
Épreuve de philosophie du bac 2025 :
corrigés pour la série technologique
Expérience unique pour certains élèves, inaugurale pour ceux qui poursuivront après le bac, l’épreuve de philosophie est un rite de passage. Pistes de correction pour les sujets de la série technologique : Sommes-nous libres en toutes circonstances ? Avons-nous besoin d’art ? Et le texte Théorie des sentiments moraux, d’Adam Smith.
Par Hans Limon, professeur de philosophie (AEFE, océan Indien)
Sujet 1. Sommes-nous libres en toutes circonstances ?
Mise en bouche
En découvrant le sujet, certains se sont peut-être dit qu’on allait enfin pouvoir parler de liberté, un mot magnifique, chanté sur tous les tons, imprimé sur les frontons des mairies. Sous ses airs familiers, ce sujet cache une question explosive : que reste-t-il de la liberté quand tout s’effondre ? Quand la guerre éclate, que la maladie frappe, que la société impose ses normes, que le déterminisme social broie les trajectoires ? Sommes-nous libres, vraiment, en toutes circonstances ?
Introduction
La liberté semble être l’essence même de l’humain. Depuis la Révolution française, elle incarne une valeur sacrée, un principe constitutionnel, une revendication politique constante. Elle est aussi un idéal personnel, tantôt revendiqué, tantôt menacé. Dans nos sociétés contemporaines, où la question du libre arbitre revient sous des formes diverses – du débat sur les algorithmes jusqu’aux réflexions sur les dominations sociales –, l’idée même d’une liberté inconditionnelle mérite d’être interrogée. Est-il possible d’être libre au cœur de la contrainte, dans un monde lacéré par les crises sanitaires, économiques, écologiques et guerrières ? Faut-il penser la liberté comme un absolu ou comme une conquête contextuelle ?
Problématisation
Ce sujet soulève une tension fondamentale : la liberté serait-elle imperméable à toute circonstance ou, au contraire, dépendante d’un certain nombre de conditions sociales, physiques, culturelles ? Peut-on dire que l’être humain est toujours libre, même enfermé, acculé, asservi ? Ou faut-il reconnaître que certaines situations brisent en lui toute possibilité de choix ? Il s’agit donc d’évaluer si la liberté est une nature, une faculté que rien n’altère ou une puissance fragile, tributaire d’un contexte.
Plan proposé
I. Une liberté constitutive de l’être humain, irréductible aux circonstances
Dans la tradition existentialiste, l’homme est défini par sa liberté. Jean-Paul Sartre, dans L’Être et le Néant, écrit que l’homme « est condamné à être libre » : même dans les situations les plus extrêmes, il demeure responsable de ses choix, de ses actes, de ses réponses. La liberté n’est pas une option : elle est l’envers tragique de la condition humaine. Même dans les geôles les plus sombres, même sous la torture, subsiste une forme de liberté : celle du sens que l’on donne à ce que l’on endure. Le psychiatre autrichien Viktor Frankl, dans Découvrir un sens à sa vie : avec la logothérapie, raconte comment, dans les camps nazis, il conservait une liberté intérieure, en refusant de céder à la haine ou au désespoir. C’est cette force morale, aussi fragile qu’inébranlable, qui permet de soutenir l’idée d’une liberté toujours présente, quelle que soit l’âpreté des circonstances.
II. Une illusion héroïque : la liberté comme produit de conditions historiques et sociales
Toutefois, cette vision héroïque peut masquer la dure réalité des déterminismes. La liberté réelle, entendue comme capacité d’agir, de choisir, d’exister dignement, suppose des conditions matérielles et sociales précises. Rousseau, dans Du contrat social, distinguait la liberté naturelle de la liberté civile : l’homme n’est libre que s’il participe activement à une société juste. Or, dans les faits, les inégalités économiques, les discriminations systémiques, les manipulations médiatiques, les pressions familiales ou genrées, les contraintes psychologiques et biologiques obstruent lourdement l’exercice de cette liberté. Spinoza, dans L’Éthique, rappelait que l’homme agit « par nécessité de sa nature », la plupart du temps sans en avoir conscience. La société contemporaine, marquée par l’essor du numérique, la surveillance algorithmique, les inégalités massives et les catastrophes environnementales, questionne profondément la réalité effective de notre liberté. Peut-on se dire libre quand on est privé d’éducation, de parole, de revenu, de droit au logement ? La liberté n’est pas une évidence anthropologique, mais une conquête historique.
III. Penser une liberté située, comme pouvoir d’agir et de résister
La liberté peut être pensée non comme un absolu désincarné, mais comme une capacité à résister aux contraintes, à leur opposer une réponse, une intelligence, une volonté. Michel Foucault, dans Surveiller et punir, montre que le pouvoir ne supprime pas la liberté : il la conditionne, l’oriente, la contraint et suscite aussi des lignes de fuite. Ainsi, même en situation de domination, l’humain peut inventer des marges d’action. Hannah Arendt, dans Condition de l’homme moderne, caractérise la liberté en tant que puissance d’initier, d’agir, de commencer quelque chose de nouveau : elle ne suppose pas l’absence de contraintes, mais la capacité à y introduire un écart. Les figures de Nelson Mandela, de Rosa Parks ou de Salman Rushdie témoignent de cette puissance subversive de la liberté, même dans les circonstances les plus oppressives. Dans nos sociétés actuelles, cette idée se retrouve dans les luttes sociales, les désobéissances civiles, les mouvements de défense des minorités, qui indiquent que la liberté n’est jamais donnée : elle est toujours à reconquérir.
Conclusion
Sommes-nous libres en toutes circonstances ? Pas au sens naïf d’une liberté absolue, mais peut-être au sens d’une puissance toujours possible de réponse, de résistance, d’interprétation. La liberté n’est pas ce qui échappe à toute influence, mais ce qui, en nous, subsiste comme capacité à s’orienter, même dans l’adversité. Elle est ce feu fragile que rien ne peut totalement éteindre. À vous, élèves de terminale, ce sujet a tendu un miroir : celui d’un monde lardé d’obligations, mais aussi celui d’une humanité capable de se dresser, d’imaginer, de dire non, et donc d’exister librement, même en des temps incertains.
Sujet 2. Avons-nous besoin d’art ?
Certains ont pu croire à une récréation intellectuelle en découvrant cette question, douce comme un vers de Rimbaud, anodine comme une visite de musée. Erreur. Car derrière ce sujet se profile une épreuve essentielle : celle qui confronte l’élève à ce qui constitue une vie humaine digne de ce nom. L’art, ce n’est pas l’accessoire du confort moderne, c’est la mémoire de ce que l’homme peut rêver, penser, transformer, même quand tout vacille.
Introduction
Des fresques de Lascaux aux séries télévisées, l’art ponctue les époques comme une trace obstinée de l’humanité. Certains y voient un loisir, un ornement, une manière de passer le temps. D’autres y lisent le cœur battant de l’expérience humaine, capable de consoler, d’éveiller, de révéler. Mais que désigne exactement le mot « besoin » ? Faut-il entendre une nécessité vitale, une exigence morale, un appel intérieur ? Et surtout, qu’arrive-t-il à une société qui délaisse ses artistes ? La question ne demande donc pas seulement si l’art est utile, mais si l’on peut vraiment s’en passer, dans notre monde et dans notre vie.
Problématisation
L’interrogation porte sur le statut de l’art : simple luxe culturel ou exigence fondatrice ? Si l’art ne soigne ni ne nourrit, pourquoi lui accorder une place ? Est-il un besoin au sens où le sont l’eau ou l’air ou bien une construction secondaire, rendue possible par le loisir et l’abondance ? Il s’agit d’examiner la nature de cette nécessité : sociale, subjective, politique, ontologique peut-être. Ce faisant, on ouvre aussi la réflexion sur le rôle de l’artiste et sur la fonction des œuvres dans la cité.
Plan proposé
I. L’art satisfait un besoin profond d’expression, de compréhension et de sens
Dès l’Antiquité, les penseurs reconnaissent à l’art une fonction de médiation symbolique. Pour Aristote, la tragédie permet de susciter chez le spectateur la catharsis, purgation des passions par le détour de la fiction. L’homme y trouve un espace où il peut contempler l’agir humain, réfléchir à ses dilemmes, ressentir sans périr. Chez Hegel, l’art est l’un des modes par lesquels l’esprit accède à la vérité, aux côtés de la religion et de la philosophie. Il ne sert pas simplement à embellir la vie : il en révèle la profondeur. Dans cette optique, l’art ne répond pas à un besoin matériel, mais à une exigence de l’esprit. Il donne forme à ce que l’on ne sait pas dire. Il ouvre un espace de partage d’émotions et de représentations. Les récits mythiques, les chants populaires, les peintures religieuses ou profanes ont tous en commun cette puissance de liaison et d’intensification de l’existence. L’homme ne crée pas l’art pour passer le temps : il le crée pour habiter le monde autrement.
II. Pourtant, l’art peut sembler superflu dans une hiérarchie stricte des besoins
La critique la plus évidente tient au caractère non vital de l’art. Il n’assure ni la subsistance ni la sécurité. Platon, dans La République, le soupçonne de détourner l’âme de la vérité : les poètes, dit-il, sont des imitateurs d’imitations, et à ce titre dangereux pour la cité. La philosophie doit prendre le pas sur la séduction des images. Dans une perspective matérialiste, cette suspicion s’approfondit. L’art apparaît comme une production idéologique, reflet de la domination de classe. Marx ou Bourdieu insistent sur la manière dont les goûts artistiques se structurent selon l’habitus social. Dans ce cadre, le besoin d’art semble fabriqué, façonné par l’éducation, réservé à ceux qui disposent du capital culturel nécessaire. En ce sens, l’art relèverait moins d’une exigence humaine universelle que d’un privilège historique, tributaire d’une organisation sociale donnée.
III. Pourtant, l’art se révèle une nécessité pour penser, critiquer et réinventer l’humain
Il demeure que les civilisations, même les plus précaires, produisent des formes : chants, masques, danses, peintures. Simone Weil, dans ses réflexions sur l’art et la vérité, écrivait que seule la beauté sauve l’âme de la laideur du monde. L’art ne sert pas : il élève, transforme, relie. Dans La Naissance de la tragédie, Nietzsche déclare que l’art est plus fondamental que la science pour comprendre la condition humaine. Par-delà la logique, il offre une forme d’intuition du chaos, de l’absurde et de la douleur. L’art joue aussi un rôle politique. Il dévoile, dénonce et subvertit. Il est une arme douce contre la domination. Les fresques de Rivera au Mexique, les chansons de Nina Simone pendant le mouvement des droits civiques ou les performances féministes contemporaines montrent combien l’art peut devenir critique, contre-pouvoir, acte de résistance. Il donne à voir ce que la parole interdit. C’est enfin dans le silence intime de la contemplation que l’art comble un besoin rare : celui d’être plus vaste que soi. Il permet à l’individu de se réconcilier avec sa finitude et son propre mystère. Il ne guérit pas, mais il console. Il ne commande rien, mais il oriente.
Conclusion
L’art n’est pas vital au sens où l’est la nourriture, mais il est essentiel à la construction d’un monde habitable. Il ne répond pas aux besoins du corps, mais à ceux de l’âme, de l’esprit et de la conscience collective. Se priver d’art, ce n’est pas seulement se détourner du plaisir : c’est renoncer à une part de lucidité, de profondeur, de lien et de sacré.
À vous, élèves de terminale, cette question offrait l’occasion de penser ce que signifie « avoir besoin » et d’affirmer que, peut-être, on ne vit pleinement qu’en laissant place à l’inutile. Non pas l’accessoire : l’inutile splendide, l’inutile fondamental.
Sujet 3. Adam Smith, Théorie des sentiments moraux (1759)
Option 1 : Réponses aux questions
A. Éléments d’analyse
1. En quoi les rapports entre les hommes en société peuvent-ils être comparés à des rapports « entre différents marchands » ?
Imaginez un marché bien animé : les étals colorés, les négociations à voix basse, chacun qui cherche à tirer un bon prix sans forcément demander des nouvelles de la grand-mère du vendeur. Voilà l’image qu’Adam Smith mobilise pour penser la société : pas besoin d’amour ou de grandes embrassades pour faire société. Un simple échange d’intérêts suffit. Ce que l’auteur suggère ici, c’est que les hommes coexistent souvent comme des commerçants : chacun y trouve son compte, sans passion, sans haine, sans amour. L’intérêt bien compris peut suffire à faire tenir ensemble un tissu social.
2. En prenant appui sur l’exemple d’une association de brigands et d’assassins, expliquer quelle est la condition pour que la société puisse « subsister ».
Quand Adam Smith évoque les brigands, ce n’est pas pour faire frissonner les élèves de terminale : c’est pour soutenir que même le pire des groupes humains – ceux qui vivent en dehors des lois – doit respecter une forme minimale de justice entre ses membres. Pas de société, même criminelle, sans règle implicite : ne pas poignarder son collègue de braquage pendant la pause sandwich. Dès que chacun commence à se nuire sans retenue, le groupe éclate. L’ordre social, même fragile, suppose une trêve intérieure : la violence généralisée dissout toute structure.
3. Quelle différence entre la bienfaisance et la justice ? Quelle est leur importance respective en société ?
La bienfaisance, en tant que vertu, c’est le petit plus. Le geste gratuit, la main tendue, la chaleur humaine qui rend la vie plus douce. Mais ce n’est pas ce qui tient une société debout. La justice est l’armature : elle interdit l’agression, elle garantit la sécurité, elle rend possible la prévisibilité des comportements. Adam Smith est clair : la société peut se maintenir sans amour, mais pas sans règles. Sans justice, tout se désagrège. Les philosophes antiques auraient dit « La bienfaisance est une vertu morale, la justice est une vertu politique ».
B. Éléments de synthèse
1. Quelle est la question à laquelle l’auteur tente de répondre dans ce texte ?
Que faut-il, en dernière analyse, pour que des êtres humains puissent vivre ensemble sans se déchirer ? Est-ce l’amour, l’intérêt, la justice ? Adam Smith cherche à savoir sur quoi repose la possibilité de la société.
2. Dégager les différents moments de l’argumentation.
- Première étape : on peut faire société sans affection, par simple utilité mutuelle.
- Deuxième étape : même les pires individus doivent respecter certaines règles entre eux.
- -roisième étape : la justice est donc plus essentielle à la société que la bienfaisance.
3. En prenant appui sur les éléments précédents, dégager l’idée principale du texte.
La société ne repose pas sur l’amour entre les hommes, mais sur un minimum de respect des règles. La justice constitue la condition de possibilité de la vie sociale. Sans elle, tout s’effondre.
C. Commentaire
1. Si les hommes sont égoïstes, une société juste est-elle impossible ?
Pas forcément. Déjà au XVIIe siècle, Hobbes partait du postulat que l’homme est un loup pour l’homme. Et pourtant, cela n’empêchait pas la construction d’un État garant de la paix. Ce que Adam Smith dit, c’est que, même sans altruisme, la société peut fonctionner si elle s’appuie sur des institutions fortes et des règles communes. L’égoïsme peut être régulé et même orienté vers des résultats bénéfiques pour tous.
2. L’injustice détruit-elle nécessairement la société ?
Oui, répond Adam Smith sans détour. Trop d’injustice engendre ressentiment, haine, révolte. Les passions négatives emportent tout sur leur passage. Si la société peut survivre à une absence d’amour, elle ne résiste pas à la trahison des règles. L’injustice radicale produit ce que les philosophes contractualistes conçoivent comme un état de guerre où chacun, n’ayant plus rien à perdre, se retourne contre les autres. En ce sens, la justice est le minimum vital de toute organisation humaine.
Option 2 : Explication de texte
Introduction
À première vue, ce texte pourrait faire penser à une leçon d’économie pour élèves de filière professionnelle, avec ses références aux marchands, aux échanges et aux intérêts bien compris. Pourtant, ce serait passer à côté de sa portée philosophique. Car Adam Smith (1723–1790), père fondateur de l’économie politique moderne et moraliste écossais, n’écrit pas ici sur les marchés financiers, mais bien sur ce qui fait tenir debout une société humaine et ce qui peut la faire voler en éclats. La grande question qui traverse ce passage est la suivante : qu’est-ce qui permet aux individus de vivre ensemble en paix, malgré leur diversité, leurs rivalités, leurs passions ? L’auteur distingue deux types de lien social, l’intérêt et la bienveillance, pour mieux affirmer la primauté de la justice comme condition minimale de toute société viable. C’est un texte à la fois réaliste, profond et d’une actualité mordante.
Développement
Adam Smith commence par poser une hypothèse provocatrice : la société humaine n’a pas besoin d’amour pour exister. Pas besoin que les membres d’un groupe social s’aiment, se respectent ou se sentent liés par une quelconque affection. Un simple calcul d’intérêt, un « échange mercenaire » de bons services suffit. Il compare ces rapports humains à ceux qui régissent le monde du commerce : chacun y vient avec son utilité en tête, chacun y gagne quelque chose et cela suffit à maintenir un équilibre. L’image du marchand n’est pas anodine : elle évoque un univers froid, rationnel, dans lequel l’attachement n’est pas une condition. À travers cette analogie, Smith pose que les motivations morales profondes ne sont pas nécessaires pour bâtir une société : une société peut tenir sans solidarité, du moment que les intérêts sont en balance.
Cependant, ce tableau minimaliste d’une société d’intérêts trouve rapidement ses limites. Smith introduit l’exemple frappant d’une association de criminels – « des brigands et des assassins » – pour montrer que même dans les contextes les plus extrêmes, un certain ordre est nécessaire. Si ces individus doivent rester unis, ils doivent au moins s’abstenir de s’entre-nuire. Autrement dit, même entre personnes dénuées de scrupules, une forme élémentaire de justice doit exister. L’auteur renforce son propos en énumérant les conséquences du non-respect de cette exigence : dès que la méfiance, le ressentiment ou l’animosité surgissent, la société implose. Les individus se dispersent et la structure sociale se disloque. La violence, lorsqu’elle devient structurelle, rend impossible toute vie commune.
Vient alors la distinction décisive entre deux vertus : la bienfaisance et la justice. La bienfaisance – que l’on pourrait rapprocher de la solidarité, de la générosité ou de la charité – est une qualité morale admirable, mais accessoire à la survie sociale. Elle rend la société plus humaine, plus agréable, mais elle n’est pas essentielle à sa perpétuation. En revanche, la justice est la clef de voûte. Elle empêche le tort, elle fixe des limites, elle évite les abus. Là où la bienveillance est un supplément d’âme, la justice est le socle. Adam Smith, en bon observateur des passions humaines, affirme ici une vérité intransigeante : pour qu’une société tienne, il ne suffit pas de souhaiter le bien des autres, il faut avant tout s’interdire de leur nuire.
Ce qu’affirme Adam Smith, en somme, c’est que la société repose non sur l’amour, mais sur l’interdit. Et cette pensée, aussi rude qu’elle soit, résonne avec les grands classiques du contrat social. Thomas Hobbes, dans son Léviathan, soutenait déjà que seule la peur de la punition pouvait détourner l’homme de son instinct d’agression. Smith ne va pas aussi loin dans le pessimisme anthropologique, mais il montre clairement que la justice, et elle seule, représente la condition minimale de la paix civile.
Conclusion
À travers une prose simple et une analogie puissante, Smith propose une anthropologie lucide : les sociétés humaines ne tiennent pas grâce à l’amour universel mais grâce à la limitation des violences. Même les pires groupes – des criminels, des mafias, des gangs – ont besoin d’un minimum de règles internes pour subsister. Ce texte enseigne donc aux élèves, et à tous ceux qui rêvent de fraternité, une leçon réaliste, mais non cynique : il est bon d’être généreux, mais il est vital d’être juste. Philosopher, ici, c’est prendre acte de la fragilité des liens humains et reconnaître que si la bienveillance adoucit les relations, seule la justice empêche qu’elles ne se délitent.
Conclusion générale
Qu’on soit élève de série générale ou technologique, cette cuvée 2025 de l’épreuve de philosophie du baccalauréat aura proposé un moment rare : celui de suspendre les automatismes scolaires pour se risquer à penser librement. Les sujets offerts cette année ne se sont pas contentés d’un vernis académique : ils ont ouvert de véritables brèches dans les certitudes du quotidien. La liberté dans toutes les circonstances, le pouvoir de conviction de la vérité, le rôle de la technique dans notre avenir, la nécessité de l’art, les fondements du lien social, la possibilité même d’un débat politique juste : autant de problématiques qui traversent la vie adulte et la citoyenneté.
Aux élèves de terminale générale, on a demandé de réfléchir à ce que nous pouvons attendre de la technique, à la force ou à la faiblesse persuasive de la vérité ou encore à la façon dont les inégalités économiques minent la justice politique. Aux élèves de série technologique, c’est la liberté malgré les contraintes, la fonction de l’art dans nos existences ou le rôle central de la justice face à l’égoïsme social qui ont été proposés comme points de départ. Rien d’ornemental ici, rien d’accessoire : ces sujets touchent au cœur de notre temps et invitent chacun à exercer son discernement critique, à penser par soi-même.
Certes, l’exercice est exigeant : il faut structurer, argumenter, nuancer, convoquer des références, et surtout ne pas céder à la panique. Mais c’est justement dans cette rigueur que réside l’une des dernières poches de résistance à la simplification ambiante. En ce sens, la philosophie n’est pas l’ennemie des élèves, mais leur alliée la plus précieuse pour apprendre à dire « je pense » avec conscience et responsabilité.
Et si certains se sont découragés, si d’autres ont pris un peu de plaisir à se surprendre eux-mêmes à réfléchir plus loin qu’ils ne croyaient pouvoir, alors la mission est accomplie. Car philosopher, ce n’est pas devenir spécialiste des Anciens, c’est oser habiter le présent avec intelligence. Et cela, en pleine épreuve du baccalauréat, c’est déjà beaucoup.
H. L.
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