Dégrisé !

Cette deuxième semaine n’a rien eu de comparable à la première.
Autant celle-ci avait été marquée par l’enthousiasme, le volontarisme, un cortège de difficultés et d’adaptations inédites, une débauche de travail et de continuité « coûte que coûte », comme dirait le Président, autant la semaine qui vient de s’écouler s’est assez vite normalisée, banalisée, vidée de la foi des pionniers et des défricheurs, regardée en face, dégrisée…

Nous avons vite appris les usages des outils numériques, vite vu les limites de l’école à la maison, vite éprouvé le manque de contacts avec une classe physique, vite saturé avec les ressources pédagogiques, publiques ou privées, qui nous arrivaient en avalanche.
Dégrisé ne veut pas dire démotivé. Au contraire, c’est une motivation réaliste qui fait face aux déceptions, causées par les élèves, très inégalement engagés dans le travail à la maison, par les perspectives d’un confinement qui ne pourra dans la longueur tenir toutes les exigences de l’enseignement (programme, notation, évaluation), par une situation sanitaire qui nous oblige à multiplier nos rôles à la maison (et non ne penser qu’à nos élèves), par une solidarité, enfin, qui, certes, est toujours là mais s’espace dans le temps : moins d’échanges entre collègues, moins de communication pour rien, pour le seul plaisir d’être ensemble.
Dégrisé, c’est alors la certitude se fortifiant chaque jour que rien ne vaut son établissement, la vie dans son établissement, même si cette vie nous est souvent difficile, confrontés que nous sommes à des problèmes récurrents, problèmes matériels, problèmes de discipline, problèmes administratifs, qui sont certes effacés en ces temps d’école à la maison, mais aussi autant de problèmes qui constituent notre métier.

Les institutions culturelles se mobilisent et mettent en ligne enregistrements sur enregistrements, captations sur captations. Théâtre, opéra, ballet, concert, jamais l’offre culturelle n’a été aussi accessible… et jamais elle n’a autant montré son inutilité sans la médiation des professeurs. Il y a déjà une dizaine d’années le sociologue des pratiques culturelles Olivier Donnat écrivait qu’il fallait en finir avec le mythe du désir inné et universel de culture, d’une illumination de la culture par le seul fait de sa présentation à des foules néophytes. Il n’y a pas, disait-il, de rencontre miraculeuse entre l’œuvre et le public, scolaire ou autre, il n’y a que des initiations par l’éducation.

Il est bon qu’en ces temps d’éducation tous azymuts, où pêle-mêle interviennent parents, marchands, ministère, et institutions, on s’aperçoive que les plus qualifiés pour instruire et former à la vie de l’esprit restent les professeurs et que le lieu le plus approprié à cet apprentissage reste le clos d’un établissement scolaire.

Pascal Caglar

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Pascal Caglar
Pascal Caglar

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