L’épreuve de philosophie au baccalauréat :
derniers conseils avant le grand jour

Dernière ligne droite avant le 14 juin : quels ingrédients pour se prémunir contre les déceptions, éviter les sorties de piste ou tout simplement la panique devant la copie ? Retenir comme mots-clés : méthode, références et respiration.
Par Hans Limon*

Depuis plus de deux siècles et la première mouture du baccalauréat – façon Napoléon –, les élèves français ont l’inestimable chance de plancher sur la désormais mythique épreuve de philosophie. Épreuve qui, depuis 1970, a toujours constitué la première marche de l’examen final marquant le crépuscule en même temps que l’apogée de la vie lycéenne, et qui, depuis la récente réforme, demeure contre vents et marées ministériels la seule épreuve écrite finale du baccalauréat.

Rite de passage spécifiquement hexagonal, cette épreuve a marqué au fer rouge la pensée des générations de candidats qui, des années, voire toute une vie, plus tard, se sont remémoré leurs succès ou leurs déboires, le visage éclairé d’un sourire de nostalgie ou les lèvres déformées par une vilaine grimace d’amère frustration. Aux candidats 2023 d’affronter l’ogre terrifique. Qu’ils se rassurent : si tant de rescapés ont pu raconter leurs tribulations philosophiques avec force détails, c’est que l’ogre ne doit pas être si vorace.

À deux semaines de l’échéance, aucun miracle ni aucun véritable retournement de situation ne sont à espérer ou à redouter. Mais les candidats peuvent se consoler : s’il n’y a pas de recette pour réussir à coup sûr, il existe à tout le moins à portée de main, quelques ingrédients qui permettront de se prémunir contre une déception ou d’éviter une fâcheuse sortie de piste. Ces quelques ingrédients tiennent en trois catégories :
– l’assimilation de la méthodologie des exercices canoniques ;
– une utilisation pertinente des références philosophiques et des exemples ;
– le respect d’une – saine – diététique du candidat.

Savamment dosés, ces ingrédients inviteront peut-être même, suprême extase, à lentement déguster ces deux plats copieux que sont la dissertation et l’explication de texte.

La dissertation

La méthodologie n’est pas simplement l’armature de la réflexion : elle fait corps avec le contenu de la démarche philosophique, qui, elle-même, circonscrit virtuellement les dix-sept notions et les trois perspectives du programme de philosophie en classe de terminale. Cette méthodologie, appliquée au sujet suivant : « La conscience de soi est-elle trompeuse ? », s’articule en plusieurs étapes cruciales. 

L’objectif d’une dissertation n’est pas de répondre à une question, mais plutôt d’en faire le tour en en dépliant les multiples significations. Il faut donc, tout d’abord, interpréter les termes du sujet et en déduire leurs champs d’application : psychologique, moral, social, culturel, religieux, scientifique. Il n’est pas interdit de procéder par association d’idées. Le terme « conscience », par sa polysémie, se prête aisément à cet exercice liminaire. La problématique en découlera naturellement. Elle consistera en une reformulation du sujet par le biais de concepts élémentaires : la connaissance, l’illusion, l’introspection, la subjectivité, l’altérité, le corps, le déterminisme. Les concepts seront les principales ressources dans cette épreuve de quatre heures. Et c’est précisément la fonction mère de la philosophie que de les fabriquer et les aiguiser.

Il s’agit ensuite de construire un plan en songeant aux notions du programme de terminale potentiellement convocables : ici, le devoir, l’inconscient, la liberté, la justice, l’État, le temps, la vérité.

Enfin, le cours fournira les éléments de doctrine nécessaires lors de la rédaction du devoir. Il est essentiel de ne pas se limiter à l’utilisation du cours correspondant à la notion centrale du sujet, ni de l’utiliser in extenso pour répondre à la question posée : le hors-sujet guetterait alors. Chaque sujet a ses propres implications et présupposés. 

Une dissertation est un subtil mélange d’esprit d’initiative et de cours assimilé, d’argumentation et de remémoration circonstanciée. Il convient de s’en souvenir et d’éviter les plans faussement dialectiques : oui/non/peut-être. Un plan de type oui/mais/mais encore est bien plus cohérent. 

La troisième partie tant redoutée n’est pas une synthèse, mais une autre manière d’aborder la question. Elle peut aussi consister en un approfondissement de la deuxième partie ou, pour les plus aventureux, à une remise en question des présupposés du sujet. Concernant le sujet cité plus haut – « La conscience de soi est-elle trompeuse ? » –, on peut notamment se demander : existe-t-il en moi une part cachée qui serait inaccessible à ma conscience ? Est-il plus facile de connaître autrui ? L’altérité est-elle nécessaire à la saisie de l’identité ? Et s’il m’est impossible de me connaître moi-même, suis-je vraiment responsable de mes actes ? Dois-je obéir, en tant que sujet, à une injonction de transparence vis-à-vis de ce que je suis ? 

Il faut noter que les plans thématiques découlant de questions ouvertes (auxquelles il est impossible de répondre par oui ou non) obligent à dépasser le cadre d’une simple opposition binaire entre parties. À « Pourquoi ? » ou « Dans quelle mesure ? », on ne répondra jamais par oui ou par non. Le par cœur n’est pas nécessairement de mise : à une impeccable citation de Descartes hélas restée inexpliquée, on préférera l’idée qui y correspond (par exemple le cheminement jusqu’au cogito), mais reformulée et reliée au sujet traité. Il faut également comprendre que, s’il existe des philosophes incontournables en classe de terminale, il n’y a et n’y aura jamais aucune référence absolument attendue : la dissertation n’est pas un exercice stérile qui consisterait à décliner sur un mode semi-automatique un ensemble de noms célèbres et d’éclatantes citations.

Il importe de ménager de brèves transitions entre les parties qui ouvriront l’appétit du correcteur. Et, si possible, de les achever par des interrogations : elles relanceront l’intérêt philosophique et seront des repères dans la progression.

Conclure en rappelant la problématique de départ et le déroulé du raisonnement. Proposer éventuellement une ouverture, c’est-à-dire une question annexe qui, sans être tout à fait au cœur du sujet (elle aurait alors été évoquée dans le devoir), constitue néanmoins un complément de réflexion, une piste secondaire d’interrogation, un autre sujet impliqué par le raisonnement qui vient de s’achever, mais dont le traitement requiert une dissertation à part entière. Un sujet sur la connaissance de soi conduit par exemple à examiner le pouvoir des neurosciences, qui objectivent les processus cognitifs ; le rôle de la justice, qui, pour s’appliquer, doit parvenir à un certain degré d’élucidation des actes et des intentions ; le droit à être soi-même dans une société parasitée par le diktat de l’apparence et les filtres des réseaux sociaux ; les vertus de la pratique artistique comme moyen de découverte et d’approfondissement du moi.

Mobiliser autant que possible sa culture personnelle – Netflix et Spotify seront d’un grand secours –, quand bien même on la supposerait inconnue du correcteur. La dissertation doit aussi cultiver un esprit de synthèse. Le vécu peut également constituer un terreau particulièrement fertile.

Une idée par partie, c’est un minimum. Trois sous-axes par partie, c’est de la virtuosité. Ne pas inventer de sous-axes pour combler des vides. On ne peut décemment pas refuser la moyenne à une copie qui produit un effort sincère de problématisation, se nourrit d’exemples pertinents et s’abreuve à la mamelle du cours préalablement copié. Être facilement lisible. Le correcteur est humain, trop humain. S’il doit déchiffrer avec peine les propos et que la copie est la cent quarante-neuvième des cent cinquante dont il a la charge, il n’y aura a priori pas de lune de miel entre celle-ci et lui. Il faut se faire confiance. 

Respirer. Boire au besoin : la route est longue, raide, cahoteuse, et le candidat a quatre heures pour la parcourir en tous sens. En cas de désespoir, se dire que si Descartes lui-même, pourtant simple philosophe – certes fondateur de la philosophie moderne – et scientifique de son état – on étudie ses lois en physique – vécut ses derniers instants à la cour de Suède, où l’avait convié la reine Christine, il se peut que les paragraphes griffonnés avec la nonchalance d’un cancre distrait ou la superbe d’un premier de la classe mènent un beau jour jusqu’à la gloire princière.

L’explication de texte

La rencontre d’un texte, le jour même de l’épreuve, s’apparente à une rencontre amoureuse : ne pas la choisir par facilité ou incapacité supposée à faire face aux exigences d’une dissertation, mais bien plutôt par élection, jeu d’affinités et curiosité intellectuelle. Une bonne explication coûtera nécessairement : elle ira puiser en soi des trésors insoupçonnés de réflexion et d’ingéniosité. Schématiquement, procéder de la manière suivante, tout en adaptant cette petite méthodologie à la particularité du texte proposé ou rencontré.

a) L’introduction

– Après une brève présentation du texte et de l’auteur ou une éventuelle accroche (un fait divers, un personnage de roman, un film, une chanson), donner le thème : de quel genre de texte s’agit-il ? De quoi parle-t-il de manière générale ? À quel domaine appartient-il ?
– Annoncer le problème du texte : quelle question le texte pose-t-il ? À quelle interrogation tente-t-il de répondre ?
– Énoncer la thèse, c’est-à-dire son idée générale, la manière dont le texte répond au problème précédemment posé. Il peut s’agir d’une phrase du texte lui-même, qu’il faut isoler, ou d’une reformulation de ce que vous pensez être cette idée générale. Dans tous les cas, une simple répétition du texte est insuffisante : une explication de votre part est attendue ;
– Proposer un plan : il faut découper le texte d’après une logique d’ensemble. Le plan doit refléter la manière dont l’auteur développe sa thèse. Précisez les lignes et annoncer brièvement, pour chaque partie, ce qui y est traité. Il faut nécessairement justifier votre découpage et être le plus précis possible ;
– Souligner l’enjeu du texte : il s’agit de mettre l’accent sur l’utilité du texte, ce à quoi il nous permet de réfléchir, la prise de conscience qu’il est susceptible d’amorcer en nous ou encore les évidences qu’il remet en question.

b) Le développement 

Le « corps » du devoir doit reprendre scrupuleusement le plan élaboré dans l’introduction : il y a donc une partie pour chaque moment du texte. Il faut y commenter de manière linéaire le propos de l’auteur, en montrer l’intérêt philosophique. Il est indispensable de porter son attention à la fois sur le détail du texte, les mots choisis, mais aussi sur sa logique d’ensemble, c’est-à-dire l’enchaînement entre les parties, l’évolution du texte.

 Quelques conseils :
– attention à la paraphrase. Il faut citer le texte, pas répéter ce que l’auteur dit. Une analyse n’est pas une simple répétition ;
– ne pas oublier les transitions : dans celles-ci, faire la jonction entre les différentes parties du texte. Par exemple, si on a distingué trois moments dans le texte, le devoir comportera trois parties : à la fin de chacune de celles-ci, il faut faire le point sur ce qui vient d’être dit et annoncer très brièvement ce qui va suivre. Comme pour les transitions d’une dissertation, l’idéal est de terminer sur une interrogation.

c) La conclusion 

Une conclusion doit rappeler le cheminement, c’est-à-dire ce qui est à retenir de l’analyse des différentes parties du texte, ainsi que la thèse de l’auteur. Il est possible de proposer une ouverture, c’est-à-dire relier le texte à un autre problème qu’il serait intéressant d’étudier ou même à une question d’actualité. Ici comme en dissertation, cette démarche est précieuse car risquée. Dans un match de football, une panenka réussie est saluée ; ratée, elle fait sourire.

Continuer à boire et à respirer. Gérer au mieux votre temps en le séquençant selon les différentes parties à rédiger. Se dire, au pire, que l’erreur est humaine et qu’un Grand oral bien réussi peut aisément compenser un léger raté philosophique.

d) Un exemple

« Je ne sais si je dois vous entretenir des premières méditations que j’y ai faites ; car elles sont si métaphysiques et si peu communes, qu’elles ne seront peut-être pas du goût de tout le monde. Et toutefois, afin qu’on puisse juger si les fondements que j’ai pris sont assez fermes, je me trouve en quelque façon contraint d’en parler. J’avais dès longtemps remarqué que, pour les mœurs, il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu’on sait être fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu’il a été dit ci-dessus ; mais, parce qu’alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensais qu’il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il n’en resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu’il n’y avait aucune chose qui fût telle qu’ils nous la font imaginer. Et parce qu’il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j’étais sujet à faillir, autant qu’aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j’avais prises auparavant pour démonstrations. Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir, quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l’esprit n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. »

Descartes, Discours de la méthode, 1637

 Thème : conscience de soi et vérité.

 Problème : y a-t-il une certitude, une vérité première à laquelle on puisse se fier ? 

Thèse : cette vérité première, indubitable est le « je pense, donc je suis ». Le retour sur soi de la conscience nous donne la certitude de notre existence et nous définit en tant que chose pensante.

 Plan :
 – du début du texte à « entièrement indubitable » : exposé de la méthode du doute hyperbolique ; 
– jusqu’à « les illusions de mes songes » : application du doute aux sens, aux sciences et à la réalité dans son ensemble ;
– jusqu’à la fin du texte : résultat du doute débouchant sur l’évidence de la conscience de soi et l’appréhension du sujet pensant par lui-même comme fondements de toutes les autres vérités.

 Enjeu : invitation à questionner les apparences et les idées reçues ; statut épistémologique (relatif à la connaissance scientifique) du doute ; initiation à l’esprit critique.

H. L.

Hans Limon est professeur de philosophie au lycée Louis-Massignon d’Abu Dhabi et chargé de projets culturels. Cet article est un avant-goût d’un manuel pédagogique qui sortira chez Studyrama le 12 septembre prochain : Philokit — Manuel de survie en territoire philosophique.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Hans Limon
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