La liaison inter-degrés : un objectif fondamental pour la cohésion du système scolaire français

La liaison inter-degrés, préfiguration de PiraneseLe syndrome de la frontière

La simple observation des modes de fonctionnement du système français de la maternelle jusqu’à la première année universitaire aboutit au constant suivant : trop de barrières restent érigées entre les divers niveaux d’enseignement. De la maternelle à l’école élémentaire, de l’école élémentaire au collège, du collège au lycée et du lycée à l’université, la cohésion du système reste sans nul doute plus que jamais à démontrer.
De ce point de vue, les velléités de réforme de l’ancien ministre de l’Éducation nationale pour assurer un meilleur lien « inter-degrés » entre le cycle 3 et le collège en disent long sur les difficultés à faire avancer ce nouveau dossier « sensible ».

Pourtant, il apparaît clair que le système souffre de son obstination à ne pas aller aussi de l’arrière.
Le fossé entre la classe de terminale et la première année de faculté est à ce niveau particulièrement éloquent, tout autant que l’échec qui lui est constitutif et que tout le monde déplore. D’une façon plus générale, combien de « trous d’air » sont repérables dans la scolarité d’un élève tout particulièrement dans ses phases charnières, autrement dit quand il s’agit de sauter d’un lieu scolaire à un autre.

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Inverser la pyramide

Le problème vient sans doute du regard que chacun (professeur des écoles, professeur de collège, professeur de lycée, universitaire) porte sur les enjeux de son enseignement. Or, il est évident qu’il y a une certaine forme d’insécurité professionnelle à se préoccuper à la fois de ce qui a été fait avant et surtout de la manière employée pour le faire.
En effet, beaucoup voient ici une démarche régressive dans tous les sens du terme qui aurait tendance à tirer son enseignement vers le bas. La formation des maîtres et des professeurs a souvent tenté de développer la formation inter-degrés tout en devant déplorer l’opacité des objectifs de chacun. Néanmoins, il est certainement temps de mener des expériences « régressives » – même si le mot peut faire peur – en proposant aux différents protagonistes de la scolarité de l’élève de remonter dans le temps.
On ne mesure pas encore quel bénéfice un professeur de collège aurait par exemple, non seulement à voir comment se passe une séance en CM2, mais aussi, de façon moins évidente a priori, au cours préparatoire soit au moment clef de l’entrée dans la lecture. Ce type d’initiative pourrait cependant s’avérer fructueux dans la mesure où l’observation des manières de faire de l’enseignant “d’avant” et de réagir des élèves permettrait de casser certaines idées reçues.
 

Le défi ultime : un professeur d’université en… maternelle

Le plus beau conseil qu’il nous ait été donné d’entendre en tant que formateur IUFM débutant l’a été de la bouche même d’un directeur de l’un de ces instituts. Le propos alors énoncé tombe aujourd’hui pour nous sous le coup de l’évidence. « Il faut aller en amont, voir comment cela se passe avant, mais quand je dis avant, c’est AVANT, même bien avant… » La leçon fut retenue et amena un agrégé, docteur en littérature, à se frotter aux bancs « très bas » d’une classe de petite section de classe de maternelle.
Il n’y a dans notre propos nulle volonté polémique. Il s’agit simplement de faire comprendre à un professeur de lycée (ou pis à un universitaire) que voir fonctionner quelques heures une classe de « petits » suffit à démontrer l’importance d’une vraie démarche de communication. Parler de façon concrète, regarder son interlocuteur dans les yeux, le faire reformuler ce qui vient d’être dit… Autant d’évidences que l’on aurait tout de même tort, semble-t-il, de ne pas vouloir creuser.

Changer les regards et les perspectives

La démarche régressive que nous prônons y compris dans la mise en place du parcours lettres à l’ÉSPÉ de Paris Sorbonne a toutes les chances de faire grincer les dents. Toutefois, quel honnête homme pourrait décrier une initiative à rebrousse-poil susceptible de changer les regards et les perspectives. Dans le meilleur des systèmes d’enseignement possibles que nous appelons de nos vœux à la force de l’utopie, cette capacité à se retourner enfin vers celui qui, comme le dit l’expression actuelle, « nous a refilé  le bébé » pourrait aider à transmettre un certains nombres de pistes pédagogiques naturellement réinvestissables au niveau supérieur.
De toute évidence, à l’heure actuelle, cette nouvelle mise en corrélation des « blocs » étanches a de grandes chances de constituer un vœu pieux. Toutefois, les difficultés constatés par tous, depuis la maternelle jusqu’à l’université, amèneront forcément un jour prochain les uns et les autres à réfléchir ensemble.
N’est-ce pas le grand défi proposé aux Écoles supérieures du professorat et d’l’enseignement ? N’est-ce pas aussi pour ce qui concerne spécifiquement les professeurs de français le seul moyen de vraiment sauver les lettres ?

Antony Soron

 
• Les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation en débat au Sénat en janvier 2014.
• La politique éducative 2014-2015 dans la circulaire de rentrée.

Antony Soron
Antony Soron

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