Jean-Claude Pirotte, poète de l’indicible

Jean-Claude PirotteLe poète, romancier et peintre Jean-Claude Pirotte est mort le 24 mai 2014 des suites d’un cancer. Né le 20 octobre 1939 à Namur, il est décédé dans son pays natal, la Belgique, après avoir vécu une grande partie de sa vie en France.

Jean-Claude Pirotte, c’est une voix singulière dans la littérature. Dans son œuvre à la fois puissante et légère, insaisissable, mélancolique parfois, l’autobiographie, à la manière d’un Pierre Mac Orlan qu’il admirait, se mêle à la fiction. Lui qui se considérait comme un musicien raté disait : « Je ne suis pas un écrivain symphonique, je fais de la musique de chambre » (entretien avec Martine Delort, Brèves, n° 631).

Il a publié plus d’une cinquantaine de livres, aux éditions Le Temps qu’il fait, Le Cherche-midi et de La Table ronde principalement, et a obtenu de nombreux et prestigieux prix littéraires : Prix des Deux-Magots, Grand prix de poésie de l’Académie française, Prix Apollinaire, Prix Goncourt-Robert Sabatier de la poésie…


 

Des logis transitoires

Ses livres sont toujours attachés à des lieux, à des « logis transitoires » (lettre du 13 décembre 2005 à Olivier Bailly) : Rue des Remberges et Faubourg (Angoulême), La Pluie à Rethel, L’Épreuve du jour, Autres Arpents, Ange Vincent (Ardennes), Un voyage en automne (Portugal), La Légende des petits matins (Bretagne et Ardennes), Un été dans la Combe (Argonne), Mont-Afrique (Bourgogne), Ajoie (Jura Suisse), etc.

«Pour bien comprendre mon univers il faut me voir dans un paysage 1». « Poète migrateur plutôt que voyageur, écrit Pierre Maury, il se pose là où l’appelle le souffle du vers 2. »Et même du verre. Car Jean-Claude Pirotte aimait à vagabonder là où le vin prend sa source : en Bourgogne, en Angoumois, dans le Cabardès et dernièrement en Arbois. Des pays de vignobles. Il aimait le vin. Cet amour était réciproque. En témoigne sa préface à la réédition de La Mort du vin, de Raymond Dumay (“La petite Vermillon”, La Table ronde, 2006) et ses Contes bleus du vin (Le Temps qu’il fait, 1988).

 

Pourquoi toutes ces citations ? 

Mais en vérité le pays de Pirotte c’est la littérature. Et les écrivains : Marcel Thiry, André Dhôtel, Raymond Dumay, Joseph Joubert, Jacques Chardonne, Henri Calet, Charles-Albert Cingria, Georges Perros, Jean Follain, impossible de les citer tous.

« Ces maîtres, garants et veilleurs, je ne cesserai de leur rendre hommage, de les entendre, de les convier à ma table. » L’une de ses singularités est de citer à profusion tous ceux qu’il admire : « Pourquoi toutes ces citations ? J’avais un don très grand pour le plagiat, il a fallu que je m’en débarrasse. Et je m’en suis débarrassé en citant plutôt qu’en copiant. J’ai le même don en peinture… »

Ce pays, la littérature, il la découvre dans l’enfance, un autre de ces grands thèmes. « L’enfance nous gouverne, à notre insu toujours » (bulletin d’adhésion de Lire en Cabardès, 2001).

 

Un Diogène des temps modernes

Jean-Claude Pirotte publie ses premiers poèmes au début des années 1960, mais c’est à partir de 1981, avec Journal moche, essai (Luneau-Ascot, 1981), qu’il se consacre exclusivement à l’écriture. De 1958 à 1964, fils de deux professeurs de lettres dont le père, ancien résistant, lui aura, confie-t-il, transmis le goût de la clandestinité, il voyage et fait des affaires. Puis, jusqu’en 1975, il est avocat. Cette année-là, la justice belge l’accuse d’avoir favorisé l’évasion d’un détenu en lui transmettant une lame de scie.

Condamné à vingt mois de prison, il fuit. Il raconte cette histoire, son histoire, dans Cavale (La Table ronde, 1997). « Sa cavale devient très vite un vagabondage et fait de lui un Diogène des temps modernes, un amoureux de la vigne » (Joseph Beauregard, Des hommes en cavale, Mille et une nuits, 2001).

Il bénéficie de complicités secrètes. Il élabore alors une œuvre, véritable éloge de la réconciliation avec lui-même, avec le vagabondage, avec l’enfance et la poésie. Jean-Claude Pirotte est l’écrivain unique de l’instant, du lieu, de l’indicible beauté du monde. N’ayant jamais été un criminel, la justice le blanchit, mais Jean-Claude Pirotte ne voudra plus retourner à la vie « normale ». «Les magistrats qui m’ont condamné m’ont accordé une forme de bonheur. Celui de vivre dans l’extraordinaire 3.»

 

Je n’aime pas la subordination

Jean-Claude Pirotte vivait en poète, radicalement. En homme libre. Sans jamais être détaché des affaires du monde.

« Je n’aime pas la subordination, l’assujettissement à une entreprise ou même éventuellement à une idée. Pour mois la vie est faite de paresse d’abord, mais c’est une paresse active, comme disait Georges Perros, qui est un état nerveux par excellence, disait-il. J’ai toujours le sentiment de vivre dans des romans, en vivant à l’hôtel avec des personnages qui sont plutôt des vagabonds en désaccord avec la société. Sans être des anarchistes à tout crin, ce sont des gens qui suivent le cours de leur méditation et le cours des nuages » (in Des hommes en cavale, de Joseph Beauregard, Mille et une nuits, 2001).

Ceci n’est qu’une esquisse maladroite, un aperçu lacunaire, un hommage aussi à l’homme et à son œuvre. Pour approcher cette dernière on se réfèrera aux deux principales études le concernant : Les légendes de Jean-Claude Pirotte, par Pol Charles (La Table Ronde, 2009) et Jean-Claude Pirotte, par Alain Bertrand (Labor, 2006). Mais il importe avant tout de lire ses livres.

« La littérature ne tient qu’à un fil et le fil est absent. »

 Olivier Bailly

1. Tristan Savin, “Jean-Claude Pirotte, l’homme paysage”,  Lire, 1er octobre 2005.
2. Pierre Maury, “Pour saluer Jean-Claude Pirotte”, La République des livres.
3.  Jacqueline Coignard, “Courir pour être libre”,  Libération,‎ 28 avril 2001.
 
• Jean-Claude Pirotte lit des extraits de Blues de la racaille.
La poésie dans les Archives de “l’École des lettres”.
 

Olivier Bailly
Olivier Bailly

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