« Le lion et le papillon »,
atelier théâtre autour de La Fontaine.

« De La Fontaine à Molière, l'éveil de l'esprit critique » proposent le château de Versailles et l'académie de Versailles. Parmi les cinq cent dix classes inscrites à ce projet d’éducation artistique et culturelle, les CM2 de l'école Anatole-France du Plessis-Robinson ont suivi, en décembre dernier, l'atelier « Le lion et le papillon » consacré aux Fables de La Fontaine. Une activité qui a débouché sur une formidable séance de théâtre collectif.

Reportage de Sylvie Dodeller, journaliste et écrivain

« De La Fontaine à Molière, l’éveil de l’esprit critique » proposent le château de Versailles et l’académie de Versailles. Parmi les cinq cent dix classes inscrites à ce projet d’éducation artistique et culturelle, les CM2 de l’école Anatole-France du Plessis-Robinson ont suivi, en décembre dernier, l’atelier « Le lion et le papillon » consacré aux Fables de La Fontaine. Une activité qui a débouché sur une formidable séance de théâtre collectif.

Reportage de Sylvie Dodeller, journaliste et écrivain

« Qui est-ce ? Est-ce que vous reconnaissez cet homme ? ». L’animatrice montre au groupe d’enfants la reproduction d’une gravure du XVIIe siècle.

« Louis XIV ! », répondent-ils en chœur…

L’animatrice, dont les yeux sourient au-dessus de son masque, ne se laisse nullement démonter : « C’est vrai qu’avec cette perruque bouclée, on dirait bien Louis XIV. Mais ce n’est pas lui, c’est Jean de La Fontaine… Et vous savez quel âge a ce monsieur ? 400 ans ! Il est né en 1621 et l’on fête cette année le 400e anniversaire de sa naissance. »

Comme la plupart des Français, les vingt-huit élèves de CM2 de l’école Anatole-France du Plessis-Robinson ne savent pas bien qui était La Fontaine. Mais ils sont capables de citer, voire de réciter, cinq ou six de ses fables les plus célèbres. Pendant les deux heures que dure l’atelier « Le lion et le papillon », l’animatrice et comédienne Valérie Benjamin va s’employer à les mener bien au-delà des textes familiers. Au terme d’une promenade-conférence dans les pas de La Fontaine, ils vont découvrir que les fables se lisent et se récitent, certes, mais peuvent aussi être jouées, mimées, interprétées lors d’une séance théâtrale hautement stimulante.

Comment parler de La Fontaine à Versailles, alors qu’il n’y a jamais mis les pieds ?

Première étape, la cour de marbre du château de Versailles, lumineuse et glacée en ce matin d’hiver. Les enfants, emmitouflés dans leur parka, sautillent sur le dallage noir et blanc tout en écoutant l’animatrice évoquer le Roi-Soleil « fou des arts ». Ils apprennent que divers endroits de son palais étaient régulièrement transformés en lieu de spectacle, et que le vaste damier de la cour de marbre se prêtait à merveille à la scène ouverte. Musiciens, comédiens, danseurs s’y produisaient face au public déployé quelques marches plus bas sur l’avant-cour. Pour se faire entendre, les comédiens devaient « projeter leur voix très fort, loin devant eux ».

« Y a-t-il des volontaires pour tenter l’expérience ? » Dounia, Michaël, Titouan et Louise sont invités à lire la morale du « Corbeau et du Renard », chacun avec une version différente (celles de La Fontaine, d’Ésope ou de Pierre Lévêque) en faisant « jaillir leur voix » jusqu’à la statue équestre de Louis XIV qu’ils aperçoivent à 200 mètres.

Les fables étaient souvent mises à l’honneur à Versailles, car la cour en raffolait. À tel point que l’un des plus fameux bosquets des jardins leur était dédié. Conçu par Perrault, Lebrun et Le Nôtre, le labyrinthe végétal mettait en scène trente-neuf fables d’Ésope, soit un bestiaire de plus de trois cents animaux de plomb, éclatants de couleurs vives, desquels jaillissaient des fontaines.

« Malheureusement, je ne peux pas vous le montrer, déplore l’animatrice. Ce bosquet considéré comme l’un des plus somptueux des jardins de Versailles a été démantelé en 1778 et remplacé par le bosquet de la reine. Voici ce qu’il en reste… » Elle extrait de son sac des photos de quelques animaux de plomb, très abîmés il est vrai, et conservés tels quels dans les réserves du château. La comédienne précise que chaque fontaine était accompagnée d’un cartel où figurait, sous la forme de quatrain, la morale de la fable représentée.

« Devinez qui avait rédigé ces vers ! », lance Valérie Benjamin.

« La Fontaine ? », tentent les enfants.

« Ce serait logique, en effet. Pourtant, c’est un autre qui s’en est chargé : le poète Isaac de Benserade. Vous le connaissez ? Non ? Moi non plus ! Il est aujourd’hui complètement tombé dans l’oubli. C’est tout de même curieux que La Fontaine n’ait pas été sollicité pour ce projet. Pourquoi à votre avis ? … Je vous donne la réponse : Louis XIV ne l’appréciait pas. D’ailleurs, la Fontaine n’a jamais été invité à la cour de Versailles. Il n’y a même jamais mis les pieds ! »

La nouvelle fait son petit effet. Les enfants, la mine étonnée, attendent une explication… qui ne vient pas. Enfin, pas tout de suite. La comédienne les entraîne à l’intérieur du château, à travers de vastes couloirs qu’ils s’amusent à parcourir d’une « démarche royale » et rejoignent la salle où va se jouer, au sens propre, la deuxième partie de la l’activité.

« Qui était La Fontaine ? Pourquoi le roi l’a-t-il banni de sa cour ? » Devant un parterre attentif, Valérie Benjamin se fait conteuse pour retracer le parcours sinueux de Jean de La Fontaine. Son enfance à Château-Thierry, la tentation de la prêtrise, la charge de maître des eaux et forêts, le succès tardif des Fables… Au passage, elle s’attarde sur les fêtes de Vaux et la chute de Fouquet que Jean de La Fontaine fut l’un des rares à soutenir. Un choix lourd de conséquences : Louis XIV ne l’a jamais pensionné ni invité en effet, et a tout fait pour empêcher son élection à l’Académie française.

Comment faire improviser une classe sur une fable qui n’a jamais existé ?

Les enfants sont invités à se déployer dans la salle. L’entrée en matière sur La Fontaine et les Fables à Versailles va leur servir… de matière, justement.

La fable « Le Lion et le Papillon » sur laquelle ils s’apprêtent à travailler n’existe pas, mais ses trois personnages leur sont désormais familiers.

Le lion, c’est facile, les enfants identifient parfaitement Louis XIV, le roi tout-puissant.

Le papillon qui voltige autour du lion, tel la mouche du coche, c’est bien sûr La Fontaine qui se décrit comme un papillon dans le Discours à Madame de La Sablière. La preuve en citation :

« Papillon du Parnasse et semblable aux abeilles 
À qui le bon Platon compare nos merveilles :
Je suis chose légère et vole à tout sujet,
Je vais de fleur en fleur et d’objet en objet. 
»

Il s’avère que le lion et le papillon sont flanqués d’un rat. Personnage connu. C’est le petit dont on a toujours besoin, celui de la fable « Le Lion et le Rat » que ces élèves de CM2 ont révisée en classe.

Il est temps maintenant de travailler au corps ces trois protagonistes.

En guise d’échauffement, la comédienne demande aux vingt-huit élèves de se déplacer dans la salle comme des lions, fiers et ombrageux, comme des rats, toutes dents dehors, puis comme des papillons qui s’extraient de leur chrysalide avant de prendre leur envol. Quelques joyeux battements d’ailes plus tard, les rats, les lions et les papillons se saluent en y mettant une intention. Suivant les consignes : mimer la surprise, la frayeur, l’énervement. L’échauffement de la voix, le travail de diction sont autant d’occasions d’apprendre de nouveaux mots en lien avec les fables. Les enfants répètent à tue-tête « an-tro-po-mor-phisme » et s’amusent du palindrome « Ésope, reste ici et se repose ».

Enfin, les corps sont relâchés, l’espace apprivoisé, les voix prêtes à l’emploi et le décor planté. Place au jeu ! Par groupe de trois, les enfants improvisent une saynète dans laquelle le lion, agacé par un papillon, tombe dans un trou, puis est secouru par un rat. Au fil des passages, chaque trio utilise l’improvisation du groupe précédent pour l’enrichir de ses propres trouvailles. Peu à peu, le jeu des jeunes acteurs s’amplifie. Le rat se transforme en petit rat de l’Opéra, le lion se déplace avec de plus en plus de majesté, le papillon se fait taquin, insolent même… Les dialoguent s’épaississent et font mouche :

« Ôte-toi de ma demeure, rat ! Tu as fait un trou dans ma tapisserie préférée ! »

Ou encore :

« Aide-moi, rat ! Ou je te tue !

Si tu me tues, ça va être compliqué de t’aider… »

Par couches successives, une œuvre collective se crée et prend forme en direct, sous les yeux des enfants tour à tour acteurs et spectateurs. S’il y a bien une personne attentive à ce qui se joue sur scène, c’est leur enseignante, Charlotte Siette : « En élémentaire, on demande souvent aux professeurs des écoles d’être polyvalents, mais nous ne savons pas tout faire. Ce genre d’atelier tourné vers le théâtre nous donne vraiment des billes pour travailler en classe. »Elle regarde les enfants implorer l’animatrice de les laisser retourner une deuxième fois sur scène : « Vous avez vu ? ils en redemandent ! » L’enseignante sait ce qu’il lui reste à faire dans les prochains jours en cours. Elle est arrivée avec une classe, elle repart avec une troupe !

S. D.

Sylvie Dodeller est l’autrice de La Fontaine, en vers et contre tout ! et de Molière. Que diable allait-il faire dans cette galère ?, deux biographies l’école des loisirs destinées aux collégiens.

Le programme complet du projet ”De La Fontaine à Molière, l’éveil de l’esprit critique ”

https://www.ac-versailles.fr/actualites/de-la-fontaine-a-moliere-l-eveil-de-l-esprit-critique-124238

Sylvie Dodeller
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