"La Lune dans le puits", de François Beaune

francois-beaune-la-lune-dans-le-puitsOuvrez le dernier livre de François Beaune à l’index, vous croirez feuilleter un ouvrage encyclopédique ou savant. Qui plus est, teinté de fantastique. Impression juste, mais bientôt contredite.

Tout ce qu’on lit dans La Lune dans le puits s’est déroulé dans des lieux réels autour de la Méditerranée, « bouche gercée dont la lèvre supérieure s’exprime en latin, et la lèvre inférieure en arabe ».
Toutes sont des histoires vraies...

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À l’origine du projet

Inspiré par le romancier américain Paul Auster, François Beaune a proposé qu’on lui envoie des récits courts, créant un site pour cela. Mais il s’est aussi rendu dans les villes nommées pour recueillir ces histoires. Ainsi, à chaque début, on lit l’auteur en italique, on voit le nom de la personne qui raconte, puis l’histoire.
En écho à ces histoires, on lit celles de François Beaune ou, pour être plus précis, des instantanés à caractère autobiographique. La Lune dans le puits montre en effet le lien qui existe entre l’intime et l’universel, entre ce qu’on est ou croit être, et ce que les autres vivent. Rapportant les souvenirs des autres, on parle de soi, on établit ou suggère des liens. Y-a-t-il tant de différences entre Fernand Reynaud, fantaisiste des années soixante d’origine auvergnate comme l’auteur, et Nasr Eddine ?
Le fil du livre est chronologique. Tous les âges de la vie, de l’enfance à la mort, sont évoqués. Les différentes parties défilent de l’adolescence à la soixantaine. En écrivant son histoire Beaune « incline le réel », il veut le « mettre en italique pour le trouver moins moche ».
 

Des narrateurs multiples,
le vrai roman de la Méditerranée

La présence de l’oral se sent, comme les difficultés que certains narrateurs éprouvent face à l’écrit. Les défaillances sont la matière du livre, pour ne pas dire le matériau. Elles lui donnent sa tonalité. On rit beaucoup, on est effaré, horrifié, accablé.
La Lune dans le puits est, plus qu’un récit personnel, un reportage sur les habitants de terres traversées par les malheurs : occupations, guerres civiles, catastrophes naturelles, ravages provoqués par la misère, le chômage, l’émigration forcée…
Ce pourrait être une litanie ou le menu complet d’un journal télévisé. Or cela donne un livre vivant, souvent très drôle, mettant en scène des êtres malicieux, débrouillards (ou malhabiles), qui font avec. Comme le dit une jeune Algérienne, «J’étais pleine de vie, diabolique et vivante ». Bien des êtres le sont, ici. La Lune dans le puits est le vrai roman d’une terre ancienne bordant une  « soupe tiédasse faite de déchets que tous les empires de la région déversent depuis des millénaires ».
 

Des récits comme des reflets
sur l’eau éteinte au fonds d’un puits

L’humour qui teinte bien des récits, qui les préserve du pathos ne suffit pourtant pas. La présence de la mer, du soleil, de paysages souvent superbes ne fait qu’exacerber la tristesse qu’on peut éprouver à lire certains récits. La lune dans le puits raconte des histoires universelles, des histoires d’amour, de solitude.
Se référant à Léonardo Sciascia, écrivant que la vérité est au fonds d’un puits, qu’on y voit le soleil ou la lune, Beaune écrit : « Ce qui m’intéresse dans ces histoires vraies, ce n’est pas la vérité nue, mais le soleil ou la lune qui se reflète sur l’eau éteinte au fond du puits. »
Ce « roman » fait de voix multiples pose la question de la fiction aujourd’hui, de sa relation avec la « réalité ». Comme l’écrit l’auteur, « Depuis longtemps, je m’intéresse à l’art brut. Ce ne sont pas les œuvres que je collectionne, comme ce ne sont pas les histoires vraies que je collectionne, mais bien les personnages derrière la création, qui me fascinent comme des totems, que je dispose en rond au fond du puits pour les faire vivre dans le miroir, à la lumière de la lune. »
 

Un livre qui appelle des échos

Chacun peut dès lors puiser dans le bric-à-brac des récits pour créer sa propre histoire. À lire ces récits, on a peu à peu envie d’écrire en écho. Rien n’oblige à suivre le fil chronologique, à lire un récit après l’autre dans l’ordre donné par l’auteur. On puise, presque au hasard.
Beaune voit en la Méditerranée la convergence entre « l’esprit de calcul de Descartes, l’esprit méditatif de la philosophie et de la foi, et enfin l’esprit de loisirs et de plaisirs sous toutes leurs formes, nourriture, sexe et vin pour tout le monde ».
On ne saurait rêver mieux.

Norbert Czarny

•  François Beaune, La Lune dans le puits, Verticales, 2013, 480 p.
• Le site www.histoiresvraies.net.

• Voir également les propositions d’écriture de récits et de nouvelles faites ici pour vos élèves.

Norbert Czarny
Norbert Czarny

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