« L’Enfant et les Sortilèges », de Maurice Ravel, d’après un livret de Colette : un opéra en CM2

Colette à l’âge de cinq ans

Il est difficile pour de jeunes enfants de CM2 à l’aube de la préadolescence d’entrer dans un univers musical qui leur est souvent étranger. Les élèves ont une image de la musique classique – sous toutes ses formes – qui est poussiéreuse et désuète, l’opéra est représenté par la Castafiore ou des dames qui s’égosillent.
Quand ils connaissent de « grands airs » c’est qu’ils les ont entendus dans des publicités. Les standards tels que le Boléro de Ravel, la IXe symphonie de Beethoven ou la Petite musique de nuit de Mozart sont souvent méconnus. Heureux sont ceux qui peuvent suivre des cours de musique en dehors de l’école. Au fil des années, on peut  malheureusement remarquer que les connaissances musicales sont de plus en plus pauvres.
L’Enfant et les Sortilèges, fantaisie lyrique composée par Maurice Ravel et dont le livret a été écrit par Colette, peut amener à des travaux complètement différents dès la classe de CM2 : la découverte d’une œuvre littéraire dans son intégralité et celle de l’opéra.

Le livret de Colette

En littérature, les enfants peuvent découvrir qui est Colette en lisant en réseau d’autres textes de l’auteur qui sont accessibles (par exemple L’écureuil, extrait de Prisons et paradis).
Quant au texte du livret de l’opéra, il peut être assez aisément théâtralisé. Ce moyen d’expression présente un grand nombre d’avantages pédagogiques :
– en  mettant en scène l’histoire, les enfants s’approprient le texte, mémorisent des répliques, enrichissent leur vocabulaire ;
– ils expérimentent leur voix et la mobilise au bénéfice d’une production expressive.
– ils mobilisent aussi leur corps pour interpréter la pièce ;
– ils doivent enfin mettre en œuvre les conditions d’un travail collectif en se concertant et en écoutant et respectant les avis de leurs camarades. Les élèves découvrent ainsi les règles et les contraintes d’un travail collectif en coopérant.

Maurice Ravel en 1912

La musique

Concernant la découverte de l’opéra, il s’agira de le définir, puis d’écouter en suivant le livret la mise en musique du texte, et d’apprendre à utiliser un vocabulaire spécifique. Durant cet apprentissage, les enfants découvriront le célèbre Boléro de Ravel ainsi que d’autres pièces faisant partie du patrimoine musical telles que Carmen de Bizet ou des extraits de La Flûte enchantée de Mozart. La découverte pourra aller jusqu’à découvrir les instruments de l’orchestre et les différentes tessitures de voix.
La préparation du spectacle
Durant près de six mois, des enfants de CM2 ont travaillé sans relâche pour mémoriser et mettre en scène le livret de L’Enfant et les Sortilèges. Lors de la présentation initiale du texte, je n’ai pas parlé de l’opéra lui-même afin de ne pas les rebuter.
Dans un premier temps, les élèves ont eu sous les yeux la première scène où l’enfant en colère est « en pleine crise de paresse ».
L’enfant :

« J’ai pas envie de faire ma page
J’ai envie d’aller me promener.
J’ai envie de manger tous les gâteaux.
J’ai envie de tirer la queue du chat
Et de couper celle de l’écureuil.
J’ai envie de gronder tout le monde !
J’ai envie de mettre Maman en pénitence… »

À ce moment-là, la Maman intervient et gronde son enfant désobéissant qui lui répond avec joie et insolence :

« Ça m’est égal ! […]
Je n’aime personne !
Je suis très méchant !
Méchant ! méchant ! méchant !
[…] Hourra ! Plus de leçons ! Plus de devoirs ! Je suis libre, libre, méchant et libre ! »

Après une première lecture silencieuse, les enfants voulaient tous lire cette scène à deux voix ! Le côté transgressif du texte leur a plu énormément car si les règles les rassurent, ils aiment imaginer des situations avec des limites qu’ils peuvent franchir grâce à un texte mais qu’ils ne peuvent pas dépasser (en principe…) dans la vie réelle. De nombreux binômes ont été volontaires.
Leur intérêt étant ainsi aiguisé, il a été aisé de leur présenter et de leur faire entendre cette partie dans sa version opéra dont il existe plusieurs enregistrements. Pour la plupart ce fut une découverte intéressante puisqu’ils demandèrent de l’écouter à trois reprises. Ainsi, L’Enfant et les Sortilèges a conquis la classe dès la première séance. La seule réticence initiale de certains enfants était qu’ils devraient monter sur scène pour présenter le texte en pièce de théâtre. Les séances d’entraînement ont ôté rapidement toutes les appréhensions.
Les autres séances se sont succédé à peu près de la même façon, avec l’écoute active d’extraits judicieusement choisis pour montrer que la musique pouvait décrire des scènes ou des sentiments et des visionnages d’extraits de l’opéra trouvés sur YouTube. En dehors de la mémorisation qui se faisait de façon personnelle, des techniques théâtrales (présence scénique, occupation de l’espace, improvisation, travail de la voix…) ont été suivies régulièrement une fois par semaine.

Les élèves ont choisi leurs personnages en fonction de l’intérêt, voire de l’affection qu’ils avaient pour eux, du comique de situation, de ce qu’ils pouvaient imaginer pour les représenter au mieux et en fonction de la longueur du texte à mémoriser. La coopération s’est déroulée sous de très bons auspices car il n’était pas question pour eux de mettre en péril une vraie pièce de théâtre où chaque rôle est essentiel. Les enfants répétaient en petit groupe lors des temps d’aide personnalisée à la pause méridienne et ce ne sont que les quinze derniers jours que la « troupe » s’est vraiment formée pour l’enchaînement des scènes.
La mise en scène a été réalisée volontairement sans fioritures ni artifices. Tous les textes de liaison de la pièce étaient lus par une unique récitante choisie pour ses qualités d’élocution. Lors de la représentation de la pièce, elle demeura sur scène un peu en retrait puisqu’elle ne jouait pas, mais omniprésente. Les enfants ont découvert (à travers les vidéos) que la mise en scène pouvait être tout à fait contemporaine et la classe a réfléchi aux costumes. C’est ainsi que les choix suivants ont été arrêtés en commun :
L’enfant portait un jean, une chemise et des baskets et la maman une robe élégante.
Le pâtre et les pastourelles étaient vêtus de salopettes et de chemises à carreaux, la princesse portait une robe brillante et un diadème.
Le professeur avait mis sa blouse blanche et tenait à la main une équerre et une règle de tableau.
Le rossignol était habillé d’une unique couleur avec un chapeau où les filles de la classe avait piqué des plumes, les chauves-souris étaient habillées de noir avec un parapluie uni noir, l’écureuil était vêtu de marron avec un écureuil en paille, la chatte avait des oreilles de félin, la libellule une robe à froufrou et des ailes de papillon, la rainette était verte avec un parapluie vert aux yeux de grenouille.
Pour les objets, la bergère et le fauteuil étaient rouges comme les fauteuils en mousse de la classe qui ont servi d’accessoire, la tasse chinoise avait des gants de boxe en raison du texte et la théière était un « enfant sandwich » avec une pancarte où était dessinée la théière, le feu avait un habit de sorcellerie. Quant à l’horloge comtoise, elle avait été réalisée par un grand-père bienveillant avec un système de sonnette de bicyclette pour la faire sonner quand il le fallait. Les chiffres avaient des dossards fabriqués en classe avec des chiffres retranscrits. Les quatre arbres étaient habillés aux couleurs des saisons qu’ils représentaient.
Les enfants se sont appropriés très vite le texte qu’ils devaient connaître et de nombreux extraits étaient mémorisés par tous (scène de l’enfant méchant, la tasse et la théière, le petit vieillard et les chiffres, les chauves-souris).
Pour donner une respiration au texte, la litanie du petit vieillard sur les mesures a été mise en rap et chorégraphiée par un jeune comédien lui-même et c’est devenu bien entendu le succès de la classe !

« Millimètre,
Centimètre
Décimètre,
Décamètre,
Hectomètre,
Kilomètre,
Myriamètre,
Faut t’y mettre
Quelle fête !
Des millions,
Des billions,
Des trillons,
Et des frac-cillions ! »

L’autre respiration a été apportée avec la Scène des chauves-souris. La classe dans son ensemble avait appris par cœur  La Chauve-souris et le parapluie de Thomas Fersen. Cette chanson a été interprétée par tous les enfants, car certains avaient peu de texte et ils désiraient être un peu plus présents sur scène.

Dessin illustrant le programme de la représentation de la classe de CM2

La compréhension du texte

L’Enfant et les sortilèges est un texte avec des passages plus ou moins compréhensibles pour de jeunes enfants en raison quelquefois du vocabulaire. L’écueil passé, les élèves en théâtralisant les scènes ont parfaitement compris l’histoire sans qu’il y ait besoin de faire un cours traditionnel de littérature. Leur jeu sur scène montrait que le niveau de compréhension était largement atteint. L’évaluation finale écrite a été quant à elle une totale réussite.

La représentation 

Les enfants ont réalisé un programme offert aux parents, le rideau rouge du théâtre était fermé, il y a eu les coups de bâton annonçant la pièce. Un cinquième des enfants était sur la scène, les autres seuls dans les coulisses guettant leur tour. Il n’y avait pas d’accompagnants, j’étais dans la salle au premier rang. Lors des répétitions, en tant que metteuse en scène, régisseuse, etc., j’ai tout de suite compris que je pouvais leur faire confiance et les laisser en autonomie. L’Enfant et les Sortilèges était un des très beaux moments de l’année et ils voulaient montrer le meilleur d’eux-mêmes.
Le texte a été présenté à deux reprises : une générale devant leurs camarades et la première devant leurs parents dans sa version intégrale, sans aucune coupure ni bavure.

Alexandra Ibanès

Références
Colette, L’Enfant et les Sortilèges, Jacques Damase éditeur.
L’Enfant et les sortilèges opéra de Maurice Ravel.
Extraits divers de YouTube.
Livret pédagogique de l’opéra de Lille qui offre de nombreuses pistes musicales à exploiter selon le niveau de classe des élèves.
En CM2 : Écoute – sans aucune réticence – de l’opéra en intégralité, du Boléro et de L’heure espagnole de Ravel, du Duo des chats de Rossini, d’extraits de La Flûte enchantée de Mozart, et de Carmen de Bizet.
La Philharmonie de Paris propose des extraits audios et un dossier pédagogique sur « l’Enfant les sortilèges ».
• Voir tous les titres de la collection Théâtre de l’école des loisirs – dont un grand nombre recommandés par le ministère de l’Éducation nationale – pouvant être lues ou interprétés par les classes d’école ou de collège.

Alexandra Ibanès
Alexandra Ibanès

2 commentaires

  1. J’ai monté cet opéra avec ma classe de CM1 en 1986, puis en 2006 avec un groupe multi-âge, en travaillant une demi-journée par semaine, toute l’année jusqu’à la représentation au petit théâtre de Villeneuve sur Yonne.
    Une expérience passionnante et inoubliable.

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