
Les Pieuvres, de Sophie Merceron : mise en scène et en musique
Joli moment de théâtre scolaire le 27 juin où des élèves de classes à horaires aménagés théâtre et musique de Fontenay-sous-Bois, dans le Val-de-Marne, ont joué et accompagné la pièce Les Pieuvres, de Sophie Merceron. Ou comment trois enfants livrés à eux-mêmes tentent de se dépêtrer ensemble de leurs cauchemars.
Par Ingrid Merckx, rédactrice en cheffe
L’orchestre n’est pas dans la fosse mais sur la scène du théâtre Jean-François-Voguet de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), côté jardin. Les musiciens sont en arc de cercle, une douzaine de jeunes clarinettistes, en noir, pour les distinguer des comédiens. Ceux-là, en tenues de tous les jours, sont une bonne vingtaine à jouer, par roulement, les rôles d’Ulysse, Simon et Ana, les trois personnages de la pièce Les Pieuvres (l’école des loisirs), de Sophie Merceron.
Cette comédienne de formation et autrice pour le théâtre a reçu le Grand Prix de littérature dramatique jeunesse 2020 pour sa pièce Avril (l’école des loisirs), qui mettait en scène les cauchemars d’un enfant après le départ de sa mère. Manger un phoque (l’école des loisirs), dans laquelle un petit garçon, Picot, passe ses journées dans un zoo abandonné, a également été couronné de ce même prix en 2021.
Il y a du En attendant Godot chez Sophie Merceron. Les Pieuvres n’y déroge pas. Dans cette pièce en effet, trois enfants livrés à eux-mêmes attendent quelque chose ensemble, une sortie, un dénouement. Ils sont dans un vestiaire de piscine aux airs de fin du monde quand la pièce commence. Ulysse parle sans cesse avec son frère disparu. Simon doit respirer à l’aide d’une machine car sa gorge est trop serrée depuis que son père est parti.
Chacun est muré à tour de rôle dans le refus de retourner à l’entraînement parce que des filles se sont moquées à la piscine, parce que l’entraîneur sifflait de sauter des haies. Ils se cachent l’un après l’autre dans les toilettes, le deuxième tentant, coincé à l’intérieur, de faire sortir le premier, successivement.
Arrive Ana, en maillot de bain. Elle a les cheveux bleus et une pieuvre dans la tête qui étend ses tentacules et laisserait peu de place au reste. Mais Ana détient des pouvoirs et aussi un terrible savoir sur ce qui va leur arriver. Tous les trois finissent par réaliser que la piscine a fermé et ne rouvrira qu’à la fin de l’été, avec eux dedans et une menace dehors.
Ne pas les laisser seuls
Un peu psychiatrique, un peu apocalyptique, mais surtout poétique, cette pièce en deux parties est rythmée par des actes qui sont comme des saynètes. C’est ce découpage discret qui permet aux élèves de la quatrième Chat (classe à horaires aménagées théâtre) de Fontenay-sous-Bois de jouer les trois mêmes personnages à tour de rôle. Certaines filles sont aussi Ulysse et Simon. Peu importe les genres, les visages, les tailles ou les allures, on repère les personnages à leurs prénoms, leurs attitudes, des accessoires comme la machine à respirer, leur manière de parler surtout, que la mise en scène a suffisamment définie pour la rendre reconnaissable d’un enfant à l’autre.
Les jeunes comédiens tiennent tout entier leurs personnages dans leurs voix, et l’interprétation du texte. Tout le jeu côté public consiste à observer comment unetelle ou untel va jouer ce passage, interpréter sa partie, donner sa couleur à Ulysse, Simon et Ana.
Les didascalies, longues comme des narratifs, comme un récit intercalé entre les dialogues, sont lues en voix off et tonnent sur des enceintes, convoquant sur scène des narrateurs omniscients. Vers la fin de la représentation, ce sont deux élèves qui assurent la narration sur le plateau, aux côtés de celles et ceux qui poursuivent les dialogues. Ils sont nombreux avec Ulysse, Simon et Ana, comme pour les entourer, ne pas les laisser seuls.
Et puis, troisième niveau de lecture, une toile en fond de scène laisse apparaître tout le long un petit théâtre d’ombres qui montre les rêves des personnages, comme des apartés, des confidences, des instants d’humour aussi. Plus la pièce avance, plus le danger se rapproche et plus les personnages semblent paradoxalement aller mieux. « La lumière est revenue. C’est une lumière de jour de pluie. Ana, Simon et Ulysse sont assis tout trois sur un banc. Ils sont dans un jardin en friche. »
Pieuvres, poulpes, anguilles, poissons dorés… Le ton est assez grave, l’heure aussi dirait-on, mais ces enfants semblent gagner à être ensemble et à se soutenir. L’orchestre de clarinettes et les compositions créées pour l’occasion en ajoutent à la douceur amicale qui règne et aux liens qui se tissent. S’ils crient, s’ils sont dans l’attente d’une catastrophe, ils sont aussi très présents les uns aux autres, soucieux de leurs tourments, et plus légers de les voir s’atténuer. C’est comme s’ils avaient pris des forces.
I. M.
Sophie Merceron, Les Pieuvres, collection « Théâtre », l’école des loisirs, 34 pages, 7 euros.
Avec les élèves de quatrième Chat (classe à horaires aménagés théâtre) et élèves clarinettistes de classes Cham (classes à horaires aménagés musique) des collèges Jean-Macé et Joliot-Curie de Fontenay-sous-Bois. Mise en scène : Valérie Pujol. Création musicale : Bertrand Hainaut. Création théâtre d’ombres : Cécile Givernet du Théâtre de la Halle Roublot/Cie Espace Blanc.
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.
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