Libre Garance !,
un film pour réconcilier les élèves de troisième avec le cinéma d’auteur

Dans un hameau des Cévennes, en 1982, une famille de libertaires tente de vivre en accord avec ses idéaux. Au travers des yeux de leur fille aînée, Garance, leur singularité et leur engagement sont mis en scène sans tabou. Lisa Diaz interroge cette époque mais aussi la nôtre, à l’écologie tardive.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Sorbonne Université.

Dans un hameau des Cévennes, en 1982, une famille de libertaires tente de vivre en accord avec ses idéaux. Au travers des yeux de leur fille aînée, Garance, leur singularité et leur engagement sont mis en scène sans tabou. Lisa Diaz interroge cette époque mais aussi la nôtre, à l’écologie tardive.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Sorbonne Université.

Il est toujours étonnant de se retrouver quasi seul dans une salle de cinéma, a fortiori parisienne. Toutefois, cette relative solitude, quand la lumière revient après le générique de fin, a aussi comme corrélat l’heureux sentiment d’être privilégié. Car Libre Garance !, premier long métrage de Lisa Diaz, sélectionné au festival de Cannes 2022 dans la catégorie « Écrans Juniors », étonne et détonne dans le paysage cinématographique du moment, même s’il est encore loin d’être un succès en salles.

La réalisatrice a eu l’heureuse idée de s’attacher à son personnage éponyme, Garance (Azou Gardahaut Petiteau), onze ans, dont la famille est restée imprégnée de l’esprit de résistance du Larzac (1971-1981). Autrement dit, du désir de vivre hors des normes et des contraintes de la société capitaliste et urbaine.

Une utopie difficile à vivre

Aux yeux de Garance, vivre en dehors de la modernité n’a rien d’une sinécure, autant pour son couple de parents, Marie (Lolita Chammah) et Simon (Grégory Montel), que pour ses sœurs cadettes, quand la seule tolérance au progrès passe par l’acceptation de la fée électricité. Chez elle en effet, on se baigne nu dans la rivière aux alentours, on se nourrit de sa propre production maraîchère, on élève poules, lapins et moutons. La meilleure amie de la famille (Lætitia Dosch), qui se substitue à la mère quand cette dernière quitte le foyer, accouche sous l’œil de toute la communauté, y compris des enfants. Quant à la télévision, elle ne reste regardable qu’inopinément, quand on est invité chez son meilleur copain au village. La force de la mise en scène de Lisa Diaz tient à la captation des humeurs de Garance, qui oscille entre fascination et désespérance face à ce monde authentique que ses parents cherchent à préserver, et toute leur communauté de personnalités atypiques autour.

Poursuivre le rêve maternel

L’intrigue du film démarre au moment où Garance visionne un reportage du journal télévisé relatant que des Italiens, présumés liés aux Brigades rouges et de mèche avec les communautés libertaires des Cévennes, sont en cavale près de chez elle après le braquage d’une banque qui s’est terminé dans un bain de sang. Un des « terroristes », incarné par Simone Liberati, a en effet trouvé refuge dans une bergerie désaffectée non loin de sa maison. Alors que la jeune fille se prend d’affection pour le paria, sa famille implose après le départ de sa mère. Celle-ci n’en pouvait plus de vivre en dehors du temps et du monde, comme des « péquenots » ayant oublié le goût du risque propre à leurs engagements passés. Élevée dans le culte de la désobéissance civile, Garance se trouve en situation d’aider dans le plus grand secret un militant et bandit devenu l’ennemi public numéro 1. Ce faisant, elle se met en tête même de réaliser le rêve activiste maternel.

Un film raccord au programme de troisième

Ce film entrecroise deux axes des programmes de troisième : « Individu et pouvoir » et « Dénoncer les travers de la société ». En effet, Libre Garance ! ne s’offre pas seulement comme une forme de témoignage sur la société alternative que des idéalistes ont essayé de mettre en pratique, il questionne la prise de responsabilités d’une adolescente qui s’engage dans une voie allant a priori contre le bon sens et la raison. En outre, en tenant compte du fait que la réalisatrice a vécu sur le plateau cévenol, les élèves pourront être conduits, toujours selon les prescriptions programmatiques (axe : « Se raconter »), à travailler sur l’écriture de soi, qui peut bien entendu passer par le cinéma.

Libre Garance ! est une source de débats : sur le mode de vie des parents comme le choix de la jeune fille de protéger un militant devenu meurtrier. De manière subtile, en se déconnectant de notre époque pour replonger dans des temps d’utopie, Lisa Diaz laisse l’imagination et la réflexion du spectateur faire de constants allers-retours entre 1982 et 2022, entre cet appel à la désobéissance civile et les mouvements zadistes, entre une volonté de vivre en symbiose avec la nature et l’urgence écologique.

À sa façon, Libre Garance ! a quelque chose d’un conte, au sens où tout ce qui est montré par la réalisatrice touche à la fois l’invraisemblable et l’ailleurs eu égard aux transformations de la société ultracontemporaine. En outre, comme dans un conte, l’héroïne développe un esprit de résistance et de résilience, au fil d’expériences et d’épreuves, qui finissent par en faire un vrai esprit libre ayant réussi à remettre l’imagination au pouvoir.

A. S.

Libre Garance !, film français de Lisa Diaz (1h36). Avec Azou Gardahaut Petiteau, Grégory Montel, Lætitia Dosch, Lolita Chammah. En salles.

Ressources

https://www.nourfilms.com/cinema-independant/zone-libre/

https://www.lisadiaz.fr/

Le conflit du Larzac, archaïque ou moderne ?, France culture, 3 mars 2018.

Le Larzac, une communauté dans l’histoire, France culture, 10 mai 2021.

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron