L’imprimante, nouvel outil de médiation pédagogique ?

Le titre de cet article pourrait paraître bien éloigné des préoccupations sociales et pédagogiques du moment. Pourtant, il nous semble être au cœur des problématiques liées au confinement prolongé.
Mise en place depuis près d’un mois, l’école à distance s’efforce d’assurer une continuité pédagogique, mais comment poursuivre nos enseignements en tentant d’inventer les formes les plus efficaces de médiation pédagogique sans construire de l’inégalité ?

Halte au papier numérique !

L’usage exponentiel du papier et la place incroyable prise dans le contexte de l’enseignement à distance par les imprimantes est jusqu’à présent peu évoqué. Pourtant, la continuité pédagogique a posé d’emblée le problème des supports documentaires des cours transmis aux élèves et plus largement de la trace pédagogique (le cours à inscrire dans le cahier), du contrôle et de l’évaluation des « devoirs faits », élément clé du programme scolaire souhaité par l’actuel ministre de l’Éducation nationale. Devant l’injonction professionnelle, politique et sociale de poursuivre l’enseignement scolaire à distance, les enseignants ont trouvé les ressources pour continuer à travailler avec leurs élèves, parfois leur groupe classe. Mais à quel prix ?
Après quatre semaines de confinement, l’expérience de l’école à la maison montre l’usage parfois massif de l’imprimante comme outil de médiation pédagogique. Imprimante et scanner, désormais liés, permettent de produire des fiches à remplir par les élèves (textes à trous, exercices de géométries, tableaux ou autres cartes mentales, fiches de lecture…) qu’ils doivent renvoyer, scannées, aux enseignants.
À l’école primaire, de nombreuses fiches à imprimer sont envoyées, accompagnées de planning souvent précis pour permettre aux élèves les plus jeunes (et à leurs parents) de suivre le rythme sans se perdre.
Au collège et lycée, les disciplines différenciées obligent à multiplier les impressions et les renvois numérisés, tantôt des cours, tantôt des exercices, des évaluations, dans le contexte d’une vie familiale partagée vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Ces exigences instaurent une gymnastique quotidienne entre ordinateur, cahiers, fiches imprimées ou scannées, qui n’économise pas le temps des parents ni des enfants. Elles peuvent contribuer aussi à complexifier les tâches. D’une fiche à l’autre, d’une impression à l’autre, les élèves peuvent perdre sans doute de vue le sens global de leur travail.

Un révélateur de la fracture numérique

Cet usage massif du papier numérique scolaire pose question. L’écart des foyers en termes d’équipements informatiques et la fracture numérique éclatent au grand jour à l’occasion du confinement. De nombreux témoignages, notamment d’enseignants, partout en France, soulignent le manque d’équipements de certaines familles ou les difficiles connections dans les territoires reculés. Il convient d’ajouter à cela le coût important des consommables comme les cartouches d’encre ou le papier. Ils obligent à des achats et donc à sortir du domicile. De nombreuses grandes surfaces encore ouvertes sont en rupture de stock, alors que les prix augmentent. On le voit, les situations dramatiques profitent toujours à ceux qui n’ont aucun scrupule.
La question écologique double ces préoccupations sociales et économiques, comme souvent. Elles ne sont pourtant que peu évoquées et trop peu pensées dans le cadre de cette école à distance souvent improvisée. Si l’usage amoindri des moteurs thermiques profite à l’environnement, quid de l’impact ici des connections sur-utilisées, de l’usage croissant du papier, des encres et du plastique ? Ce questionnement peut d’ailleurs faire l’objet de réflexions et de séquences pédagogiques pour les élèves. De la fabrication des imprimantes et consommables, de leur empreinte carbone, du coût d’achat et du recyclage… autant de beaux sujets à explorer en géographie, en sciences économiques et sociales ou en philosophie.
La pandémie du coronavirus pose crument la question du rapport de l’homme à son environnement. Cela peut être aussi l’occasion de penser autrement l’usage du numérique à l’école et à distance.

Vers un usage plus rationnel
des espaces numériques de travail

Il existe cependant des solutions : l’usage plus rationnel des ENT (espaces numérique de travail), des dossiers partagés entre enseignants et élèves qui font office de cours dématérialisés, documents numériques partagés et mutualisés sur des plateformes dédiées.
L’académie d’Aix-Marseille propose ainsi un document de synthèse fort bien fait qui compile les outils les plus efficients [1]. Les technologies informatiques permettent aujourd’hui de dématérialiser complètement la classe, les cours et séquences et de laisser place à d’autres formes d’apprentissages et d’évaluations sur les connaissances et les compétences. Tout ceci est bien connu. Des outils  comme « Ma classe à la maison », classes virtuelles développées par le CNED, sont aujourd’hui efficace [2]. Des expérimentations ont été menées depuis plusieurs années avec un objectif d’enseignement efficace, à distance et à bas coût.
On peut noter à ce stade qu’un enseignant dispose aussi d’outils numériques simples, disponibles facilement et quasiment sur tous les PC et les systèmes d’exploitation associés, sans avoir recours à des Rolls plus compliquées à piloter. Courriel, documents numériques, vidéo (cours enregistrés avec son smartphone), visioconférences peuvent faire l’affaire. L’usage d’outils collaboratifs, partagés, de petites séquences filmées ou vocales à renvoyer par les élèves peuvent aussi permettre une liaison étroite et une évaluation à distance.
Nous percevons combien les réseaux sociaux peuvent ici offrir des avantages certains pour du lien à distance mais aussi la mise en œuvre de travaux collaboratifs, de communication en petits groupes. De multiples exemples d’usages aussi efficace qu’audacieux sont disponibles sur Internet. Cela nécessite bien évidemment de prendre en main ces nouveaux outils numériques, en évitant au maximum les impressions, donc de repenser son cours et l’acte d’enseigner, éviter les fiches toutes faites pour privilégier les diaporamas commentés, les documents numériques à enregistrer dans des dossiers numériques eux aussi. Il s’agit bien ici, en limitant l’usage du papier numérique (et de l’imprimante) de privilégier des outils performants aux services des élèves, de la fluidité et de l’efficacité de l’enseignement.

Moteur solaire de Mouchot et Pifre faisant fonctionner la presse « l’Utile » de Marinoni, présentée à la Fête de la Jeunesse organisée au profit des écoles au Jardin des Tuileries, à Paris, en 1882 © Cahiers Gutenberg, 2003

Il n’est pas question ne pas faire écrire les élèves, d’effacer l’enseignant, le maître et le livre, mais au contraire de leur donner une place d’autant plus sacralisée qu’elle s’appuiera sur des outils bien adaptés et utilisés. L’enseignant peut privilégier les cours à recopier, les dictées faites sur le cahier « à distance », etc. Cet usage classique de l’écrit n’est pas à proscrire, bien au contraire. C’est bien l’usage du « papier numérique » qu’il s’agit de mettre à distance. Nous y voyons un autre avantage : moins de papier pour plus de livres lus en évitant les documents médians.
Ce confinement long devrait nous obliger à penser ainsi différemment le cadre classique du travail en classe, pour un monde déconfiné mieux armé pour les enjeux de développement durable qui continueront, avec plus d’acuité, de se poser à nous.

Alexandre Lafon

[1] Panorama des outils numériques au service des apprentissages.
[2] CNED : Ma classe à la maison.

Alexandre Lafon
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