Conseils pratiques pour les professeurs stagiaires de lettres en vue d’une rentrée… singulière

La rentrée de l’année scolaire 2020-2021 s’annonce très particulière en raison des risques sanitaires encore présents sur l’ensemble de l’Hexagone et des incidences du confinement auquel nous avons été soumis mars à juin derniers.
Ainsi, un certain nombre de données pratiques méritent d’être explicités à l’intention des professeurs stagiaires, afin de leur faciliter une rentrée à bien des égards « exceptionnelle ».

État des lieux et perspectives pédagogiques

En collège comme en lycée, le confinement a, pendant de longues semaines, substitué le « distanciel » au « présentiel ». Si le travail des professeurs a permis d’assurer la continuité pédagogique, il faut bien convenir que les élèves ont globalement souffert de cette plongée dans un monde « virtuel » où les apprentissages n’ont pu être mis en œuvre comme prévu. Concrètement, après les vacances scolaires, la plupart d’entre eux ont à leur passif quasiment un semestre sans cours. Lorsque l’on est à quelques jours de prendre en charge une classe pour la première fois, il importe de bien mesurer les conséquences de ce « semestre blanc ». En effet, un nombre non négligeable d’élèves, déjà en situation de fragilité, sont entrés, à leur insu, dans la voie problématique du désapprentissage, terme employé pour désigner la perte progressive de certains acquis scolaires.
En français, par exemple, le désapprentissage peut se manifester, notamment, par une perte des repères grammaticaux, ou encore par une difficulté à se réapproprier les activités d’écriture. Plus que jamais, et à tous les niveaux, le triptyque « lire, dire, écrire » doit être immédiatement réactivé, et ce, en tenant compte des éventuelles carences qui se sont fait jour chez les élèves.
Cela étant, la somme des heures « perdues » ne doit pas devenir un argument coup de poing, du type : « Allez, il faut s’y mettre ! Vous avez assez perdu de temps l’année dernière ! » S’il est effectivement judicieux de revenir, dans son propos liminaire, sur cette fin d’année scolaire chaotique, il ne s’agit pas de culpabiliser les élèves, a fortiori les très sensibles élèves de sixième, déjà perturbés par le changement d’établissement.
Dans le même temps, on s’attachera à poser très tôt les conditions de déroulement de l’année à venir. En effet, sans jouer les Cassandre, on expliquera aux classes que le virus est toujours présent, et que des reconfinements partiels restent possibles.
Autrement dit, les maîtres mots de la rentrée risquent fort d’être « organisation » et « méthodologie ».

Se concentrer sur le temps court

Si l’apprentissage scolaire implique, aujourd’hui comme hier, une programmation sur la durée, cette rentrée atypique justifie de rendre la première période d’enseignement le plus efficace possible sur le plan de l’organisation.
Premier conseil donc, en partant des programmes et en considérant la réalité empirique, se donner des objectifs simples répondant à cette question essentielle :
« Quelles compétences principales s’agit-il de développer à court terme chez les élèves ? »
La réponse viendra d’elle-même. Il conviendra de privilégier la méthode, ce qui ne va pas de soi pour un professeur débutant. Cette méthode suppose, par exemple, de s’assurer que les élèves ont bien compris le fonctionnement de l’espace de travail numérique de l’établissement. La période de confinement a montré combien il est difficile pour certains non seulement d’appréhender l’outil numérique, mais, surtout, d’optimiser son exploitation. On devra donc les solliciter en leur proposant très vite de courtes activités à réaliser par le biais de cette plateforme de communication scolaire.

Adopter une méthode « pour eux / pour soi »

Le début d’une année scolaire n’est jamais simple : il suppose de se familiariser avec une foule de données pratiques inédites et généralement contraignantes. Les tâtonnements sont légitimes. Cependant, le contexte actuel exige de se concentrer sur l’essentiel et donc de retenir quelques principes de base.
En premier lieu, le temps de la classe n’est pas tout – ce qui sera encore plus vrai dans un contexte compliqué, cette année, par le port du masque obligatoire, notamment. Débuter, c’est mesurer la réalité de la « perte de temps » tout en cherchant à la compenser. Or, si l’on ne table que sur le présentiel, on risque fort d’être pris de vitesse. D’où ce conseil : toujours réfléchir en trois temps – « demain », « la semaine prochaine », « le mois prochain ». En se posant la question de ce que les élèves feront « demain », c’est-à-dire lors de la prochaine séance, on prépare à la fois ce qu’ils feront et apprendront en cours, mais aussi ce qu’ils auront à réaliser à distance. Il ne s’agit pas de les accabler de devoirs, mais de les habituer très vite à utiliser l’espace de travail numérique et de les aider à progresser de manière autonome. La règle d’or pourrait donc s’énoncer ainsi : une séance effectuée → une activité hors temps scolaire à réaliser. Bien entendu, la progressivité reste de rigueur. Il n’est pas question de les décourager en leur proposant un travail infini. Cependant, il faut instaurer un fonctionnement pédagogique régulier basé sur la reprise du cours à l’occasion d’une brève activité d’application à la maison.
La période de confinement a aussi montré les limites des séances « improvisées » ou faites « au feeling ». S’il est vrai que beaucoup de choses se jouent dans la communication qui s’instaure au sein d’une classe, il serait inconséquent de croire ou de laisser penser qu’une séance ne se conçoit pas rigoureusement en fonction d’objectifs clairs et de tâches précises à réaliser. Il est donc plus que jamais indispensable non seulement de préparer ses cours, mais de les rédiger sous une forme, certes, synthétique, mais en tout cas lisible et numérisée. En effet, pour une raison ou l’autre, on peut être amené à transmettre la fiche de cours aux élèves. Et ce qui était encore tacite l’année dernière devient, au vu des récents événements, la condition sine qua non d’une pédagogie efficace. D’autre part, cette contrainte de rédiger son cours, au lieu de se contenter parfois de quelques notes griffonnées, a le mérite d’inciter à une exigence d’explicitation. Le fameux « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » de Boileau prouve ici encore toute sa pertinence, tant ce qui n’est pas clair pour soi a toutes les chances de devenir fort abscons pour les élèves.
Toutefois, rédiger une séance n’est pas composer une dissertation. Il s’agit juste de définir quelques idées simples et d’effectuer des choix. Il n’est pas nécessaire, et peut même se révéler contre-productif, de vouloir tout dire sur un texte. Enseigner, c’est choisir et… assumer ses choix pédagogiques. Ainsi, on peut, y compris au lycée, se donner pour objectif la compréhension globale d’un texte littéraire de trente lignes (thèmes, personnages, situation) en n’adoptant une lecture linéaire stricte que sur un seul paragraphe.
En début de carrière, il est impératif de passer par une préparation « classique » de sa séance, c’est-à-dire de poser explicitement, pour soi, les jalons de son organisation. Par exemple, pour une explication de texte : « Je vais commencer par leur parler de l’auteur ; ensuite, on lira le texte à haute voix, puis je leur demanderai quels mots leur ont posé problème… » Autrement dit, mieux vaut, au début, un surcroît de rigueur qu’une croyance magique en l’alchimie immédiate de la classe. Cette rigueur est d’autant plus essentielle que certaines séances peuvent se trouver supprimées, en fonction des circonstances. On voit bien dès lors quelles conséquences fâcheuses pourrait avoir un enseignement « au feeling » ne s’appuyant sur aucune trace écrite transmissible aux élèves.

Se reposer sur l’existant

Ces propos peuvent paraître anxiogènes à des professeurs stagiaires qui s’apprêtent à vivre leur première rentrée. Une inquiétude que peut aisément pondérer le bon sens de chacun. En effet, le monde éducatif est constamment en mouvement et il n’y a jamais eu autant de supports à la disposition des élèves, notamment par voie numérique.
Par exemple, ceux-ci possèdent nécessairement un manuel, et le CDI le livre du professeur correspondant. Sans être un guide absolu de l’utilisation du manuel, ce « livre du prof » permet de comprendre la logique des séquences proposées et livre par ailleurs les corrigés des activités et exercices. Vouloir d’emblée tout construire soi-même, en toute indépendance, demeure un droit imprescriptible répondant au principe de la « liberté pédagogique » qui ouvre tous les programmes scolaires. Néanmoins, et notamment dans la première période (de septembre aux vacances de Toussaint, le 17 octobre), soit sept semaines pendant lesquelles la question méthodologique va être prééminente, a fortiori pour les classes de sixième, il serait présomptueux d’imaginer tout concevoir par soi-même.

La nécessaire explicitation

Si l’organisation, la méthode sont capitales, en tant que jeune professeur, il est tout aussi important de focaliser son attention sur l’alpha et l’oméga de l’enseignement : l’explicitation. En effet, avec des élèves, qu’il s’agisse de faire comprendre des consignes ou d’étayer une explication de texte, il est impossible de demeurer dans l’évocation ou la suggestion. Le mieux est de se montrer concret, précis (et d’éviter le flot verbal).
Or, cette conversion à l’explicite, voire au « sur-explicite », ne va pas nécessairement de soi. Quand on parle dans un contexte autre que celui de la classe, on est souvent dans l’évocation, dans la généralisation : le langage qu’emploient les adultes entre eux est abstrait, conditionné par des présupposés partagés. Tout le contraire de celui qu’il convient d’adopter face à une classe, où doit prévaloir l’économie de mots. Ainsi, on évitera phrases trop longues et vocabulaire trop complexe, et on s’attachera à répéter, et répéter encore, à plusieurs reprises, notamment une consigne ou un point de cours important.
Si, sur le papier, cette contrainte de la répétition ne paraît pas si compliquée à intégrer, en réalité, dans les faits, répéter plusieurs fois la même phrase peut vite devenir déconcertant et donner l’impression de tourner en rond. C’est pourtant une nécessité, la communication scolaire étant à la fois linéaire (« Je me fixe un objectif que je cherche à atteindre ») et circulaire (« J’insiste sur les points importants et sur les tâches à réaliser en acceptant la répétition »).

Lire, dire, écrire : triptyque prioritaire

Les élèves ne sont pas égaux devant la lecture. Certains ne fréquentent même que très rarement les livres. Or, l’enseignement du français implique la « constitution d’une culture littéraire commune ». La Fontaine, Molière, Perrault, Hugo et tant d’autres ont balisé l’histoire littéraire en inventant de nouvelles formes littéraires. Comme le rappellent les programmes, la découverte et l’approfondissement de leurs œuvres s’apparentent à un acte fort de transmission. Il est donc essentiel de considérer l’apprentissage des classiques comme une priorité. D’autant qu’une farce de Molière, un conte de Perrault, une fable de La Fontaine ou des extraits des grands romans de Victor Hugo fonctionnent bien avec les élèves.
Dans le cadre d’une « pédagogie de l’essentiel », en ces temps incertains où le présentiel peut à tout moment devenir caduc, il est fondamental d’introduire dans sa progression pédagogique ces grandes figures du patrimoine littéraire. Sur un plan pratique et dans la perspective d’un enseignement à distance, les classiques possèdent en outre un avantage considérable : leurs œuvres sont libres de droits, et donc aisément disponibles sur Internet.
Face à ces œuvres de référence, que l’on lira souvent dans le cadre de groupements de textes élaborés selon les entrées thématiques des programmes, il ne s’agira pas de s’orienter vers un commentaire technique. L’attention devra plutôt être portée sur la situation d’énonciation, le vocabulaire et la syntaxe, l’essentiel étant, avant tout, de faire en sorte qu’un échange s’établisse entre l’œuvre et l’élève, que ces textes leur « parlent ». D’où la nécessité d’actualiser ces œuvres pour les élèves. Les entrées thématiques des programmes (« Dire l’amour » en quatrième, « Résister au plus fort » en sixième, etc.) impliquent que le professeur réfléchisse à leurs enjeux aussi bien historiques que contemporains. On est ici dans la droite ligne de l’ouvrage d’Yves Citton, Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ? (Éditions Amsterdam, 2007). Il est, en effet, indispensable, pour transmettre ces textes, de réfléchir à la manière dont les élèves pourront les interpréter, les actualiser (« Résister au plus fort », par exemple, fait forcément écho à la vie quotidienne des élèves entre eux.)
Étudier un texte suppose donc de l’observer aussi bien dans son contexte de production que dans l’imaginaire du « sujet-lecteur » (cf. Pierre Bayard). Des approches complémentaires qui permettent d’organiser l’analyse selon deux grands axes allant de l’observation à l’interprétation.

Prioriser l’étude de la langue


Le confinement et l’absence de cours auront sans doute fait naître un déficit dans l’étude de la langue. Sur ce point, il convient d’être lucide : en s’exerçant moins à la pratique de l’écriture et à l’observation linguistique, beaucoup d’élèves se seront fragilisés sur le plan linguistique. D’autre part, la grammaire et la conjugaison sont, au collège comme au lycée, les parents pauvres des emplois du temps. Les séquences étant principalement consacrées à l’étude littéraire des textes, la maîtrise technique de la langue se trouve souvent reléguée dans les activités de complément.
En ce sens, rien n’interdit, durant la première période de l’année scolaire, de donner la priorité à la langue en recourant à des exercices systématiques et réguliers. Il serait plus que souhaitable que 50% des séances portent sur l’étude de la langue, soit en partant de courts extraits de textes, soit en travaillant la grammaire de phrase. Les accords sujet-verbe, nom-adjectif devront être totalement investis, en ne perdant pas de vue, cependant, que tout exercice systématique, si pertinent soit-il, doit être approfondi par une mise en écriture.
Une classe très fragile sur le plan linguistique pourra se voir proposer une séquence à dominante grammaticale. Les programmes n’interdisent en rien ce type de choix. Si l’on adopte cette perspective au mois de septembre, par exemple, on pourra, en complément, proposer la lecture semi-autonome d’une œuvre de jeunesse : temps de lecture à haute voix en classe et temps de lecture autonome hors temps scolaire.
Récapitulons les priorités pour cette période de sept semaines allant de la rentrée aux vacances de la Toussaint.
1. Investir le champ méthodologique en instaurant un échange numérique en plus de l’échange en présentiel.
2. Proposer à l’étude une œuvre classique en classe (œuvre complète ou morceaux choisis).
3. Prioriser l’étude la langue en lui consacrant un minimum de 50% du temps scolaire.

L’enjeu de fabrication

Dans la perspective d’un éventuel recours momentané à une pédagogie à distance, il peut être utile de demander aux élèves de réaliser des productions sonores, graphiques ou audio-visuelles dès les premières semaines de la rentrée :
– enregistrer une lecture à haute voix en proposant une bande-son en fond sonore ;
– interviewer un camarade sur un livre qu’il vient de lire ;
– rendre compte dans un document audiovisuel d’une recherche effectuée sur un auteur, une œuvre, ou une période de l’histoire littéraire.
La « fabrication numérique » a fait son entrée à l’école, il convient de ne pas l’oublier et de solliciter les productions multiples que peut susciter l’interprétation littéraire. De ce point de vue, il est important d’offrir aux élèves des perspectives de production mais aussi des méthodes. On veillera donc à inclure dans les séances initiales des exemples de création qui les inciteront à investir ces activités. À ce titre, certaines productions réalisées dans le cadre du concours http://www.dismoidixmots.culture.fr/ sont susceptibles de donner des idées (exemple, une petite bibliothèque numérique).

Vivement la rentrée !

Débuter dans la profession n’est pas simple, d’autant que, de plus en plus lourdes, les exigences du métier supposent une remarquable capacité d’adaptation. Adopter un métier qui se réinvente sans cesse a son charme, mais la pluralité des compétences qu’il requiert peut, à juste titre, inquiéter un enseignant débutant.
Pour se rassurer, il pourra s’appuyer sur ce point clé de la réussite pédagogique : un professeur gagne le respect de ses élèves dès lors qu’il sait les guider et les diriger. Quel que soit leur âge, les jeunes gens qu’il aura face à lui auront besoin d’un cadre de travail et de collaboration. Rien ne serait pire que le laisser-faire, le laisser-aller. Le laxisme n’entre dans aucune directive officielle. En revanche, l’enseignant se doit d’être un référent : ce qui suppose d’être ferme et juste et, surtout, d’assumer ses choix.
C’est pourquoi il convient de se méfier du déroulement naturel des premiers jours. Il repose souvent sur une illusion liée au charme de la nouveauté : nouvelle classe, nouveau professeur, etc. En général, un petit nombre d’heures suffit à comprendre que le navire a absolument besoin d’un capitaine. Par exemple, si l’on néglige de faire travailler les élèves à la maison dès le mois de septembre, la première activité proposée en octobre se heurtera à une bronca. Il ne faut pas se mentir : être conciliant et à l’écoute ne signifie pas inverser les rôles. Démocratie participative et paix sociale ne doivent se traduire ni par une toute-puissance des élèves, ni par la satisfaction systématique de leurs désirs.
Beaucoup de jeunes professeurs commettent l’erreur de vouloir, avant tout, se faire aimer des élèves. C’est une faute d’appréciation. Poser d’emblée un cadre de travail, imposer des règles d’échanges, être attentif au travail fait (ou pas fait) ne va pas faire aimer le professeur. Mais le faire respecter, oui. Or, ce respect est bien le levier majeur d’une dynamique collective positive où l’on apprend non seulement à vivre, mais aussi à penser avec autrui.

Antony Soron,
INSPÉ Sorbonne Université

Antony Soron
Antony Soron

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