L’allongement du délai d’inscription :
le signe de trop

Depuis de longs mois, le vivier des candidats aux concours de l’enseignement se tarit. Alors que la date butoir d’inscription était prévue au 18 novembre, le ministère de l’Éducation nationale l’a reportée au 2 décembre. Simple report ou signe des temps ?

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres,
Inspé Paris Sorbonne-Université.

Depuis de longs mois, le vivier des candidats aux concours de l’enseignement se tarit. Alors que la date butoir d’inscription était prévue au 18 novembre, le ministère de l’Éducation nationale l’a reportée au 2 décembre. Simple report ou signe des temps ?

Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres,
Inspé Paris Sorbonne-Université.

« Rengagez-vous ! » qu’ils disaient dans la légion ! L’humour n’est sans doute pas de bon aloi en cette période de marasme enseignant, mais l’exclamation ne manque pas d’ironie tant cette exhortation à s’engager appliquée au monde éducatif trouve de moins en moins d’écho chez les étudiants, toutes disciplines confondues. Il fut un temps, pas si lointain, où les enseignants étaient enviés dans la société française avec « leur salaire à vie » et leurs « nombreuses vacances ». À observer les courbes de candidatures, la situation a basculé.

À mettre au crédit du gouvernement : l’augmentation du salaire des jeunes enseignants. Elle tend à compenser la baisse d’attractivité des débuts de carrière, sachant que, depuis l’instauration du concours en master 2, les enseignants stagiaires ne commencent à percevoir une rétribution non plus au début mais à la fin de leur année, soit après un bac + 5 révolu. Ce qui signifie qu’ils perdent une année de salaire par rapport à la situation antérieure.

La réévaluation salariale aurait dû avoir un impact dès cette année universitaire sur le nombre de candidatures. Tel n’est pas le cas, révèle la récente décision d’allonger les délais d’inscription aux concours. Sont concernés le recrutement des enseignants du premier et du second degré, celui des personnels de l’éducation, des psychologues de l’éducation, des personnels d’encadrement, des personnels de la jeunesse et des sports, des personnels administratifs, sociaux, de santé et des bibliothèques.

Première hypothèse d’un blocage des vocations

Au sujet des professeurs des écoles et de collège-lycée, on est ainsi enclin à s’interroger : pourquoi le désir d’enseigner s’est-il autant asséché ? Pourquoi rejeter des professions pourtant porteuses de sens ? « Pourquoi faire autant d’études pour si peu de reconnaissance ? », rétorquent en substance les étudiants. Ce terme de « reconnaissance » revient souvent dans les témoignages : reconnaissance des élèves, des parents, de l’institution. Pour beaucoup, les étudiants entretiennent une vision tellement dégradée du métier qu’ils refusent de s’y projeter.

S’exprime également une amplification d’une forme d’insécurité professionnelle. Les enseignants, même chevronnés, confient ne pas se sentir assez protégés dans l’exercice de leur fonction. Il est difficile de pointer avec certitude le moment originel de cette faillite de confiance. L’assassinat du professeur d’histoire-géographie, Samuel Paty, en octobre 2020, a certainement exacerbé des craintes que d’aucuns refoulaient. Et le ministère n’a pas, de toute évidence, pas assez travaillé sur les conséquences de cette affaire tragique.

Par ailleurs, la désagrégation des relations entre enseignants, parents et élèves du fait des nouveaux moyens de communication numériques n’a pas été prise en considération. Il est de moins en moins rare, par exemple, que des professeurs soient insultés sur les réseaux sociaux. Les futurs enseignants y sont-ils pour autant préparés ? Des protocoles rigoureux de réaction ont-ils été conçus dans le cadre de leur formation ? « Est-ce que quelqu’un va nous préparer à gérer les conflits avec les parents avant que l’on soit sur le terrain ? », interroge une étudiante de M1 Meef en formation à l’Inspé Paris.

L’intégration : une nécessité en forme de défi impossible ?

L’école, et c’est tout son honneur, défend une mission de service public à vocation intégrative. Il serait fâcheux qu’elle devienne une machine à exclure. Pour beaucoup de futurs enseignants, le degré d’hétérogénéité de la classe constitue un casse-tête pédagogique qui nourrit un autre type d’anxiété préprofessionnelle. Il convient d’être factuel et d’observer la réalité de la multiplication des profils spécifiques au sein d’une même classe : élèves à haut potentiel, ayant un dossier TDH, accompagnés d’un assistant de vie scolaire (ASV), présentant un handicap… Le caractère composite de leurs futures classes tétanise certains futurs enseignants. Et ce d’autant plus que l’organisation de l’intégration de tous ne leur est enseignée que dans ses dysfonctionnements.

Nombre d’étudiants s’interrogent sur les moyens d’acquérir des compétences en matière de pédagogie différenciée. La crainte de ne pas être à la hauteur d’enjeux humains aussi complexes pèse lourd dans leurs réticences. À noter : les professeurs, y compris les plus expérimentés, se déclarent globalement compétents sur le plan disciplinaire, mais concèdent se sentir moins armés pour la pratique d’une différenciation efficace, voire démunis quand ils constatent l’éclatement des particularismes à l’intérieur de leurs classes. « Comment on fait quand… ? », s’interrogent-ils en formation initiale et continue. Cette question contient dans beaucoup de cas, un présupposé d’impossibilité. Il est urgent de s’atteler à réenchanter le métier en redonnant confiance à toutes celles et ceux qui auraient tant à lui apporter.

A.S.

À retrouver sur le site


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron