La parole dans les « Lais » de Marie de France (agrégation 2019)

Méta-poétique du « Chèvrefeuille » et du « Rossignol »

« On pourrait faire reproche à notre auteur d’une certaine sécheresse. Il est évident que le style narratif des lais manque un peu de chair. Les phrases sont réduites à l’essentiel. » Ces remarques de Philippe Ménard dans Les Lais de Marie de France. Contes d’amour et d’aventure du Moyen Âge, soulignent un fait objectif. Reste à l’interpréter.
Cette esthétique de la brièveté, cette économie de moyens, ce dépouillement, doivent être mis en relation avec la conception de la parole et de la communication, dans l‘œuvre.

Secret
Garder le secret est une topique de la littérature courtoise. La fin’amor, en effet, érigée en doctrine par André le Chapelain, exige pour préserver un amour illicite que les amants gardent le secret sur leur relation. Ils sont menacés par la jalousie des losengiers qui ne songent qu’à les observer pour dénoncer une relation coupable. La belle fée qui a séduit Lanval lui interdit de révéler leur union.
La nécessité du secret est donc la principale contrainte qui interdit une communication simple et facile entre les amants. On se parlera à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes, quitte à inventer des subterfuges et des stratagèmes pour établir le contact. Dans sa chambre, la dame isolée du conte Yonec prononce une prière secrète qui sera exaucée par la venue de son chevalier oiseau. Les ennuis commenceront quand elle sera surprise, par manque de prudence dans leurs rencontres. Son amant l’avait prédit. La vieille femme chargée de les surveiller les a surpris et trahis. Dans le Rossignol les parfaits amants communiquent la nuit, séparés par le faible espace entre leurs maisons voisines.
Mensonge
Garder le secret équivaut souvent à mentir. La dame ment à son mari quand elle lui dit qu’elle se lève la nuit pour écouter le chant du rossignol. Mis au courant, le mari pose en secret des pièges, capture et tue l’oiseau. Il affirme à son épouse qu’il l’a tué pour qu’elle passe de meilleures nuits. Il lui fait ainsi comprendre ironiquement sa colère et sa vengeance. Il déguise son discours en une fausse ignorance. Ses propos accompagnés de son geste cruel sont plus violents qu’une révélation explicite. Les sous-entendus sont lourds de reproches : « Vous m’avez menti. Je ne suis pas dupe. Je vous rends la pareille en vous mentant à mon tour. Voilà comment je traite ton amour. »
Médisance
Le langage sert à dissimuler le sens. Il sert aussi à faire du tort. La parole a le pouvoir de nuire. Elle est souvent au service de la malveillance et de la médisance. Dans le conte Frêne, on fait référence à un pseudo-savoir selon lequel les femmes qui ont des jumeaux ont eu des relations avec deux hommes. Cette croyance aberrante est reprise par une femme qui en accuse une autre. L’usage de cette calomnie va se retourner contre celle qui l’a pratiquée.
Lanval souffre aussi beaucoup de la médisance. Il ne s’intéresse pas aux femmes, ni à l’amour. La reine Guenièvre, telle la femme de Putiphar dans la Bible, cherche à le séduire. Lanval l’éconduit. Furieuse, la reine suggère qu’il est homosexuel. Bien pire, elle le dénonce au roi en l’accusant de lui avoir fait des avances. À demi-mots Marie laisse entendre qu’elle-même a souffert de graves injustices et de nombreuses calomnies à la cour d’Henri II Plantagenêt. Les courtisans, par orgueil et jalousie, cherchent à nuire à sa gloire de femme de grant pris en répandant des mensonges et des vilenies contre elle (prologue de Guigemar) : Cil ki de sun bien unt envie / sevent en dient vilenies / sun pris li vuelent abaissier (v. 9-10) (« Les envieux se répandent en calomnies pour diminuer sa gloire. »).
[…]

Jean-Louis Benoit,
Université de Bretagne-Sud, laboratoire HCTI

 

L’intégralité de cette étude
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Jean-Louis Benoit
Jean-Louis Benoit

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