L’état d’esprit des enseignants et le Grenelle de l’éducation

À la demande de la FSU, l’institut Ipsos a réalisé fin novembre une enquête auprès des personnels de l’Éducation nationale et des parents d’élèves sur leur « état d’esprit » : de quoi contrebalancer les propositions portées par un Grenelle de l’Éducation de plus en plus enclos dans l’entre-soi des amis et cautions du ministre – Daniel Pennac, Boris Cyrulnik, François Taddei, Marcel Rufo, Aurélie Jean et autres personnalités et scientifiques étrangers aux disciplines d’enseignement traditionnel, tous traçant les contours du système éducatif de demain, plus numérique, plus comportemental, plus citoyen que jamais.
Aussi, puisque ce Grenelle, en dépit des annonces et apparences, est loin d’être un rendez-vous collaboratif animé d’un souci de démocratisation des orientations et décisions, tournons-nous vers cette enquête Ipsos qui ne triche ni sur la légitimité des participants (« un échantillon de 1000 personnels de l’Éducation nationale, dont 850 enseignants ») –, ni sur les sujets qui préoccupent vraiment le monde de l’enseignement.

Enseignants / ministère : le divorce ?

Si les enseignants sont majoritairement satisfaits de leur métier (69 %), ils sont 59 % à juger que le système éducatif fonctionne plutôt mal, ce qui devrait donner envie d’entendre leurs propositions ou celles de leurs représentants. Mais le Grenelle a choisi ceux qui avaient vraiment quelque chose à dire : des experts en sociologie, psychologie sociale, psychiatrie de l’enfance, sciences cognitives, économie, technologie numérique… Ce qui nous vaut des déclarations qui auraient enchanté Flaubert, saturées de clichés et de conformisme idéologique :
« Les professeurs portent haut l’idéal de transmission des savoirs, des valeurs et de la citoyenneté au cœur d’une société durable et inclusive au XXIe siècle »,
ou encore : « Il faut donner l’envie de faire ce métier de professeur qui est l’un des plus beaux qui soient ».
Et, bien sûr : « Attirer et conserver des talents pour le bien-être des élèves. »
Quoi qu’il en soit, 68 % des enseignants estiment que les réformes initiées depuis trois ans vont majoritairement dans le mauvais sens, et l’on pense, bien sûr, à celle de l’examen du bac et des programmes, à la suppression des séries, à la réforme du recrutement et des concours. Pire, ils sont 73 % à penser que ces réformes ont provoqué pour eux une surcharge de travail non pas pédagogique (travail en classe), mais périphérique (réunions, préparations, dossiers, évaluations…). Et 69 % d’entre eux considèrent que ces mêmes réformes sont inutiles pour les élèves.
Pour résoudre les problèmes du système éducatif, 75 % des personnels interrogés font avant tout confiance à leur syndicat, contre 33 % au ministère. Mais, désabusés et fatalistes, ils sont 77 % à penser que leurs attentes ne seront pas prises en compte par ce dernier. Et, comme si le divorce n’était pas déjà assez clair, concernant la gestion de la pandémie, les enseignants se montrent majoritairement satisfaits de leur action et de celle de leurs chefs d’établissement et inspecteurs (70 %), mais ils ne sont que 26 % à se dire satisfaits de l’action du ministère.
Pour une fois, les avis des parents et des enseignants se rejoignent : en effet, pour ces mois de crise sanitaire, 75 % des parents donnent un satisfecit aux enseignants, contre 45 % au ministère. Cette quasi lune de miel pourrait se poursuivre puisqu’une majorité de professeurs (58 %) se sent reconnue par les parents, lesquels pensent à 46 % qu’ils n’ont pas la reconnaissance salariale de leur travail. Aussi la revalorisation annoncée au cours du Grenelle ne contente que 26 % des enseignants (mais 61 % des moins de 30 ans), et 82 % considèrent que, globalement, salaire et carrière ne traduisent pas une juste reconnaissance de leur travail. Pas étonnant, dès lors, qu’ils soient 98 % à réclamer une augmentation de leur rémunération.

Les vraies inquiétudes des enseignants

Au chapitre des difficultés rencontrées et des questions de sécurité, les deux problèmes essentiels sont, pour 67 % des enseignants, les effectifs par classe, et, pour 58 % d’entre eux, les disparités de niveaux à l’intérieur des classes. Les relations avec la hiérarchie ne représentent une difficulté que pour 19 % des professeurs. Ils sont 98 % à attendre que leur autonomie pédagogique soit garantie. Et, dans le contexte actuel marqué par la persistance du coronavirus et l’onde de choc créée par l’assassinat de Samuel Paty, 52 % se disent inquiets pour leur sécurité face à la menace terroriste, 57 % de leur capacité à faire face à des mises en cause émanant d’élèves ou de parents, 61 % s’inquiètent pour leur santé compte tenu de la pandémie et 66 % pour les effets de cette situation sur le niveau des élèves. Telles sont les réelles inquiétudes des enseignants, à l’honneur de leur conscience professionnelle, qui mériteraient de figurer au centre des réflexions du Grenelle.
Mais les préoccupations du ministère ne sont manifestement pas celles de ses personnels : avec des objectifs comme développer la « recherche translationnelle » (plus de sciences de l’éducation), améliorer le « capital professionnel », ou encore préparer un nouveau « référentiel de compétences », la vision du métier n’est pas la même depuis la rue de Grenelle et depuis la salle des profs. Quant à la concertation, pompeusement nommée « incubateur du Grenelle de l’éducation », elle n’est qu’une parodie de consultation : les « ateliers » mis en place abordent, certes, de vraies questions, mais sans désir d’y apporter de vraies réponses. À quand une consultation démocratique véritablement démocratique et collaborative ?

Pascal Caglar

• Pour retrouver l’enquête Ipsos :
https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2020-12/rapport_fsu.pdf
• Pour retrouver les ateliers du Grenelle de l’Éducation :
https://www.education.gouv.fr/l-incubateur-du-grenelle-de-l-education-comptes-rendus-des-ateliers-307231

Pascal Caglar
Pascal Caglar

Un commentaire

  1. Un livre devrait rassembler les expressions et mots employés par le Ministère de l’Education. Un livre en effet flaubertien, un catalogue des idées reçues.
    Dans “Je parle comme je suis”, Julie Neveux ouvre de belles pistes, sur la “bienveillance” et la “citoyenneté”. C’est davantage la vraie vie que celle proposée par le Grenelle de l’éducation (avec ou sans majuscule ?)

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