Introduire l’écocritique et la zoopoétique dans les analyses littéraires

Les concepts d’écocritique et de zoopoétique commencent à s’implanter dans les études littéraires. Quelle exploitation pédagogique le professeur de français peut-il en tirer ? C’était l’enjeu de la journée d’étude organisée le 1er juin à l’Inspé Paris avec l’universitaire Anne Simon et l’écrivaine Marie Darrieussecq.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Sorbonne université

Les concepts d’écocritique et de zoopoétique commencent à s’implanter dans les études littéraires. Quelle exploitation pédagogique le professeur de français peut-il en tirer ? C’était l’enjeu de la journée d’étude organisée le 1er juin à l’Inspé Paris avec l’universitaire Anne Simon et l’écrivaine Marie Darrieussecq.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Sorbonne université

La zoopoétique serait « une mise en valeur de la pluralité des moyens stylistiques, linguistiques, narratifs, rythmiques, thématiques et dramaturgiques que les écrivaines et écrivains mettent en jeu pour restituer la diversité des activités, des affects, des sentiments et des mondes des animaux» (1), selon Anne Simon, directrice de recherche au CNRS et autrice de l’ouvrage Une bête entre les lignes (2021). Telle est la définition qu’elle a donnée, le 1er juin, lors d’une journée de formation destinée à des professeurs stagiaires à l’Inspé Paris. Bien des textes étudiés à l’école impliquent le monde animal, comme les Fables de La Fontaine, les Mémoires d’un âne de la comtesse de Ségur ou La Chèvre de monsieur Seguin d’Alphonse Daudet. Pourtant, le motif animalier demeure souvent soit simplement illustratif, soit anthropomorphique. Le fabuliste n’affirme-t-il pas : « Je me sers des animaux pour instruire les hommes » ?

Le courant de la zoopoétique cherche à explorer une forme de renouvellement littéraire dans des œuvres qui investissent le vivant en contestant la supériorité de l’anthropocène. C’est ce dont Marie Darrieussecq (2) était venue témoigner. La romancière s’est en effet depuis longtemps saisie de la question animale, notamment dans son best-seller Truismes (1996), dont le sujet est la transformation d’une jeune femme en truie, mais aussi dans son recueil de nouvelles, Zoo (2006).

Vivants piliers

Dans un article paru en 2019, Anne Simon aborde l’écocritique comme « l’analyse thématique de textes qui portent sur l’écologie et sur le monde naturel, mais aussi, plus récemment, sur des lieux comme les cités, les décharges ou les friches industrielles ». Dans un monde où le péril environnemental a déjà atteint un niveau supérieur de gravité et où les jeunes générations sont bien plus « alertées » que les précédentes, les concepts de zoopoétique et d’écocritique ont partie liée.

Deux autres intervenantes, Noémie Tasset, en master 1 Meef, et Noor Reman, en master 2 Meef, ont présenté chacune des projets exploitables en classe. Il a notamment été question de se recentrer sur la figure de l’arbre non plus en tant qu’élément du décor, mais comme « vivant pilier » (Baudelaire) du récit. De quoi renvoyer à un autre best-seller de la littérature contemporaine mondiale, L’Arbre-monde de Richard Powers, lauréat du prix Pulitzer en 2019. L’auteur s’y intéresse non plus seulement à la relation entre l’homme et la nature, comme dans le fameux récit de Giono, L’homme qui plantait des arbres (1953), mais à la communication des arbres entre eux.

Les échanges suscités par ces interventions stimulantes ont montré que l’écocritique appliquée à l’enseignement de la littérature n’était pas simplement thématique. L’analyse du poème de Robert Desnos, « Il était une feuille », souligne une forme de légèreté du phrasé poétique en même temps qu’une forme de balancement reproduisant mimétiquement les mouvements de la feuille de l’arbre :

Il était une feuille avec ses lignes —
Ligne de vie
Ligne de chance
Ligne de cœur —
Il était une branche au bout de la feuille —
Ligne fourchue signe de vie
Signe de chance
Signe de cœur —
Il était un arbre au bout de la branche —

[…]

Écocritique, zoopoétique et programmes scolaires

En classe de cinquième, l’axe « L’homme est-il maître de la nature ? » est caractérisé comme « complémentaire », autrement dit « non essentiel ». Il s’agit pourtant d’un angle d’attaque extrêmement probant avec de jeunes élèves, notamment pour celles et ceux qui ignorent la matérialité de l’arbre, la réalité d’une forêt, l’odeur des animaux de la ferme ou encore les bruits de la campagne. D’où l’idée, progressivement dévoilée au fil de la journée, que faire parler un arbre ou un animal ne va pas de soi. Cela suppose en effet de trouver une nouvelle langue, et revient à s’engager dans une entreprise fondamentalement poétique (3).

Dans l’épilogue du Mal de mer (1999), Marie Darrieussecq, exprime ainsi, en focalisation interne, la pensée de l’animal le plus détesté par les hommes depuis Les Dents de la mer, de Steven Spielberg (1975).

« Le plancton s’épaissit, on peut paître ici, la gueule ouverte, nager dans la nourriture et la chaleur, dans les crevettes minuscules qui, d’un coup, semblent plus nombreuses que le grain de l’eau. La falaise marque un ressaut, la mer est une bouillie, elle chauffe au plat du continent ».

Un champ critique à explorer en formation

« Il est grand temps que le pas de côté impliqué par la zoopoétique et l’écocritique devienne un pas en avant », a fait remarquer, en conclusion, Éric Hoppenot, formateur agrégé de lettres et initiateur de la journée. Avant Baptiste Morizot (4) et ses Manières d’être vivants (Actes Sud, 2020), les grands esprits du XXe siècle, de Jacques Derrida dans L’Animal donc je suis (2002), à Marguerite Duras dans Écrire (1993), y ont consacré des pages décisives. Ne serait-ce qu’en évoquant l’agonie d’une mouche :

« Elle voulait échapper au mur où elle risquait d’être prisonnière du sable et du ciment qui se déposaient sur ce mur avec l’humidité du parc. J’ai regardé comment une mouche ça mourrait. Ça a peut-être duré entre dix et quinze minutes et puis ça s’est arrêté. »

Il est essentiel pour les professeurs de français de constituer de nouveaux corpus en associant des textes littéraires et non littéraires, appartenant à différents champs disciplinaires, des textes dits patrimoniaux et d’autres issus de notre époque en littérature générale, comme le récit d’Alice Ferney, Le règne du vivant (pour le lycée) ou de jeunesse avec la bande dessinée de Zep, The End (3e/lycée), ou bien l’album d’Antony Browne, Dans la forêt profonde pour le cycle 3, ou encore Céleste ma planète de Timothée de Fombelle pour les élèves de cinquième.

A. S.

Ressources :

(1) https://animots.hypotheses.org/zoopoetique

(2) https://mariedarrieussecq.com/

(3) https://journals.openedition.org/transtexts/1194?lang=zh

(4) Œuvre de Baptiste Morizot : https://www.actes-sud.fr/node/63413


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
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