« L’Éveil du printemps », de Frank Wedekind, à la Comédie-Française. Entretien avec Clément Hervieu-Léger

Dessin de Richard Peduzzi
Dessin de Richard Peduzzi, scénographe de “L’Éveil du printemps”, de Frank Wedekind © Richard Peduzzi

L’Éveil du printemps, pièce en trois actes, entre aujourd’hui au Répertoire de la Comédie-Française en même temps que son auteur, le dramaturge et poète allemand Frank Wedekind, mort il y a tout juste un siècle à l’âge de 53 ans.
Sous-titré « Tragédie enfantine » (Kindertragödie), le texte aborde la question des premiers émois de l’adolescence, prisonnière de ses angoisses et d’une société éminemment puritaine.
Rencontre passionnante avec son metteur en scène, Clément Hervieu-Léger.

 
Comment êtes-vous arrivé au texte de Frank Wedekind, publié en 1891, et finalement créé en 1906 après avoir été censuré pour pornographie ?
Clément Hervieu-Léger © Stéphane Lavoué / Pasco
Clément Hervieu-Léger © Stéphane Lavoué / Pasco

L’Éveil du printemps est une pièce que tous les acteurs croisent à un moment ou un autre durant leur formation. Des scènes comme celle entre Moritz et Ilse, ou entre Wendla et Melchior, sont souvent choisies et travaillées en classe. Sans doute parce que les apprentis-comédiens se sentent en empathie avec les personnages d’adolescents, encore proches d’eux, du moins par l’âge.
C’est donc une pièce que j’avais en tête depuis longtemps. Alors, quand Éric Ruf m’a proposé de mettre une nouvelle fois en scène dans la salle Richelieu [après Le Misanthrope en 2014 et Le Petit-Maître corrigé en 2016, Ndlr], je me suis dit que pour l’entrée à la fois de l’œuvre et de l’auteur au Répertoire, c’était le bon endroit et le moment idéal – vu le talent actuel de la jeune troupe du Français – de monter cette pièce avec ses quarante rôles et dans son intégralité !
 
Comment aborde-t-on une pièce qui montre des jeunes gens, prisonniers des tabous et des conventions, de l’hypocrisie d’une société (prussienne) fin de siècle, à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux ?
La force de la pièce de Frank Wedekind est, comme toutes les grandes œuvres, de ne pas être contrainte dans son époque. L’auteur s’affranchit des tabous, et montre tout. Il montre la masturbation collective, l’homosexualité, le sado-masochisme, le conflit avec les parents, et il aborde même la question de l’avortement. Autant de sujets qui demeurent parfaitement actuels.
Franz Wedekind © © Deutsches Historisches Museum, Berlin
Franz Wedekind © © Deutsches Historisches Museum, Berlin

Alors qu’il écrit sa pièce dès 1890, bien avant les Trois Essais sur la théorie sexuelle de Sigmund Freud (1905), Wedekind a l’intuition géniale de ce que peut être le fonctionnement des adolescents. Il devance non seulement le courant psychanalytique, mais aussi et surtout la notion d’adolescence, qui n’apparaît qu’en 1960 avec l’ouvrage de Peter Blos aux États-Unis, Les Adolescents : essai de psychanalyse (On adolescence). À une époque où l’on parle de « jeunes » pour désigner cet entre-deux encore méconnu, Wedekind nous permet d’entrevoir les adolescents comme un groupe constitué.
La modernité de l’auteur de L’Éveil du printemps provient, par ailleurs, de son approche frontale des sujets. Laquelle débute par le choix du vocabulaire. Celui-ci utilise le mot « avortement », et se réfère au divorce, un sujet seulement présent, à cette période, dans le théâtre nordique d’Ibsen ou de Strindberg par exemple.
Enfin, la pièce apparaît tellement en avance sur son temps que, située esthétiquement dans une autre époque, il est difficile de dire qu’elle date de 1890. Inutile, par conséquent, d’en tordre le texte pour qu’elle s’adresse à notre contemporanéité.
 
Pourquoi Freud, mais aussi Jacques Lacan qui rédige en 1974 une préface à la première édition de la traduction française, se sont-ils intéressés à la pièce de Wedekind ?
À la lecture de la pièce, on a souvent l’impression d’une illustration a priori des propos freudiens. Quoi qu’il soit, Freud y consacre quelques lignes dans Psychopathologie de la vie quotidienne (1901), et une séance entière dans les réunions de la Société psychologique du mercredi à Vienne en 1907. Freud voit là une succession de cas. À l’image de celui de Moritz, qui est exemplaire de ce que peut être une dépression adolescente, motivée par un cruel sentiment d’impuissance (échec scolaire, rapport aux parents), menant au suicide.
De fait, Wedekind n’évite pas la question du suicide. Il l’aborde du point de vue des adolescents, mais aussi de celui des professeurs qui, avant le conseil de discipline, évoquent des épidémies de suicides. Or, l’on sait aujourd’hui que le suicide peut être un phénomène contagieux, autant chez les adolescents que dans le monde de l’entreprise.
Les psychanalystes ont également été sensibles à la présence des rêves, centrale à la pièce. Les adolescents ne cessent de les évoquer. Et ce faisant, de se dévoiler, et d’interroger la question de la précocité face à la sexualité quand Moritz s’étonne, par exemple, des connaissances avancées de son ami Melchior, d’un an son cadet.
Dessin de Richard Peduzzi
Dessin de Richard Peduzzi © Richard Peduzzi

La pièce pose, en effet, la question de l’âge de la découverte de la sexualité. Le choc qu’elle peut provoquer n’est-il pas plus précoce de nos jours ?
Hans, qui est un adolescent éduqué, habitué à fréquenter les musées, découvre la nudité féminine sur des tableaux. L’émotion ressentie au cours de cette expérience nous ramène aux réseaux sociaux que nous évoquions tout à l’heure, et au choc éprouvé par les adolescents face à la nudité, celle qui précède la pornographie, bien sûr. Cette confrontation n’a, certes, plus lieu dans les musées, mais il y a toujours un moment où l’adolescent fait l’expérience brutale de la nudité.
Le choc de l’adolescent d’aujourd’hui et de celui de 1890 tenu, quant à lui, à l’écart des questions de sexualité, sont très proches. Les représentations de nu féminin conduisent Hans au fantasme, à l’éveil du désir par l’auto-érotisme. Un parcours qui est aujourd’hui identique, avec son mélange d’excitation, de peur et de honte attaché à l’acte. Seule la question du moment est sans doute différente.
 
Quels ont été vos choix de mise en scène pour aborder les délicates questions d’onanisme collectif, de sado-masochisme, d’avortement, de viol et de suicide ?
Le théâtre a cette capacité unique de rendre la suggestion plus puissante que de montrer crûment. Il serait néanmoins insensé de jeter un voile pudique sur une pièce qui ne l’est pas. Il faut, par conséquent, trouver les moyens d’être éloquent sans trivialité. Ce qui s’avère parfaitement possible ici. Car le texte de Wedekind est porteur d’une grande poésie. Sa langue et sa dramaturgie prennent dignement en charge, et avec délicatesse, tous les sujets sensibles qu’il développe.
Ce qui compte beaucoup pour moi, c’est la question de l’incarnation. J’ai donc travaillé à l’encontre du « précédent brechtien » que l’on a voulu voir dans la pièce de Wedekind, et que lui-même rejetait d’ailleurs, afin que les acteurs s’incarnent, sans distance, dans leur personnage. La seule distance que je vois avec les personnages, c’est celle de l’âge.
Comme je le disais, le texte est souvent lu et joué par des comédiens qui ont peu ou prou l’âge des rôles. Je pense que c’est une erreur. Le texte est si exigeant, les rôles si complexes et difficiles à jouer qu’ils requièrent des acteurs, certes jeunes, mais aguerris, dotés d’une solide expérience, et d’une maturité qui dépasse celle de l’acteur lui-même. Des qualités qui permettent d’assumer pleinement des scènes comme celle du sado-masochisme par exemple.
Il s’agit ici de « faire jeune ». Et mon travail est de rendre possible la convention théâtrale selon laquelle le public croit à l’âge des personnages dès le lever de rideau, indépendamment de celui des acteurs.
 
La pièce est sous-titrée « Tragédie enfantine ». En quoi votre mise en scène répond-elle à ce quasi oxymore ?
Cette formule n’a pas toujours été bien comprise. Le tragique n’exclut pas l’humour que Wedekind revendique clairement, à l’exception de la scène où M. et Mme Gabor envoient leur fils en maison de correction.
Édition de 1894, Caesar Schmidt, Zürich

L’Éveil du printemps est, selon son auteur, une pièce pleine d’humour et de soleil. Une pièce « climatique », faite de climats qui définissent l’action, plus encore que les lieux, réduits à de vagues évocations. De fait, il n’est souvent question que de « soir d’été ensoleillé », de « jour pluvieux », rompant avec l’unité de temps et de lieu. Une rupture qui est sans doute influencée par l’attrait de Wedekind pour le cabaret et le cirque.
Il faut donc prendre le sous-titre de la pièce avec davantage de mesure que ce que cela peut nous évoquer a priori. La « tragédie » s’adresse d’abord à notre humanité commune. Au sens antique du mot, la tragédie intime de chacun se trouve unanimement partagée. C’est la raison pour laquelle on relit sans cesse, pas seulement au niveau psychanalytique, des mythes tels que celui d’Œdipe par exemple.
Par ailleurs, la question de la tragédie, telle que la pose Wedekind, est aussi une affaire de lieu. Et lorsqu’on monte une tragédie antique ou classique, se pose toujours la question du lieu. Où la tragédie a-t-elle lieu ? C’est, donc, dans le sens de la définition du lieu que le sous-titre m’a inspiré. Or, sachant que dans L’Éveil du printemps on change d’espace à chaque scène et que le naturalisme n’est pas la réponse (scénographique), il s’agissait de traduire le passage d’un lieu à un autre dans une spatialité qui est elle-même mentale.
 
Pas de reconstitution de lieux : chambre, salle de classe, maison de correction, etc. S’agit-il d’un décor « abstrait » ?
En lien avec le sous-titre de la pièce « Tragédie enfantine », nous avons, le scénographe Richard Peduzzi et moi-même, réfléchi à un espace qui désigne l’enfance, assimilable à un jouet d’enfant tel que le jeu de cubes où chaque mouvement fait varier l’espace et le recrée. Une boîte-jouet, une boîte à jouer d’enfant qui serait aussi une sorte de palais à volonté qui est le décor parfait de la tragédie classique.
C’est donc un décor qui s’ouvre et se referme, à l’image du corps dans lequel l’adolescent se trouve enfermé ou, à l’inverse, dont il se sent parfois délivré. C’est un décor fonctionnant comme un mouvement respiratoire, où chaque lieu est néanmoins identifiable.
Ce décor est monochrome. Entièrement bleu, qui est une couleur très climatique, permettant le passage d’un univers gris à une nuit sombre, ou à un petit matin. Je voulais, avec Richard, que la lumière joue avec la couleur, à la manière d’un ciel.
Dessin de Richard Peduzzi
Dessin de Richard Peduzzi © Richard Peduzzi

Vous disiez que « L’Éveil du printemps » n’est pas une pièce naturaliste. Il est cependant question d’adolescents. Comment avez-vous travaillé le corps et ses mouvements dans l’espace ?
Ce n’est pas une pièce naturaliste, au sens où il ne s’agit pas de tomber dans l’anecdote. Mais, c’est une pièce qui exige l’incarnation à laquelle, à titre d’acteur et de metteur en scène, je crois beaucoup. Je crois au théâtre incarné. La distance, je la mets ailleurs, mais pas dans le jeu de l’acteur.
Dès que l’on donne chair à des personnages, on travaille sur les corps. Et mon travail consiste à mettre le corps de l’acteur en adéquation avec son personnage, sans que celui-là ait jamais à composer. Il s’agit ici de gommer toute théâtralité, qui affadirait le propos. Si je devais être bref, je dirais que c’est « comme dans la vie », et on le raconte au théâtre. Et c’est précisément ce que j’aime : quand la vie et le théâtre « frottent » ensemble.
 
Quels conseils avez-vous adressés à vos comédiens ?
Je suis très proche de mes acteurs, y compris sur scène, pendant les répétitions, et suis très attaché à la place occupée par chacun dans l’espace.
La mise en place des comédiens, le rapport des êtres dans l’espace racontent autant que les mots eux-mêmes. La position et les mouvements des corps doivent pouvoir suggérer les rapports de force, de séduction, de désir entre les personnages.
De plus, l’espace monochrome de Richard permet une sorte de gros plan continu sur les acteurs. La couleur est ici prise en charge par les costumes, et accroît d’autant le processus d’incarnation des personnages. L’œil du spectateur n’est attiré par rien d’autre que le corps des acteurs. Or, sachant que ce n’est pas tant le corps en soi qui m’intéresse que la manière dont tous interagissent, l’effet scénique est visuellement magnifique. Comme lorsqu’un groupe d’adolescentes se disloque, ou se transforme et change de comportement à la vue d’un garçon, simplement parce que le cœur bat plus vite. Aussi est-ce à moi de faire battre plus rapidement le cœur de mes acteurs pour trouver la justesse du corps.
 
Au milieu de ce décor monochrome, les costumes des années 1950-1960 apportent la couleur. Ils sont également des marqueurs temporels.
Je voulais sortir des années 1890, contemporaines de l’écriture de la pièce. Et, inversement, je ne trouvais pas « juste » d’inscrire la pièce dans notre époque.
Les années 1950-1960, précédant la révolution sexuelle, m’intéressaient pour toutes les questions liées au problème de l’avortement dont les femmes décèdent encore fréquemment, à l’image de Wendla, victime d’une « faiseuse d’ange ».
C’est la période d’avant 68, intéressante également pour ses principes éducatifs. C’est une époque où l’on porte encore l’uniforme, et le rapport à l’autorité et à l’échec scolaire y est différent.
Les costumes me permettaient de parler de cette période-là sans malmener les sujets (école, avortement) développés par le texte de 1890. Et, si l’on revient à la question du corps, ils autorisent une liberté de mouvement, bien différente de celle accordée par des costumes allemands de la fin du XIXe siècle.
Enfin, le personnage de l’homme masqué qui est, à mes yeux, proche de la vision du clochard céleste de Jack Kerouac, lui-même inspiré de l’adolescent absolu qu’est Arthur Rimbaud, correspond parfaitement à cette époque.
 
En quoi est-ce si important de monter « L’Éveil du printemps » dans son intégralité ?
Couper le texte, c’est le réduire à une succession de cas et n’en proposer qu’une lecture psychanalytique en ignorant la constitution des adolescents comme groupe social. Or, ce qui est passionnant dans ce que Wedekind nous donne à voir, c’est que ces jeunes êtres, parfaitement singuliers, forment groupe. Un groupe si important aujourd’hui que tous les médias s’y intéressent de près. Cependant, si on veut le comprendre, il faut se livrer aussi à une lecture sociologique, car c’est dans l’interaction des groupes sociaux que les adolescents se constituent – en rapport et/ou en réaction, parfois violente, face aux parents d’une part, face à l’école de l’autre. Par conséquent, si l’on supprime la scène des parents ou des professeurs, on se prive d’une immense partie de la compréhension de la pièce.
D’autre part, le groupe n’a d’existence, d’intérêt et de pertinence qu’à plusieurs. Et, une fois encore, les moyens de la Comédie-Française permettent de les faire exister tous. Y compris les six professeurs au cours de la scène du conseil de classe de l’acte III. Et la seule présence sur scène de ces six personnages rend la lecture du texte parfaitement juste.
Dessin de Richard Peduzzi
Dessin de Richard Peduzzi © Richard Peduzzi

La pièce se compose d’une suite de tableaux sans unité de lieu, ni d’espace. Comment êtes-vous parvenu à faire le lien et à trouver une unité ?
Plus que de tableaux, il faudrait parler de séquences. Je trouve que L’Éveil du printemps s’apparente à une sorte de montage cinématographique. Et, à la manière d’un film qui trouve son unité spatio-temporelle dans la continuité narrative, j’ai cherché à construire un récit continu, et à raccorder les séquences qui le composent. Et c’est le décor qui prend en charge tous les liens entre elles.
On est ici dans un décor très mobile, qui bouge beaucoup, comme une sorte de montage à vue. Le décor ne cesse de se transformer pour accompagner ces différentes séquences. Or, ces changements de décor sont davantage motivés par des changements d’atmosphère que par la temporalité qui reste assez ténue. Bien plus que la continuité temporelle, c’est le climat qui intéresse Wedekind…
 
Le climat intérieur…
Oui. Le climat comme reflet des états d’âme. Un intimité qui passe par l’extérieur, par le décor. Il faut donc davantage chercher à accompagner un mouvement intérieur/extérieur que de se situer dans le réalisme spatio-temporel. J’ai donc travaillé le texte dans ce sens, et fait de la mise en scène un vaste mouvement : mouvement des décors, mouvement vers la mort pour Moritz – et Wendla malgré elle –, mouvement vers l’existence pour Melchior.
Melchior décide certes de vivre, mais il n’est tenté par aucune vision sublime de la vie. Il n’a aucun enthousiasme à sortir de l’adolescence pour entrer dans le monde adulte, dont la perception est terrifiante de pessimisme.
 
En effet, les adultes ne sont guère épargnés dans la pièce. De quoi vous semblent-ils coupables ?
La société prussienne sous Bismarck est très rigide. L’ordre moral et la religion pèsent très lourds sur les consciences. Wedekind en stigmatise rudement l’hypocrisie.
Édition de 1905, Albert Langen, Munich

Le corps professoral est, pour sa part, coupable de lâcheté. Le recteur craint d’être jugé. L’institution scolaire clame son innocence et fuit ses responsabilités.
Le cas des parents est différent, notamment celui des deux figures maternelles. L’une, la mère de Wendla, est à la tête de ce que l’on appelle aujourd’hui une famille monoparentale. Gênée, elle peine à trouver les mots pour répondre à la curiosité légitime de sa fille. Parler de la contraception à cette dernière lui paraît insurmontable. C’est un acte délicat, y compris de nos jours.
La mère de Melchior a, en revanche, l’esprit plus délié. Elle alerte son fils sur sa lecture de Faust, mais ne la lui interdit pas. Ses principes d’éducation sont étonnamment modernes, et s’apparentent à ceux qui se développeront dans les années 1950-1960, et qui conduiront au développement des méthodes pédagogiques du type Montessori ou de la Maison verte de Françoise Dolto.
Le rapport entre Melchior et sa mère est fondé sur la confiance, qui déstabilise le couple et exclut le père de cette relation privilégiée. Or, quand le fils déchoit, le père en profite pour reprendre sa place dont il se sent spolié depuis quatorze ans, et ce au prix d’un Œdipe à l’envers où celui-ci « tue » son propre fils en l’envoyant en maison de correction.
Enfin, si l’on considère également le poids que fait peser le père de Moritz sur son fils (qui se suicide et qui est renié par lui post-mortem), la question des parents est complexe. Wedekind nous offre une galerie de possibles, de stéréotypes parentaux extrêmement intéressants à projeter dans notre propre société.
Dessin de Richard Peduzzi
Dessin de Richard Peduzzi © Richard Peduzzi

Quels échos la pièce de Wedekind peut-elle avoir dans l’esprit des jeunes spectateurs qui ont l’âge des personnages ?
Je fais du théâtre pour essayer de comprendre le monde. Et le théâtre, a fortiori L’Éveil du printemps, s’adresse à nous de manière très intime.
Je suis persuadé que les adolescents présents dans la salle seront troublés, voire dérangés, par certaines scènes. Simplement parce que ce sera incarné, qu’il y aura des « gens en vrai » devant eux, qui leur parlent d’eux, sans le filtre ou la distance de l’écran dont on sait les ravages.
Mais, au-delà de leur gêne éventuelle, je souhaite qu’ils s’interrogent sur eux-mêmes, qu’ils questionnent leur regard, qu’ils reconsidèrent leurs idées et leurs certitudes.
J’espère que la pièce suscitera des discussions entre eux, des désaccords bien sûr, une identification peut-être, ou une approbation du texte. J’espère enfin qu’elle donnera l’occasion de débattre et de discuter autrement avec les adultes, parents et professeurs, pas seulement d’un point adulte, de l’ordre de l’étude de cas psychologique ou psychanalytique, mais d’un point de vue qui leur appartient. Si tel est le cas, j’aurai le sentiment d’avoir accompli mon travail.

Propos recueillis à Paris, le 27 mars 2018, par Philippe Leclercq

 
• « L’Éveil du printemps », de Frank Wedekind, à la Comédie-Française, place Colette, Paris 1er, du 14 avril au 8 juillet 2018. Tél. : 01 44 58 15 15.

Philippe Leclercq
Philippe Leclercq

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