Nouveaux programmes de collège : quel patrimoine littéraire ?

Il y a un siècle, un programme, c’était une page d’œuvres et zéro commentaire ; de nos jours, c’est zéro œuvre et des pages de commentaires.
La nouvelle version des programmes précise clairement les corpus associés aux « enjeux littéraires et de formation personnelle », mais on y cherchera en vain ce par quoi on aborde traditionnellement la littérature : un nom d’auteur, un titre d’œuvre.
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Une idée relativiste du patrimoine littéraire

Quelle pudeur, quel scrupule, quelle inhibition ou peut-être quel principe, quel modèle, quelle idéologie a bien pu retenir le Conseil supérieur des programmes d’apposer des noms d’auteurs et des titres d’œuvres en face des thématiques répertoriées et déclinées tout au long du cycle 4 ?
Qu’y a-t-il d’offensant, d’incorrect ou d’inconvenant à citer Corneille, Molière ou Maupassant, alors même que ces auteurs et leur œuvres phares sont comme présupposés, du moins désignés indirectement et presque par périphrase lorsqu’on lit « une tragicomédie du XVIIe siècle », recommandée pour étudier la question de la valeur, ou encore « une comédie du XVIIe siècle » en regard de « vivre avec autrui : famille, amis », ou bien un recueil de nouvelles réalistes du XIXe siècle ?
Mentionner un nom d’auteur dans un programme serait-il devenu tabou ? Quelle idéologie de la culture se niche dans cette indifférence aux œuvres ? Comme si ce n’était plus une priorité de connaître de « grands écrivains », comme si ce n’était plus fondateur de se reconnaître tous lecteurs des mêmes « chefs-d’œuvre » ? Sont-ce ces mots tout pleins d’un respect apparemment démodé qui dérangent ?
Car, dans ces suggestions ouvertes, ces propositions implicites, ce n’est pas même la liberté pédagogique de l’enseignant qui est flattée, pas davantage le niveau des élèves qui est pris en considération, mais ce qui est insinué, c’est bien l’affirmation d’une idée relativiste du patrimoine littéraire, jamais définitivement constitué, jamais totalement hiérarchisé, dépersonnalisé, mal à l’aise avec ses gloires et son histoire.
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Histoire et histoire littéraire

Au demeurant, n’allons pas chercher de références à l’histoire littéraire. Les mouvements ou courants littéraires sont dispersés et dilués dans les différentes problématiques à traiter ou bien alignés sur les programmes d’histoire, qui semblent justifier à eux seuls les incursions possibles dans les époques de la littérature : c’est en lien, par exemple, avec les axes de la programmation annuelle en histoire, « L’Europe et le monde au XIXe siècle » et « Société, culture et politique dans la France du XIXe siècle » que l’on peut aborder l’esthétique réaliste en classe de quatrième.
Fallait-il l’excuse de l’histoire pour parler du réalisme ? Faut-il qu’en troisième ce soit l’Europe au XXe siècle, « un théâtre majeur des guerres totales », qui commande l’étude de romans de témoignage ou d’engagement ? L’histoire littéraire ne serait-elle qu’une annexe de l’histoire générale ?
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Le diable est dans les détails

L’ensemble du programme pour le cycle 4 est copieux, ambitieux, intelligent, à la fois conservateur et novateur, mais quels que soient ses efforts pour paraître cohérent et progressif, jamais des entrées thématiques arbitraires et circonstancielles ne présenteront le même caractère de nécessité qu’une approche fondée sur la chronologie de l’histoire littéraire et la hiérarchie des valeurs littéraires.
La culture humaniste reste l’étendard visible de ces programmes, mais un étendard criblé çà et là d’encoches du pédagogisme et plus encore criblé de ces entailles aux auteurs, aux œuvres majeures, à ces noms et titres absents de programmes nationaux, absents de documents officiels affichant l’attachement d’une nation à ses grands écrivains.

Pascal Caglar

 
• Télécharger l’ensemble des projets de programmes pour les cycles 2, 3 et 4.
 Nouveaux programmes de collège : où sont les œuvres ? par Pascal Caglar.

Pascal Caglar
Pascal Caglar

3 commentaires

  1. Cher M. Zakhartchouk
    On peut légitimement attendre d’un programme national des listes, ne serait-ce que pour, d’un point de vue pratique, éviter les redites. Le réalisme est au programme de 4e et au programme de seconde, il serait souhaitable que les élèves n’étudient pas Pierre et Jean deux fois. De même pour le classicisme, Le Cid est désormais fréquemment étudié en seconde… et parfois encore en 4e. Le rôle d’un programme n’est-il d’estimer quelles sont les œuvres patrimoniales convenant le mieux à telle ou telle classe d’âge ?

  2. Je lis ces lignes:
    “Mentionner un nom d’auteur dans un programme serait-il devenu tabou ? Quelle idéologie de la culture se niche dans cette indifférence aux œuvres ? Comme si ce n’était plus une priorité de connaître des « grands écrivains », comme si ce n’était plus fondateur de se reconnaître tous lecteurs des mêmes « chefs d’œuvre » ? Sont-ce ces mots tout pleins d’un respect apparemment démodé qui dérangent ? ”
    J’ai envie de répondre: “Quelle idéologie du programme prescriptif qui doit indiquer le moindre détail aux enseignants, jugés incapables de savoir à quels auteurs se référer quand il est question de comédie classique ou de roman réaliste se niche dans cette critique? A la culture révérence je préfère la culture “référence”, à l’admiration obligatoire une appropriation véritable, au culte la vraie culture.
    J’ai participé à ces programmes et je revendique la non-présence d’une liste. Cela n’a rien de relativiste, des documents d’accompagnement peuvent faire des suggestions, mais l’idée de construction par les enseignants, et mieux en équipe, de listes, qui permettent aussi le renouvèlement (oui, nouvelle orthographe pour ce mot) d’une année sur l’autre. OUi, une année, on travaillera la dimension fantastique avec Mérimée, l’année d’après avec Maupassant et l’année encore après Poe.
    Quant au palmarès des auteurs, il est souvent à revisiter. On redécouvre certains écrivains, mais qui aujourd’hui travaillerait en collège sur Fénelon ou Hérédia (encore que j’ai travaillé sur son poème sur les conquistadors dans un IDD sur les Grandes Découvertes)
    Mais quand quelqu’un comme l’auteur de ce billet emploie le mot “pédagogisme”, cette expression qui n’a aucun sens et qui n’a pour objectif que la disqualification des pédagogues, j’ai tendance à penser que cela décrédibilise ses propos.
    jmz

    • Cher Jean-Michel Zakhartchouk,
      L’usage de ce mot dans mon billet n’est pas désobligeant : il n’est autre que celui qu’en fait Hannah Arendt dans son essai “La crise de l’éducation”, in La Crise de la culture.
      Pascal Caglar

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