« Exodus : Gods and Kings », de Ridley Scott

« Exodus : Gods and Kings », de Ridley ScottRidley Scott s’est imposé comme l’un des plus grands réalisateurs en revisitant systématiquement tous les genres : il a renouvelé la science-fiction avec Alien (1979) et Blade runner (1982) par une réflexion philosophique et un travail très sophistiqué de l’image ; le polar avec Traquée (1987) et Black rain (1989); le road movie avec Thelma et Louise (1991), l’équipée de deux pétroleuses pathétiques ; le film historique avec Christophe Colomb (1992) et l’épopée marine avec Lame de fond (1996).
Son originalité consiste dans l’alliance d’un sens très sûr de l’impact médiatique, d’une parfaite maîtrise technique, d’une solide culture historique et cinématographique et d’une grande exigence esthétique.
Avec Gladiator, il a remis le péplum au goût du jour en 2000. Depuis, ce genre kitsch et mégalomaniaque des années 50 et 60 ne cesse de donner lieu à de nouveaux films très ambitieux, comme le Noé de Darren Aronofsky en 2013. Exodus : Gods and Kings s’inscrit donc dans une veine épique contemporaine, biblique cette fois, en retraçant les péripéties légendaires de l’Exode.
 

Une vision plus humaine du héros biblique

Selon les rédactions successives des textes bibliques, Moïse est tantôt le grand roi qui, par son intercession auprès de Dieu, garantit les promesses faites à Abraham (Gen., XLIX, 10) ; tantôt le super-prophète qui transmet les Dix Commandements de Dieu et rédige les « paroles et coutumes » (Ex., XXI-XXIII) qui règlent la vie de la communauté; tantôt le législateur par excellence qui a organisé le sanctuaire – et son culte célébré par des grands prêtres chargés d’assurer le rituel traditionnel avec tout son symbolisme – où les Juifs viennent de toutes les parties du monde. Tel est le Moïse de la tradition juive, médiateur de l’alliance entre Dieu et son peuple, garant d’un accord avec YAWH et libérateur des Hébreux, asservis par les Égyptiens pendant trois cents ans.
Dans Exodus : Gods and Kings, Ridley Scott a une vision plus humaine du héros biblique. Profitant du caractère mystérieux de sa vie qui comporte bien des zones d’ombre dans l’Écriture, il le représente délibérément comme un homme, avec ses insuffisances, ses doutes et ses faiblesses. Et comme un libérateur, à la tête d’une armée de résistance qui a bien du mal à réussir.
 

« Exodus : Gods and Kings », de Ridley Scott © 20th Century Fox
« Exodus : Gods and Kings », de Ridley Scott © 20th Century Fox

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Une histoire des mœurs

Mais le projet de Ridley Scott n’est même pas de faire le portrait d’un héros ni de relater par le menu les péripéties historiques ou légendaires de sa vie, si importante soit-elle pour la Bible et pour l’histoire de l’humanité. Il a voulu faire ce que les romanciers ont réussi : combler cette lacune de l’Histoire que constitue l’histoire des mœurs. Comme dans Gladiator, son objectif a été de redonner vie à des civilisations – l’égyptienne et celle des Hébreux de l’Exode – comme personne ne l’avait fait auparavant, grâce cette fois aux ressources de la 3D.
La reconstitution historique, appuyée sur une documentation impeccable (la Torah, le Coran, le livre de Jonathan Kirsch : Moses : A Life, le British Museum et le Musée du Caire), trouve ici sa justification. D’où de belles scènes de la vie au palais de Pharaon au temps où Moïse est encore le meilleur général de son armée et son conseiller le plus sûr.
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« Exodus : Gods and Kings », de Ridley Scott © 20th Century Fox
« Exodus : Gods and Kings », de Ridley Scott © 20th Century Fox

 

Péplum romain et péplum biblique

Pourtant la différence de taille entre le péplum romain et le péplum biblique est la présence de YAWH comme actant essentiel sans lequel le film perd son intelligibilité. Comment la mettre en scène ? La façon de relever ce défi est originale. Mais pas question de révéler comment, en faisant paître ses troupeaux, Moïse rencontre Dieu sur le mont Horeb.
Le cinéaste fait des choix audacieux qui rendent Moïse encore plus perplexe que dans la Bible où il rencontre Dieu « face à face ». On est loin du film de Cecil B. DeMille, avec l’effet spécial en forme de foudre qui matérialise le doigt de Dieu gravant sur la pierre en caractères hébreux les Dix Commandements et Charlton Heston descendant du mont Horeb nimbé de lumière, les tables de la Loi à la main.
Si les deux films sont des interprétations aussi libres l’une que l’autre d’une petite partie de l’Exode, Christian Bale, lui, est chargé de composer un Moïse qui, loin d’obéir aveuglément à des ordres clairs, ne sait jamais à qui il a affaire et, constamment rempli de doutes, se sent écrasé par la mission que Dieu lui a confiée et saisi d’horreur devant les fléaux infligés à ses frères égyptiens. Sa performance est éblouissante, proche d’une passion christique.
 

« Exodus : Gods and Kings », de Ridley Scott © XXth Century Fox
« Exodus : Gods and Kings », de Ridley Scott © XXth Century Fox

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Moïse et Ramsès

Le récit commence en 1300 av. J-C, quand le peuple hébreu est en esclavage, attelé à la construction du Sphinx et des pyramides, ce qui donne lieu à une séquence grandiose où les plans d’ensemble ont une profondeur de champ rarement atteinte. La guerre sévit entre les Égyptiens et les Hittites. Le pharaon Séthi, qui règne sur l’Égypte, époux de Tuya, père de Ramsès et figure paternelle pour Moïse, est au pouvoir depuis trop longtemps et le pouvoir lui pèse. Il a plus confiance en Moïse qu’en son propre fils et préfèrerait que ce dernier lui succède comme pharaon, ce qu’il sait impossible.
La scène emblématique des deux glaives qu’il donne aux deux jeunes gens, chacun portant celui de l’autre pour le secourir en cas de besoin, est emblématique. Elle fait d’emblée de Moïse et de Ramsès des frères ennemis.
Un flash-back retrace plus tard le sauvetage de Moïse par la fille du pharaon et son adoption au palais. Mais c’est la révélation de Noun, père de Josué (Juges, II, 8), érudit de la tribu d’Éphraïm devenu le chef des esclaves hébreux, qui permet à Moïse d’affronter sa véritable identité et déclenche sa volte-face, dont le meurtre d’un Égyptien est le signe.
Obligé de fuir, il se réfugie chez les Qénites, tribu madianite aux femmes superbes dont les biblistes ne savent pas trop si c’est une tribu bédouine ou les fameux descendants de Caïn devenus forgerons. Ridley Scott en fait de beaux et nobles bédouins et s’attarde volontiers sur leur vie quotidienne, le mariage de Moïse avec Tsipporah, fille de leur chef Jethro donnant lieu à une belle scène pastorale.
 

Ridley Scott pendant le tournage d'« Exodus : Gods and Kings » © 20th Century Fox
Ridley Scott pendant le tournage d’« Exodus : Gods and Kings » © 20th Century Fox

 

Un généreux et magnifique péplum

Le film est plein de séquences spectaculaires : la bataille de Qadesh contre la formidable armée hittite, les Dix Plaies d’Égypte, le passage de la Mer Rouge. Mais si les effets spéciaux sont au rendez-vous, c’est cependant avec deux partis pris marqués, celui de ne jamais les placer où on les attend (l’adoration du Veau d’or est ainsi réduite à un plan furtif) et celui du naturel vraisemblable, les invasions d’insectes ou de grenouilles pouvant être de simples fléaux météorologiques, comme la grande marée qui aurait pu mettre la Mer Rouge à sec. Seule la mort des premiers-nés marque clairement la volonté divine de punir les Égyptiens et non les Hébreux. Ramsès s’avoue vaincu.
Une distribution prestigieuse et internationale met l’accent sur les personnages principaux, louablement nuancés, du pharaon Séthi, à qui John Turturro confère une saisissante humanité, de Ramsès, dont Joel Edgerton rend avec talent le caractère faible et les sentiments ambigus envers Moïse, de Josué (Aaron Paul), aux dépens des personnages rendus secondaires de Noun (Ben Kingsley), de Tuya (Sigourney Weaver, actrice fétiche de Ridley Scott), de Myriam (Tara Fitzgerald) et de Bithiah, fille du pharaon ainsi nommée dans le Midrash « fille de Dieu » pour avoir sauvé Moïse (Hiam Abbas).
Si la réflexion philosophique est un peu courte, l’équilibre entre le spectaculaire et l’intime, entre la fresque grandiose et le tableau de mœurs, entre le légendaire et l’humain fait d’Exodus un généreux et magnifique péplum, qui ne traite pas toute l’histoire de Moïse, ce pour quoi il aurait fallu au moins deux films, mais en donne une version personnelle intelligente et digne d’un réalisateur de cette trempe.

 Anne-Marie Baron

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"Noe", de Darren Aronofsky

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• « Noé », de Darren Aronofsky,
par Anne-Marie Baron.

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"Gladiator", de Ridley Scot

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“Gladiator”, de Ridley Scott,
par Anne-Marie Baron.

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Anne-Marie Baron
Anne-Marie Baron

Un commentaire

  1. J’avoue un faible pour les films sur l’antiquité. J’ai même retrouvé un film en cassette concernant Ponce Pilate interprété par Jean Marais!J’ai adoré les séries Rome et Spartacus à la télévision.
    Alors un nouveau film sur la fuite des hébreux d’Egypte ne pouvait que m’enthousiasmer. Bien sur le film est magistral et l’acteur qui joue Moise convainquant.Les effets spéciaux sont vraiment adaptés au péplum.

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