Écrire après, pour, sur, contre ?

 
attentat
Avec les événements de Nice ce sont encore une fois les mots, l’expression d’une réaction face à la catastrophe ou la barbarie, qui se trouvent interrogés.
Après le numéro spécial du Monde des livres qui avait vu le 20 novembre 2015 se constituer une république des écrivains, il apparaît que le temps de la réaction immédiate est dépassé pour laisser place aux œuvres à plus long terme.

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Écrire avec, après

Anecdotique le terrorisme ? Paradoxalement oui, dans la mesure où il n’est pas au centre d’une œuvre, et qui plus est d’une œuvre au titre léger : Marguerite n’aime pas ses fesses.
"Marguerite n'aime pas ses fesses", d'Erwan LahrerL’auteur, Erwan Lahrer sera touché par une balle de kalashnikov au Bataclan et devra en tenir compte dans ses interviews. Ironie néanmoins, sous le titre du roman se cachait une curieuse histoire d’un gang terroriste et pervers constitués d’anciens présidents de la République.
L’écrivain réclame son livre pour le corriger à l’hôpital, s’accrocher à lui en même temps qu’à sa vie. Il ne pourra donc plus exclure son statut de victime de celui d’écrivain. Sur le simple plan de l’écriture, il avoue par exemple rechercher un peu plus de sobriété.
"Curir après les ombres", de Sigolène VinsonPlus profondément encore, lors de la prise d’otages au Bataclan, il pense à un texte de son amie Sigolène Vinson, chroniqueuse judiciaire et romancière, qui conseille de se prendre pour un caillou dans ce type de situation.
Elle-même est une des rescapées de Charlie. Ce texte lui a peut-être sauvé la vie, et l’on voit que la réalité ne dépasse pas seulement la fiction, elle est plus forte qu’elle, plus subtile et imaginative, au moins, que les fictions bricolées des paradis pour combattants.
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Écrire contre, sur

À la veille de l’attentat de Nice, commis par un déséquilibré se réclamant du djihad, le Monde des livres publiait un numéro spécial consacré aux lectures : « Conseils de lecture pour tenir bon en ces temps troublés ». Surprise, lorsque l’on parcourt le supplément, peu de textes sont directement centrés sur les violences récentes. L‘injonction (lecture pour temps sombres) semble avoir été comprise de deux manières différentes ; lire pour comprendre ou lire pour dépasser et se divertir malgré tout.
Deux attitudes qui donnent des textes de natures différentes. Nous nous bornerons à signaler parmi les plus combattifs Lydie Salvayre qui commence par une mise en cause directe de l’attitude contemporaine :
Lutte des classes. Les vraies causes des réfugiés et du terrorisme", de Slavoj Zizek« Tous les livres ou presque me semblent en retard sur l’obscène violence du monde. Ils rament, à la traîne de ces images qui m’empêchent de dormir, ou essayant avec plus ou moins de bonheur de m’en distraire. »
Pour elle,il faut lire Slavoj Zizek et La Nouvelle Lutte des classes. Les vraies causes des réfugiés et du terrorisme, livre sans concession pour le capitalisme mondial (Fayard). Il faut s’interroger sur les causes profondes de la migration, de ce que veulent les migrants – ils veulent de l’Occident, celui qui consomme.
Il est tout à fait stupide de les rejeter au nom de nos valeurs car ce sont elles qu’ils seraient venus chercher à travers la consommation. « Aurais-je réussi à gâcher vos vacances ? » s’interroge-t-elle avec colère.
"Conscience contre violence", de Stefan ZweigRoland Gori, psychanalyste et écrivain, rappelle pour sa part la lucidité « cruelle » de Stefan Zweig et de son livre Conscience contre violence (Livre de poche). Livre remarquable publié en 1936 et injustement négligé qui lui « semble éclairer de manière fulgurante notre actualité“. Pourquoi ? C’est le récit qui montre comment Calvin à Genève perpétra, avec l’exécution de Michel Servet, un meurtre religieux.
Le livre de Zweig est un « manifeste humaniste, une défense acharnée de la liberté, de la tolérance et de la justice face aux dictatures éthico-religieuses et à leurs crimes ».
À lire, en effet.

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Écrire après, sur

Sur un plus long terme, les attentats de 2015 donneront lieu à quelques publications romanesques à la rentrée, sujet inévitable pour des auteurs qui réagissent de façon personnelle, comme pour broder, même d’une manière dérisoire et lucide, leur destin individuel sur la toile de fond historique.
"Ni le feu ni la foudre", de Julien SuaudeauArnaud Cathrine et Gérard Krawczyk mettent en scène des relations amoureuses intimes dans le chaudron des événements (dans l’ordre À la place du cœur, Robert Laffont, et Foudroyé, Le Cherche Midi).
Avec Ni le feu, ni la poudre, Julien Suaudeau (Robert Laffont) suit quelques personnages dont les trajectoires les rapprochent ou les éloignent du Bataclan, un peu à la manière de Ryan Gattis dans son livre consacré aux émeutes de Los Angeles (Six jours, Fayard).
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Comme une blessure dans la littérature

Le thème est ouvert comme une blessure dans la littérature, il en fait désormais partie, mais la nouveauté créative et la remise en question ne sont pas les seules voies.
Comme le rappelle Camille Laurens en guise de conclusion dans son conseil de lecture :
« Si l’on cherche la joie, il faut (re)lire Jacques le Fataliste et son maître […]. Oui le monde est comme son histoire, incomplet, fragmenté, hybride, on n’en connaît pas la fin, mais on peut y circuler en réfléchissant gaiement. »

Frédéric Palierne

Denis Diderot, "Jacques le fataliste et son maître"

 

Frédéric Palierne
Frédéric Palierne

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