Le Grand Palais voit Rouge : art et utopie au pays des Soviets

Affiche de l’exposition. Gustav Klucis, reproduction d’après « L’URSS est la brigade de choc du prolétariat mondial » (affiche), 1931 © Musée national des Arts de Lettonie, Riga

Aussitôt son entrée acquittée le visiteur se voit immergé dans la Russie d’Octobre 1917 : affiches, images, tableaux, propagande : bienvenue au pays des soviets !
Un monde nouveau d’espérance, d’exaltation sociale, de valeurs ouvrières, de solidarité artistique vous frappe avec une force d’évidente libération.
Pas de drapeau ou d’étendard pour autant, mais un simple rectangle monochrome rouge, Pur rouge, d’Alexandre Rodtchenko (1921) – rideau, fin de la peinture, fin de l’art bourgeois, fin d’un monde avant reconstruction.

Alexandre Rodtchenko, « Pur rouge », 1921. huile sur toile, Moscou, coll. privée © Adagp, Paris, 2019 / photo A. Rodchenko & V. Stepanova Archive.

L’exposition Rouge donne à voir en effet comment les arts vont participer entre 1917 (révolution d’Octobre) et 1953 (mort de Staline) à la construction de ce monde soviétique dirigé d’abord par Lénine (première partie de l’exposition : la participation révolutionnaire multidirectionnelle des artistes) puis à partir de 1927, par Staline, instaurant le grand tournant du réalisme social et radieux (deuxième partie).
Le parcours chronologique recoupant les deux étages du Grand Palais multiplie les coups de projecteurs sur les différentes expressions artistiques : la peinture (le suprématisme de Malevitch), la poésie (le lyrisme futuriste de Maïakovski), le photomontage de propagande (Klucis), le théâtre (la biomécanique de Meyerhold), le cinéma formaliste (Eisenstien), l’architecture sociale (le club ouvrier de Roussakov) et les arts appliqués du quotidien (meubles, vêtements, jeux). La première époque de la révolution d’Octobre éblouit par son inventivité, sa volonté de transformer le monde, son énergie dans la promotion des valeurs nouvelles, l’obsession de l’utilité, de la productivité, de la morale communiste.
Alexandre Deïneka, « Lénine en promenade avec des enfants », 1938. Musée central des forces armées, Moscou © Adagp, Paris, 2019 / photo Musée central des forces armées, Moscou.

L’époque stalinienne est moins diversifiée et la ligne artistique imposée, plus tournée vers le passé, est l’occasion d’un retour au réalisme en peinture avec notamment de remarquables exaltations de la culture physique (le corps militaire), le retour aussi à une architecture urbaine où le monumental se conjugue avec l’ornemental traditionnel russe (reconstruction de Moscou, creusement du « palais souterrain » du métro), le retour enfin à une peinture d’histoire à vocation mythique (consécration des images de Lénine et de Staline).
Le visiteur traverse ainsi vingt-cinq ans de propagande plus ou moins subtile, plus ou moins créative, plus ou moins fidèle à ses idéaux originaux. Maïakovski se suicide, Meyerhold est exécuté en prison, mais l’exposition ne veut suivre que la version officielle du régime et préfère consacrer un espace aux cadeaux offerts du monde entier à Staline pour ses soixante-dix ans plutôt que de faire entendre les voix plus dissidentes. Ce choix est d’ailleurs conforme au titre de l’exposition : Art et utopie au pays des soviets. L’objectif est parfaitement atteint : la visite s’achève avec le très beau tableau d’Alexandre Deïneka, tableau utopique représentant une grande décapotable dans laquelle ont pris place Lénine et des enfants, cheveux au vent, filant à travers une campagne riante au-devant d’un avenir radieux.
Alexandre Deïneka, « Pleine liberté », 1944, Saint-Pétersbourg, Musée national russe © Adagp, Paris, 2019 / photo State Russian Museum, Saint-Petersbourg.

Pour prolonger l’exposition, la Réunion des musées nationaux propose un ensemble d’événements gratuits, des rencontres, des spectacles et des films, pour la plupart donnés dans le très confortable auditorium du Grand Palais. Si le théâtre de Meyerhold a suscité de la curiosité il faut compléter sa découverte par les lundis sur scène (jeux, lectures et conférences), si les nombreux extraits de films durant l’exposition ont donné l’envie de voir des films complets, on recommandera le cycle Eisenstein, et si la musique russe de cette première moitié du XXe siècle vous revient en mémoire, la fête de la musique au Grand Palais célébrera Chostakovitch, Prokofiev et quelques autres.
Rarement autant qu’avec une telle exposition le visiteur aura réalisé à quel point l’art, et pas seulement au pays des soviets, a été et est au cœur de nos sociétés, de nos vies et de nos représentations du monde.

Pascal Caglar

Iofan, Chtchuko, Gelfreikh, maquette du Palais des soviets, 1932, Musée d’architecture, Moscou

Bande-annonce de l’exposition.
• Quelques lectures de poètes russes à confronter avec les surréalistes français :
Vladimir Maïakovski, À pleine voix, anthologie poétique, « Poésie », Gallimard.
Ossip Mandelstam, Tristia et autres poèmes, « Poésie », Gallimard.
Collectif (Mandelstam, Blok, Akhmatova, Brodsky, Tsétaiëva), L’horizon est en feu, « Poésie », Gallimard.
Boris Pasternak, Ma sœur la vie et autres poèmes, « Poésie », Gallimard.

Pascal Caglar
Pascal Caglar

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