Les jeunes et le théâtre :
quel soutien par l’école ?

Les scènes présentant des pièces du répertoire sont boudées par les 15-19 ans qui leur préfèrent musique et numérique. Les théâtres et les troupes se démènent en programmes à destination des scolaires, mais le ministère de l’Éducation y répond-il ?

Par Pascal Caglar

Les scènes présentant des pièces du répertoire sont boudées par les 15-19 ans qui leur préfèrent musique et numérique. Les théâtres et les troupes se démènent en programmes à destination des scolaires, mais le ministère de l’Éducation y répond-il ?

Par Pascal Caglar

La fréquentation des théâtres baisse chez les jeunes. C’est l’information qui ressort de la dernière enquête publiée par le ministère de la Culture sur les pratiques culturelles des Français. Sachant qu’elle porte sur des résultats pré-Covid.

Voici près de cinquante ans que ce ministère se livre à de telles enquêtes sur la population âgée de 15 à 60 ans et plus. Renouvelées tous les dix ans, elles mesurent l’évolution des goûts et des usages selon les générations, les localisations, les classes sociales et les niveaux d’études.

Les résultats de la dernière enquête, menée en 2018 auprès de plus de 9 000 Français, sont depuis peu disponibles sur le site du ministère. Globalement, on y apprend que les publics de la culture augmentent parce que l’offre culturelle s’accroît : d’une part en raison de l’ouverture d’un nombre toujours plus grand de lieux d’exposition, de musées ou d’événements, d’autre part avec l’augmentation de la consommation musicale sous toutes ses formes, et surtout avec l’explosion de la culture numérique, dopée par les jeux vidéo et les écrans autres que télévisuels.

En revanche, s’agissant de la fréquentation des théâtres, en particulier par les jeunes de 15 à 19 ans, 2018 marque un léger recul par rapport à 2008 : 28 %, contre 32 % dix ans plus tôt. Ce qui ramène à la fréquentation de 1997 qui était de 27 %. Autrement dit, et le constat est inquiétant, en vingt ans, malgré l’augmentation du nombre de salles et du nombre de spectacles représentés, la proportion de jeunes fréquentant les théâtres n’a pas évolué, alors même qu’ils sont la classe d’âge qui aime le plus à sortir.

La culture « lettrée » n’a pas la cote

Cela ne signifie pas que les jeunes boudent la culture : ils plébiscitent régulièrement la musique, le cinéma ou le numérique, secteurs où leur pourcentage progresse d’enquête en enquête. Mais ils n’accrochent pas avec les formes les plus lettrées de la culture, qu’il s’agisse de la lecture, en baisse constante, ou du théâtre, en stagnation pour les 15-19 ans, en recul pour les 19-24 ans.

À l’image de l’ensemble des Français, plus attirés par le présent que par le passé, ils se tournent vers des formes contemporaines d’expression artistique ne requérant pas nécessairement de connaissances théoriques ou historiques comme dans une culture de type humaniste (culture instruite).

D’une certaine manière, le théâtre patrimonial fait peur : aller voir une pièce d’un auteur passé avec le temps au rang de classique, dans un bâtiment prestigieux devenu historique (un théâtre à l’italienne) a quelque chose d’intimidant, qui tient éloigné, à tort ou à raison. Éloigné intellectuellement des jeunes, le théâtre l’est aussi, pour beaucoup, géographiquement. La répartition même des salles sur le territoire national renforce cette impression de spectacle lointain, de loisir pour public instruit. L’Île-de-France, qui concentre le taux du plus grand nombre de diplômés, compte 272 théâtres, soit trois fois plus que Rhône-Alpes-Auvergne (80), 7 fois plus que Provence-Alpes-Côte d’Azur (36) ou encore 11 fois plus que Bourgogne- Franche-Comté (24). Il est loin l’idéal de Malraux d’une maison de la culture dans chaque département.

L’inégalité territoriale est plus nette pour le théâtre que pour toute autre forme de culture. L’équilibre entre régions s’observe dans la plupart des genres, pour le nombre de salles de cinéma, le nombre de festivals, le nombre de bibliothèques ou encore de musées. Et la culture numérique, qui efface toute discrimination géographique, réalise l’égalité d’accès par excellence. En revanche, le théâtre, plus parisien que nul autre lieu de culture, tend plus vers l’opéra et son image élitiste que vers la salle de concert et l’idée de culture pour tous.

Une frilosité paradoxale

Cette frilosité des jeunes à l’égard du théâtre est toutefois injuste et paradoxale. En effet, au collège, les clubs ou ateliers de théâtre sont extrêmement nombreux. Ils jouissent d’une très bonne image : sociabilité, confiance en soi, prise de parole. Ils sont bien encadrés administrativement : insertion dans les emplois du temps, soutien des rectorats, intégration à des concours, des fêtes de fin d’année. Ils sont bien dirigés pédagogiquement : professeur de français, intervenants professionnels, acteurs, metteurs en scène.

Du côté des théâtres, les relations avec les scolaires sont l’objet d’une attention particulière : rencontres, bords de scène, dossiers, vidéos. Les troupes spécialisées dans le répertoire scolaire sont toujours plus nombreuses, et les politiques tarifaires ramènent bien souvent le prix des places au prix d’une sortie au cinéma.

Où est donc le problème ? En fait, les faiblesses sont multiples. Du côté des enseignants, on peut déplorer un manque de formation au spectacle vivant, un manque de contacts personnels avec le monde du théâtre, avec comme résultat une très grande disparité dans les projets conduits en classe : l’initiation des élèves dépend exclusivement du goût et du bon vouloir des professeurs.

Du côté de l’administration, on peut déplorer une certaine complexité dans les formalités à accomplir, les réservations, les autorisations, les cours à remplacer, la discipline à faire observer, tout cela peut décourager les plus motivés.

Les théâtres eux-mêmes, malgré leurs efforts, ont leur rigidité. Notamment leur calendrier de réservation, leurs quotas ou leurs horaires de représentation, qui ne facilitent pas les intentions des professeurs tenus à leur programme, leurs progressions et donc leur propre rythme de travail.

Enfin, et plus que tout, le refus de l’Éducation nationale de rendre la sortie au théâtre gratuite et obligatoire, comme l’est par exemple la piscine en primaire, maintient tout le discours officiel dans l’ambiguïté. D’un côté, encouragement formel à fréquenter les théâtres, de l’autre abandon total des professeurs à des initiatives de sorties aléatoires et inégalitaires.

Or, si l’école ne permet pas de passer du texte lu au texte vu, c’est le théâtre littéraire qui s’effondrera peu à peu, déserté par les nouvelles générations tournées vers d’autres cultures.

Quel soutien par l’Éducation nationale ?

Dans leur synthèse « Cinquante ans de pratiques culturelles en France », Philippe Lombardo et Loup Wolff ont raison de saluer la place, jamais atteinte jusque-là, par la culture dans la vie des Français au cours de ces dernières décennies.

À juste titre, on peut se féliciter de la politique de soutien et de développement menée depuis cinquante ans par l’État dans les institutions culturelles et les centres de formation aux métiers de la culture. Un dirigisme et un investissement qui font honneur à la France et lui permettent de conserver une image forte de pays de culture.

Mais si ces évolutions et ces diversifications de pratiques se traduisent par des augmentations de fréquentation ou de consommation, elles signalent aussi un recul de la culture de l’écrit devant les cultures des images, du son ou des corps. Et le théâtre, emblématique d’une certaine culture de la pensée, intellectuelle et exigeante, en souffre.

Contrer cette relative désaffection des nouvelles générations envers le théâtre n’est donc pas que l’affaire du ministère de la Culture, mais incombe aussi, et peut-être en premier lieu, à l’Éducation nationale.

P. C.

Retrouver tous les chiffres, toutes les statistiques de l’enquête 2018-2020 sur le site du ministère de la Culture.

www.culture.gouv.fr/Etudes-et-statistiques

Pascal Caglar
Pascal Caglar