Job dating à Versailles, avenir royal du recrutement ?

13 000 professeurs recrutés dans l’académie de Versailles en quatre jours pour pourvoir les postes vacants à la rentrée, l’efficacité surprend mais la méthode interroge : n’est-ce pas un signal déplorable adressé à ceux qui sont en train de préparer le Capes ? Ou un dernier mépris à l’encontre d’un concours dévalorisé avant une véritable politique de ressources humaines ?

Par Pascal Caglar, professeur de lettres

13 000 professeurs recrutés dans l’académie de Versailles en quatre jours pour pourvoir les postes vacants à la rentrée, l’efficacité surprend, mais la méthode interroge : n’est-ce pas un signal déplorable adressé à ceux qui sont en train de préparer le Capes ? Ou un dernier mépris à l’encontre d’un concours dévalorisé avant une véritable politique de ressources humaines ?

Par Pascal Caglar, professeur de lettres

Les oraux du Capes n’ont pas encore commencé que l’académie de Versailles s’est déjà pourvue, pour la rentrée prochaine, de 700 professeurs des écoles et 600 professeurs de collèges et lycées en quatre jours. Avec 30 minutes d’entretien par candidat, ce recrutement fut d’une efficacité inégalable, réalisé sous l’œil de médias convoqués en masse pour assister à une opération triomphale aux dires de tous : organisateurs, recruteurs et participants.

Je veux bien croire que, pour un candidat malheureux au Capes, déclaré non admissible il y a trois semaines, se retrouver pressenti pour obtenir un poste à la rentrée prochaine (en faisant donc l’économie des deux jours d’oraux mi-juin), l’affaire est on ne peut mieux engagée. Et je veux bien croire aussi que ce type de recrutement en mode MacDonald (« Venez comme vous êtes ») est une aubaine pour tous ces profils possibles, de l’aventurier opportuniste au missionnaire idéaliste, tous prêts à une expérience d’un an reconductible, plus ou moins sécurisée et plus ou moins contrôlée. Je veux bien entendre que, par ce moyen au moins, les élèves auront des professeurs devant eux en septembre. Mais je ne peux croire que ces contractuels auront tous le bagage disciplinaire et pédagogique nécessaire pour en faire des enseignants totalement fiables, impliqués, familiarisés au monde de l’enseignement, comparables aux étudiants issus des masters Meef et des lauréats d’un concours préparé avec constance et détermination.

En fait, ce n’est pas le recrutement de contractuels qui pose problème, car il se pratique dans toutes les académies depuis des années et recourt aux mêmes critères de sélection. C’est la manière provocatrice, massive, cynique, au moment même où se tiennent les concours, où des candidats travaillent et révisent, qui relève du mépris pour toutes celles et ceux qui attachent à l’Éducation nationale des valeurs comme qualité de la formation, maîtrise disciplinaire, éducation à la recherche et désir de transmettre. Tous ces gens – et ils sont plus nombreux que les chercheurs d’emploi à l’académie de Versailles présents et à venir –, ne peuvent être qu’écœurés par cette dévalorisation de leur métier.

Ce job dating ringardise les concours. Au moment où les postes au Capes ne sont pas pourvus, voici un mode de recrutement qui croule sous les candidatures au point de prévoir des journées d’entretien supplémentaires. Ne sous-entend-il pas qu’il serait plus sélectif, et donc gage de qualité, que des concours bradant les postes ? Les critères de recrutement ne sont-ils pas en train de changer : il faudrait en finir avec le niveau comme seul indicateur de légitimité, et promouvoir la motivation, la communication, l’initiative, la citoyenneté, bien plus en phase avec les missions de l’enseignant d’aujourd’hui ? La fiche de poste de l’académie de Versailles est à ce propos éclairante. L’identité des nouveaux recruteurs semble liquider les anciens jurys constitués d’universitaires et de professeurs de classes préparatoires au profit d’administratifs de toutes sortes.

Un métier qui s’apprend

Le tout numérique n’est-il pas en train de rendre caduque la formation initiale ? Le descriptif des postes se veut bien sûr rassurant : le contractuel bénéficiera de l’assistance de personnels expérimentés, d’outils numériques « clés en main », d’aide à la conception de séquences accessibles en ligne, des réseaux d’activités pédagogiques partagées, etc. N’est-ce pas suffisant ? Et sur le plan financier, quelle différence entre le début de carrière d’un certifié et celui d’un contractuel ? Enfin, le concours lui-même ne deviendrait-il pas une simple promesse de titularisation dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience personnelle ?

Ce pragmatisme décomplexé n’a désormais que faire des plaintes entendues de toutes parts contre une fragilisation du métier, crainte portée par les syndicats à juste titre et que résume très bien ce dernier communiqué de l’Inspé, marqué au coin du bon sens : « Le réseau des Inspé défend l’idée qu’enseigner est un métier qui s’apprend. Pour garantir la réussite des élèves nous devons avoir devant eux des enseignants formés sur un temps long, via une formation universitaire et professionnalisante ». Et la liste pourrait être longue de celles et ceux qui, durablement investis dans leur métier, rappellent sans cesse la nécessité d’une formation continue et spécifique, comme encore récemment les trop souvent négligés professeurs documentalistes demandant, le 1er juin, par le biais de leur association (l’APDEN), plus de moyens pour enseigner correctement la formation aux médias et à l’information.

La situation présente fait revenir à l’esprit une notion bien connue en science physique : l’hystérésis. C’est la persistance d’un phénomène alors que sa cause a disparu. Faut-il craindre que le changement de ministre à la tête de l’Éducation nationale n’empêche pas le système de son prédécesseur de perdurer ? Voire lui donne toute sa mesure alors même que son instigateur n’y est plus ? Ou peut-on espérer voir se mettre en place une politique de ressources humaines concertée et digne pour l’avenir des professeurs et des enfants auxquels ils enseignent ?

P. C.

Pour en savoir plus :

  • Le SNESUP-FSU rappelle l’urgence d’une formation ambitieuse pour les enseignant·es :

« Nul doute que la dégradation abyssale des conditions de formation et d’entrée dans le métier contribue à la situation actuelle de manque de candidat·es aux concours d’enseignement qu’on ne peut plus cacher. Cette baisse, que le ministère a osé qualifier de “prévisible et donc anticipée” (selon les propos d’E. Geffray, DGESCO, point presse du 11 mai) amène en effet les rectorats à organiser en urgence des sessions de “forum de recrutement” pour tenter de faire face. » Lire le communiqué du 2 juin 2022.

Sur L’École des lettres :

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Pascal Caglar
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