La préprofessionnalisation, une clef pour répondre à la crise des vocations enseignantes ?

L’évolution permanente du rapport au savoir et des modes de transmission des connaissances au sein de notre société a de quoi interroger les potentiels futurs enseignants.
Dans un tel contexte, la question de la préprofessionnalisation reste cruciale. À ce titre, l’objectif préprofessionnel tracé par le ministère de l’Éducation nationale répond-il de façon adéquate aux enjeux de l’avenir de l’école ?

Une crise de représentation du métier

Il est presque devenu d’usage de constater périodiquement dans les médias le mécontentement multifactoriel des enseignants – s’agissant de leur salaire, des conditions d’exercice de leur métier ou de l’absence de reconnaissance institutionnelle. Pourtant, par-delà les idées reçues et les caricatures, les faits sont là, aussi durables que têtus. Dans un contexte de forte instabilité des valeurs, des codes et des relations citoyennes, enseigner relève aujourd’hui plus d’une véritable mission que d’un simple métier. L’attente de l’« archi-prof », de la part des parents d’élèves et de l’institution, maîtrisant outre sa discipline, la psychologie de l’enfant, le numérique, les neurosciences, voire la médiation familiale… n’apparaît pas d’ailleurs en elle-même illégitime.
À condition, bien entendu, que tout soit fait pour donner aux plus jeunes l’envie d’en être. Ce qui implique nécessairement une revalorisation des salaires, une optimisation de la formation et un suivi constructif des carrières.
Or, il est assez évident que le hiatus ne fait que croître entre cette exigence exponentielle et la valorisation concrète du plus beau métier du monde. À ne regarder que l’évolution du point d’indice, comment ne pas être enclin à conclure que le credo ministériel persistant demeure toujours plus (d’investissement professionnel) pour toujours moins (de rémunération) ?

Préprofessionnalisation : la solution idéale ?

Dans un contexte d’endettement massif de l’État, il n’est pas simple pour son ministère « mammouth » de participer à la revalorisation des métiers de l’enseignement en activant le levier financier. L’exercice périlleux de la réforme consiste ainsi en premier lieu à ménager les dépenses publiques. Il était donc assez naturel que le coût de la formation des enseignants soit passé au peigne fin. Critiquée d’à peu près partout, avec une tendance irrépressible et durable à jeter le bébé avec l’eau du bain, elle semblait être le sujet de réforme idéal puisque quasi incontestable. D’où l’idée non pas de tout changer mais de réaménager une fois de plus la formation.
De ce point de vue, la décision ministérielle de permettre à des étudiants de se confronter au public scolaire (école élémentaire, collège) dès l’année de L2 relève a priori du bon sens à la fois économique et pratique : comment imaginer un instant qu’un futur professeur certifié qui n’a bénéficié pour l’essentiel que de cours magistraux durant ses études à l’université puisse appréhender sereinement la réalité scolaire sans jamais l’avoir éprouvée préalablement ? Dans cette perspective, la préprofessionnalisation semble participer d’une approche plus pragmatique des situations éducatives et d’enseignement.
Pour autant, cette « pré-orientation », tout juste un an après l’obtention du baccalauréat, ne doit pas être posée comme une solution-miracle même si, sur le plan comptable, elle permettra de combler à peu de frais des manques de professeurs au sein des établissements. Et ce, d’abord, parce que beaucoup d’étudiants n’ont à cet âge qu’une idée encore très floue de leur avenir professionnel. Il y aurait même fort à parier que dans certains contextes difficiles et avec un accompagnement insuffisant, la préprofessionnalisation puisse s’avérer parfaitement contre-productive.
L’erreur d’analyse consiste ici sans doute à considérer que la vocation enseignante est uniforme alors qu’elle apparaît à l’inverse très variable en termes tout à la fois d’élément déclencheur et de moment de déclenchement.

Ce qui se fait déjà en matière de pré-pro

Un public non averti aura toujours tendance à voir dans une annonce ministérielle efficace du point de vue de sa communication, une nouveauté, a fortiori quand elle affiche ostensiblement son pragmatisme. Or, pour ce qui concerne le domaine de la préprofessionnalisation, il importe de rappeler que les universités fournissent déjà un travail utile et apprécié des étudiants. Il faut ainsi constater la réalité effective de modules de préprofessionnalisation chargés justement d’aider au cheminement professionnel des étudiants organisés par des spécialistes de la formation et/ou de l’éducation.
Ce rappel n’est pas insignifiant. En effet, la présence sur le terrain d’un étudiant ne garantit en rien une appréhension fine du système scolaire. Être confronté à une réalité brute ne suffit ni à construire une posture ni à déclencher une conscientisation professionnelle rigoureuse.
On en revient ici, par conséquent, non pas à la question de la rémunération des préprofessionnels mais à leur encadrement. Qui les accompagne ? Selon quelles compétences et pour quels bilans et analyses de pratiques ? Mal conseillé, insuffisamment éclairé, un étudiant verra ses représentations du fait scolaire se figer et ses idées reçues se renforcer.
Ces observations peuvent apparaître au premier abord comme des éléments contingents par rapport à la logique de réforme de la formation. Toutefois, à y regarder de près, on s’apercevra sans mal que l’intention expérimentale réside dans le projet ministériel en même temps que la logique de moindre dépense. Comme s’il suffisait d’être simplement confronté au système éducatif pour le comprendre ; comme s’il suffisait de pratiquer pour maîtriser l’art d’enseigner. Le débat ne consiste donc pas, soit à repousser par principe une réforme, soit à l’adopter sans ciller : l’épreuve du feu ne peut pas tout.
Par ailleurs, on peut déjà constater aujourd’hui que certaines expériences de terrain dans les stages d’observation organisés en M1 MEEF constituent de cinglants échecs. D’où l’absolue nécessité d’une présence des formateurs (aujourd’hui de l’ÉSPÉ) dès la période de préprofessionnalisation pour alimenter la réflexion vivace et durable d’un pédagogue en « germe ».

Antony Soron, ÉSPÉ Sorbonne Universit

• Voir sur ce site : Préprofessionnalisation des enseignants: une réponse, beaucoup de questions, par Pascal Caglar.
Préprofessionnalisation : une entrée progressive et rémunérée dans le métier de professeur sur le site du ministère de l’Éducation nationale.
 

Antony Soron
Antony Soron

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