Contre les idées reçues. L’Afrique entre au Collège de France

Atlas catalan, manuscrit enluminé d'Abraham Cresques (1325-1387) : Nomade d'Afrique et seiigneur de Guinée, 1375 © BNF
Atlas catalan, manuscrit enluminé d’Abraham Cresques (1325-1387) : Nomade d’Afrique et seigneur de Guinée, 1375 © BNF

Leçon inaugurale de François-Xavier Fauvelle
au Collège de France

Le 3 octobre dernier, François-Xavier Fauvelle était introduit par ses pairs dans la prestigieuse institution du Collège de France et avec lui, toutes les Afriques. Chercheur pluridisciplinaire, historien, archéologue, François-Xavier Fauvelle s’est attaché à nous livrer depuis plusieurs années une histoire de l’Afrique connectée, vivante et globale, toujours en mouvement.
En ouvrant la réflexion épistémologique sur l’écrit et l’archéologie, ses travaux proposent de penser la variété et la singularité des mondes africains en luttant contre les préjugés d’une Afrique « sans histoire ».

Une demande d’Afrique(s)

François-Xavier Fauvelle n’a pas manqué dans sa leçon inaugurale de revenir pour la fustiger sur l’affirmation de Nicolas Sarkozy dans son discours de Dakar du 27 juillet 2007 :

« L’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. […] Le problème de l’Afrique, c’est qu’elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l’enfance. […] Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès. »

L’Afrique n’a pas de problème avec l’histoire, mais ce sont bien les Occidentaux qui ont un problème avec leur représentation européocentrée du monde dans un déni de singularité. Il s’agit de faire fi des centres et des périphéries pour penser une régionalisation horizontale du monde dans laquelle l’Afrique prend toute sa place.
Débutant sa leçon par un extrait d’un manuscrit arabe d’Ibn Baṭṭūṭa (1304-1368) contant un épisode de la vie du roi de la capitale du Mali au XIVe siècle, le professeur Fauvelle sait captiver son auditoire, donner chair à une Afrique rendue à son histoire, tout en mettant en garde contre une documentation littéraire trop vite acceptée. Il reviendra sur cette question centrale durant tout son propos, mettant à distance les écrits arabes aussi bien médiévaux, sources classiques de l’histoire de l’Afrique, que les textes des « historiens coloniaux », littéraires et pétris de folklorisme.
Le chercheur chevronné fait ainsi dialoguer les disciplines, comparant sans cesse les traces matérielles avec les traces écrites, l’une ne complétant pas l’autre, mais permettant d’en débusquer les limites, voire les mensonges. Ses recherches s’appuient également sur la linguistique dans le sillage de ceux du philosophe allemand Leibniz (1646-1716). Cette complémentarité des sources construit une histoire qui n’est pas de l’anthropologie.
Pour lui, l’histoire appartient à qui sait se poser des questions sur le lien entre passé et présent. Le présent aide à retisser les fils du passé qui en retour nous éclaire sur ce que nous sommes. Elle n’a pas à être privatisée par ceux qui souhaitent dominer le monde. L’histoire doit être donnée à tous, aux Africains comme aux autres habitants de l’œcoumène. Car l’histoire est toujours et avant tout la découverte de l’Autre.
Dans quelques années l’Afrique sera
le continent le plus peuplé du monde

Elle n’a cessé d’être en interaction avec lui, produisant de la diversité et des modèles de cohabitation entre les groupes humains. Économie, religion, politique, le continent est riche d’une histoire longue, adaptation sans cesse recommencée. François Xavier Fauvelle cite longuement l’Afrique du Sud de l’apartheid qui a su, avec Nelson Mandela, trouver dans son pays, contre les visions clivantes, cette voie propre au continent pour construire une société métissée dont il n’ignore pas les limites. L’historien retient du discours d’investiture de Mandela du 10 mai 1994, le passage suivant :

« Je n’hésite pas à dire à mes compatriotes que chacun d’entre nous est aussi intimement attaché à la terre de ce beau pays que le sont les célèbres jacarandas de Pretoria et les mimosas du Bushveld. »

L’avenir des sociétés, sur cette volonté d’enracinement partagé, mêlé, non exclusif, peut se penser sur ce modèle éprouvé. Au même moment, le génocide des Tutsi au Rwanda faisait rage… né d’une manipulation ethnique apportée par les puissances colonisatrices.
Les thèmes évoqués plus haut seront ceux privilégiés dans sa première année comme professeur au Collège de France à la chaire « Histoire et archéologie des mondes africains » en mettant en lumière l’actualité des recherches sur l’histoire de l’Afrique.
On sent ici tout le potentiel réflexif de ce positionnement intellectuel, fruit de plusieurs décennies de travaux de recherches, le plus souvent sur le terrain.  L’Afrique, avec ce regard décentré sur elle, dans l’épaisseur de son histoire, semble finalement « bonne à penser pour le reste du monde », dans le cadre des grands changements politiques ou économiques qui viennent.

Une histoire plurielle

Ce grand vulgarisateur met à disposition du public un corpus de réflexions et de connaissances denses mais accessibles. Le succès de son ouvrage Le Rhinocéros d’or. Histoires du Moyen Âge africain, publié en 2013 (Gallimard, « Folio Histoire ») témoigne d’une « demande d’Afrique » qui dépasse les visions réduites à la colonisation et à la traite négrière.
Fauvelle nous révèle les « siècles d’or » sur le continent, du VIIIe au XVe siècle, à partir d’une grande variété de sources documentaires où archéologie, histoire, linguistique sont tour à tour et ensemble convoquées. Après avoir proposé une somme intitulée Afrique ancienne aux éditions Belin, Il publie aujourd’hui un Atlas historique de l’Afrique. De la Préhistoire à nos jours (Autrement, 2019), qui pourra utilement être mis en valeur dans les centres de documentation des établissements scolaires.
La saison Africa 2020 en France :
un point d’entrée dans une représentation renouvelée des Afriques
Ce rapport renouvelé avec l’Afrique, ses pluralités et sa place dans le monde entre en résonance avec la mise en œuvre au second semestre de l’année 2020 de la saison Africa 2020 en France.
Cet événement multiforme souhaite présenter ce nouveau regard sur l’Afrique aux jeunes générations. Des comités académiques Africa 2020 coordonneront une action de valorisation des projets portés par les équipes enseignantes, en lien avec des partenaires africains ou la diaspora africaine en France. Un dispositif national permettra aux classes qui le souhaitent de présenter un projet pédagogique sur le thème de ces nouveaux regards sur l’Afrique. Elles sont invitées à construire ces projets avec la société civile africaine.
Il est en effet primordial pour nos élèves de mieux connaître ce continent que la géographie, l’histoire et la culture lient très étroitement à l’Europe et à notre pays. Par les enseignements, des projets pédagogiques et la participation aux différents événements de la saison africaine, les élèves pourront ainsi mieux apprécier les héritages du passé et la formidable opportunité d’un avenir commun à construire.

Alexandre Lafon

 

François Xavier Fauvelle © Collège de France
François-Xavier Fauvelle © Collège de France

• François-Xavier Fauvelle est né en 1968. Après deux DEA de philosophie puis d’histoire, il prépare à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Jean Boulègue, une thèse de doctorat sur la représentation des Khoisan, une population d’Afrique australe, chez les voyageurs européens (Portugais, Néerlandais, Français, Britanniques…) et dans la littérature philosophique et anthropologique occidentale. Entré au CNRS, il effectue plusieurs longs séjours en Afrique dans le cadre de programmes de recherche (Namibie, Éthiopie, Afrique du Sud). Revenu en France en 2009, il rejoint le laboratoire TRACES à l’université de Toulouse Jean-Jaurès. Il y crée avec d’autres chercheurs le Pôle Afrique, équipe réunissant archéologues africanistes et doctorants en archéologie africaine, notamment venus de pays africains. Directeur de recherche, François-Xavier Fauvelle dirige le laboratoire TRACES de 2013 à 2017 et y héberge en 2016, comme président du comité organisateur, le 23e congrès biennal de la Society of Africanist Archaeologists. Biographie complète : https://www.college-de-france.fr/site/francois-xavier-fauvelle/Biographie.htm
• Écouter la leçon inaugurale de François-Xavier Fauvelle.
• Les enseignements de François-Xavier Fauvelle au Collège de France sont ouverts à tous, accessibles gratuitement et sans inscription, dans la limite des places disponibles. Ils seront également diffusés sous forme de vidéos sur le portail des savoirs du Collège de France : www.college-de-france.fr.

• Présentation générale du projet Africa 2020.
• Contact pour les projets pédagogiques Africa 2020 : contact.africa2020@education.gouv.fr

Alexandre Lafon
Alexandre Lafon

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