Le site de la Comédie-Française.

Pascal Caglar
Pascal Caglar

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