Le modèle noir de Géricault à Matisse

Jean-Léon Gérôme (1824-1904), étude d’après un modèle féminin pour « À vendre, esclaves au Caire », vers 1872. Coll. part. © Photo Galerie Jean-François Heim, Bâle.

Une sortie (scolaire) à ne pas manquer

L’exposition qui vient d’ouvrir et se tiendra au musée d’Orsay jusqu’au 21 juillet est plus qu’une exposition picturale : cette représentation du Noir dans l’art – peinture, dessin, sculpture, affiche  – est à la croisée de l’histoire politique, l’histoire littéraire et l’histoire des mentalités depuis la Révolution française jusqu’aux années folles.

Elle donne à voir comment les artistes ont d’abord participé à la lutte pour l’abolition de l’esclavage (1789-1848), puis à la dignité d’un modèle noir à l’époque coloniale et raciale (1848-1918) et enfin à une reconnaissance artistique de ces hommes et femmes à l’heure de l’influence américaine et du séjour de Matisse à Harlem (1918-1930).

Non seulement les portraits, études, sculptures présentés sont saisissants de beauté et valent cette comparaison avec l’Antiquité suggérée par plus d’un titre comme Vénus noire mais il sont tous porteurs d’une histoire sur l’identité du modèle, sur les rapports entre l’artiste et son modèle, sur l’accueil réservée aux œuvres.

Théodore Géricault, Étude de dos (Joseph)  © RMN-Grand Palais

C’est le cas pour le digne Portrait de Madeleine peint par Marie Guillemine Benoist (1800), pour Joseph, le puissant modèle privilégié par Géricault qui sera représenté dans Le Radeau de la Méduse (1818-1819), les bustes de nobles africains réalisés par le sculpteur orientaliste Charles Cordier entre 1840 et 1860, l’énigmatique Jeune Noir à l’épée de Puvis de Chavannes (1850), ou encore Laure, cette femme peinte par Manet un bouquet de fleurs à la main derrière la fameuse Olympia (1863). Une question toutefois : si la volonté de restituer une identité propre à chacun de ces modèles est louable, était-il nécessaire de changer les titres traditionnels des tableaux ?
Bien soulignée dans chaque section, la littérature n’est jamais loin puisque l’histoire de l’abolition de l’esclavage rappelle que Lamartine a écrit un poème dramatique intitulé Toussaint Louverture, qu’Alexandre Dumas, petit-fils d’une esclave affranchie de Saint-Domingue, faisait l’objet de nombreuses caricatures stigmatisant ses origines mais n’hésitait pas à moucher ses détracteurs :

« Mon père était mulâtre, mon grand-père était nègre, et le père de mon grand-père était singe. Vous voyez que je descends de la race à laquelle vous appartenez. »
 

Charles Baudelaire, portrait de Jeanne Duval (1865) © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Jean-Gilles Berizzi

Les vers de Baudelaire ne sont jamais loin, ni ses dessins de Jeanne Duval qui côtoient l’imposant portrait par Manet de la muse exotique.
D’une manière générale c’est tout le romantisme et son goût pour l’orientalisme qui trouve place dans l’exposition, tout comme le surréalisme et l’inspiration africaine qui vient clore ce parcours artistico-littéraire avec Man Ray et Picasso.
En complément de l’exposition, et comme pour souligner la rapide évolution de la représentation du noir dans les arts (et ses répercussions dans les mentalités), le professeur pourra montrer deux portraits de Noirs dans la littérature romantique, George, dans le mélodrame Le Nègre de Balzac (1823), et vingt ans plus tard, David, dans Les Mystères de Paris d’Eugène Sue (1843). En 1823 le Noir est encore associé à un imaginaire de passions violentes (la chaleur africaine) ; en 1843 le Noir est un médecin hors pair à la bonté évangélique (le juste persécuté).
La fin du XIXe siècle marquée par les spectacles de curiosités, les exhibitions, l’exotisme stéréotypé et les zoos humains, ne manque pas de recourir aux Noirs pour conforter les idées reçues coloniales du public ou imposer d’autres clichés (le Noir rieur, danseur, athlétique, l’érotisme noir).
La section « En scène » permet de découvrir, outre des affiches des films des frères Lumière sur le duo de clowns Foottit et Chocolat, des images de Joséphine Baker, ou encore d’autres artistes comme la trapéziste Miss Lala immortalisée par Edgar Degas ou Aîcha Gobelet, chanteuse, actrice et modèle de Modigliani.
Aujourd’hui un musée est plus qu’un musée mais un lieu de rencontres, d’événements autour des expositions. Le rappeur Abd Al Malik inspiré par la toile Le Jeune Noir à l’épée présente un spectacle à Orsay début avril et plusieurs concerts sont programmés durant tout le printemps autour de Joséphine Baker, du jazz ou de musiques françaises ou américaines.
La danse et la scène africaine seront à découvrir en mai autour des chorégraphes Olivier Dubois et Germaine Acogny tout comme le cinéma, dont un documentaire le 12 avril sur la première actrice noire en France, une certaine Darling Légitimus, grand-mère de Pascal Légitimus.
N’oublions pas enfin les conférences et colloques qui ponctueront le temps de cette exposition, et bien sûr la possibilité donnée à tout enseignant de réaliser une visite avec un guide conférencier du musée d’Orsay.

Pascal Caglar

Exposition organisée par les musées d’Orsay et de l’Orangerie, Paris, The Miriam and Ira D. Wallach Art Gallery, Université de Columbia, New York, et le Mémorial ACTe, Pointe-à-Pitre, avec le concours exceptionnel de la Bibliothèque nationale de France.
Visites scolaires des expositions temporaires du musée d’Orsay.
Détail de l’exposition.

Pascal Caglar
Pascal Caglar

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