« Dans la maison », de François Ozon

affiche du film « Dans la maison », de François OzonLe cinéma de François Ozon aime à cultiver l’ambiguïté. Ne le lui reprochons pas, d’autres cinéastes, parfois très prestigieux, tels Hitchcock, Oliveira ou Chabrol, ont exploré la même voie. Et, en matière d’art, et de littérature en particulier, rares sont les chefs-d’œuvre construits sur la transparence ou l’univocité.
Ce qui ne veut pas dire qu’il suffit d’être embrouillé pour atteindre les sommets. Et embrouillé, le dernier film de François Ozon, Dans la maison, l’est plutôt, l’ambiguïté, ostensiblement recherchée, aboutissant à un désordre flou qui laisse le spectateur le mieux disposé dans un état de perplexité, voire de déception.
 

Un beau sujet

Le sujet, pourtant, est séduisant, et les prémisses de la démonstration sont clairement posées. C’est la rentrée dans un lycée privé, et nous partageons ce moment stratégique (bien que traditionnel) avec le personnage central, Germain, professeur de français auquel Fabrice Luchini donne une assez belle crédibilité, ce qui est une performance, les enseignants au cinéma étant le plus souvent l’objet de grotesques caricatures.
Germain, comme tous ses collègues en début d’année, se plaint de la médiocrité de ses élèves, vérifiée à l’occasion d’un contrôle où il est demandé de raconter son dernier week-end. Médiocrité générale, à l’exception d’une copie, originale, bien écrite, chargée de mystère et achevée en promesse par un énigmatique « à suivre ».
Le professeur s’intéresse à l’auteur de cet étrange texte, Claude, un élève discret et talentueux qui, au fil des jours, va donner, comme promis, une suite à son récit.
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Oui, mais…

Narrativement parlant, l’affaire est bien lancée, avec une situation de départ calme et conventionnelle interrompue par un élément perturbateur. Le spectateur, à l’image du professeur, est intrigué, intéressé, impatient de connaître les développements de l’aventure. C’est là que le parti pris d’ambiguïté va, au sens littéral, le dérouter. Car à partir de cette donnée, Ozon va délibérément multiplier les pistes sans en privilégier une seule, nous laissant à nos incertitudes.
Ainsi la piste du Pygmalion : le maître qui guide un disciple doué sur la voie de l’assomption littéraire. Paul Demeny et Arthur Rimbaud. Mais divers éléments ne cadrent pas avec cette version et invitent à avancer d’autres hypothèses : l’adolescent génial qui manipule celui qui est censé le former ; l’écrivain raté (Germain) qui tente de se réaliser par procuration ; l’émergence du processus créatif chez un écrivain en herbe et les dangers qu’entraîne l’écriture.
Mais, nouveau « mais », ces hypothèses sont démenties par la nature troublante de l’histoire racontée, en épisodes, et qui fait basculer le film dans un autre univers. La rédaction du bon élève Claude (il est également excellent en maths) consiste à nous relater par le menu les étapes savamment dosées pour pénétrer « dans la maison » – c’est l’explication du titre –, de son camarade Rapha où il peut approcher la maman, Esther, et observer le père, nommé aussi Rapha.
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Une virtuosité  qui occulte le message

Changement de sujet et nouvelles interrogations : sommes-nous alors en présence de l’éducation sentimentale d’un lycéen tourmenté connaissant ses premiers émois érotiques au contact de la mère de son meilleur copain ? S’agit-il de nous raconter une tentative pour changer de vie, se substituer à un camarade, découvrir un nouvel univers pour se l’approprier – ou le détruire ? A-t-on affaire à une histoire de perversion enfantine, une machination diabolique destinée à se venger de son professeur ou des adultes en général ?
Le cinéma et la littérature ont abondamment traité l’un et l’autre de ces sujets. Et ces autres que le film suggère : l’artifice du couple et la fragilité de la vie conjugale ; les difficultés professionnelles (l’épouse de Germain, Jeanne, comme Rapha père sont menacés dans leur emploi) ; l’opposition de styles suivant les classes sociales ; la banalité de la vie d’enseignant (la hiérarchie, les collègues, les copies, les règles déontologiques, le spectre de la maladie mentale). Tout cela fait beaucoup, et on commence à s’y perdre.
Mais (encore un « mais ») ce n’est pas tout, car le réalisateur, quittant brutalement le fil réaliste de sa narration, intercale des scènes de fantasmes, nous offrant d’entrer dans les consciences torturées de certains acteurs ; il s’amuse aussi à créer des effets de brouillage (le jeu onomastique, par exemple : les deux Germain, les deux Rapha), à introduire des citations (explicites, comme celle de Pasolini, ou simplement suggérées, comme les uniformes du lycée), des renvois référentiels à des auteurs ou à des livres (permettant même à Luchini un numéro d’auto-parodie dans lequel il lit du La Fontaine, comme il le fait sur scène).
Cette prolifération de possibilités atteste la virtuosité du cinéaste, l’ambition du propos, mais ne nous aide guère à percevoir la nature du message. À moins, et l’on peut prêter à Ozon cette intention, que le message ne soit précisément qu’il n’y a pas un seul message. Mais plusieurs, et autant qu’on veut, et qu’il appartient à chacun de retenir celui qui lui convient.
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Pour une libre lecture

Dans la maison (qui pourrait être, effet de mise en abyme, celle du cinéma), on peut tout trouver, une signification n’est jamais unique. Le cinéma en général, et ce film tout spécialement, peut fonctionner sur la base du « self-service » : chaque convive compose son menu.
Sauf à voir dans ce spectacle une construction oulipienne (on pense à Calvino), du type de celles qui nous proposent, dans un jeu vertigineux, une lecture optionnelle, potentielle.
C’est intelligent, c’est parfois amusant, d’autres fois grave ou profond, c’est bien construit, remarquablement interprété, mais (c’est le dernier) un peu vain. L’ambiguïté, poussée à l’extrême, empêche l’adhésion et, en définitive, le plaisir.

Yves Stalloni

Yves Stalloni
Yves Stalloni

Un commentaire

  1. « On fait de la critique quand on ne peut pas faire de l’art de même qu’on se met mouchard quand on ne peut pas être soldat . » Comme le dit malignement Flaubert . Une fois encore Ozon semble revisiter ses classiques pour notre plus grand plaisir .
    Il s’interroge et nous interroge sur le statut de l’œuvre d’Art . Ce faisant il propose une multiplicité de points de vues qui , s’excluant souvent les uns les autres , renvoient le spectateur à son libre-arbitre .
    1) C’est le gagne pain des parasites honteux de n’être que cela : le couple central admirablement interprété par Lucchini et Scott Thomas , fascinés par la création car conscients de leurs limites et de leurs positions par rapport à l’artiste , oscillant entre le désir et la honte .
    2) C’est un placement qui se doit d’être lucratif afin de satisfaire des financiers sans scrupules : Yolande Moreau en double exemplaire pour doubler le plaisir du spectateur .
    3) C’est enfin une aventure de prédateur qui se sert des autres puis les jette après usage : amis dans la peau desquels on se glisse afin de se donner la chance de vivre plusieurs vies , femmes qu’on séduit et abandonne dans l’instant , et mentors qu’on utilise et manipule avec jubilation. Un peu Rimbaud , un peu Valmont , un peu de vent sans doute …
    Au terme de ce jeu de massacre que reste-il ?
    Peut-être , espérons-le , une œuvre d’art digne de ce nom plutôt qu’un ovni culturel à exposer dans une galerie branchée . Mais comment savoir si Claude Garcia est autre chose que la caricature de l’adolescent narcissique qui teste son pouvoir sur les autres ? Assurément , une prise de conscience de la fragilité des rapports humains , basés sur des conventions qui ne résistent pas au regard de l’artiste et à ses questionnements .
    En tous cas la certitude que le prédateur ne peut exister sans ses victimes , l’une chassant l’autre , et surtout sans ses parasites qui l’entretiennent et lui donnent une image valorisante de lui-même .
    La fin de ce film quelque peu vachard est à mes yeux très réussie , et montre le seul couple réellement fiable , parce que construit sur la notion de philia – un contrat tacite où chacun trouve son compte – Le maître et l’élève côte à côte ressuscitent « Fenêtre sur cour », façon de rappeler si besoin est qu’ils s’inscrivent dans une solide tradition de voyeurisme . Mais n’est pas Hitchcok qui veut …. A suivre .

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