L’improvisation théâtrale dans les établissements scolaires : et pourquoi pas une option ?

Les élèves et deux comédiens
Les élèves et deux comédiens

Le 19 mai dernier, au théâtre Le Comedia, à Paris, François Hollande, Aurélie Filippetti et Benoît Hamon répondaient présents à l’invitation de Jamel Debbouzze et de Marc Ladreit de Lacharrière pour remettre le Trophée d’improvisation théâtrale à des collégiens.
Le succès de cette après-midi d’improvisation auprès du président de la République aurait fait émerger l’idée d’un développement de cette pratique artistique dans les établissements scolaires et, pourquoi pas, l’ouverture d’une option en collège et en lycée.

 

Mais qu’est-ce que le théâtre d’improvisation ?

Le théâtre d’improvisation est né au Québec en 1977 grâce à Robert Gravel et à son Théâtre Expérimental de Montréal. Il s’agissait alors de définir les premières règles du match d’improvisation. Cette pratique aura beaucoup de succès auprès du public. Aujourd’hui, le format compétition entre deux équipes existe encore, mais certaines compagnies développent des formes de spectacles nouvelles. Par exemple, le Deus ex Machina est une technique québécoise qui consiste à jouer à partir de deux mots tirés au hasard par le public.
Le théâtre d’improvisation favorise le développement personnel et l’expression, il accroît le sens de la répartie. Il permet le dépassement de soi, la révélation de nos capacités. L’humour est l’élément clé de cette pratique car il permet de dédramatiser et de dire des « vérités » dans une ambiance détendue.
Le rôle de l’animateur est capital car il oriente le comédien ou l’élève, et le valorise sans cesse. Il donne également une image de l’adulte bienveillant, ce n’est pas un professeur, ce n’est pas un parent, c’est un artiste, créatif, drôle et sympathique qui vous révèle des choses sur vous. Cette personne doit être disponible, compréhensive, patiente, à l’écoute de chacun pour anticiper d’éventuels conflits et trouver la parade aux débordements qui peuvent poindre.
Dans la pratique de l’improvisation à l’école, l’interaction est intéressante car elle est triple  et se joue entre l’animateur et deux élèves.
L’entraide est nécessaire pour faire avancer les scénettes, et l’animateur soutient chaque élève ou comédien. Inversement, l’élève propose, impulse et guide également. Les élèves s’épaulent, se « sauvent la mise » quand l’un d’entre eux est en manque d’idées, et cela fonctionne : l’esprit de groupe, la solidarité sont perceptibles. Si bien que, plus à l’aise dans l’exercice, les élèves les plus hardis vont se liguer et essayer de décontenancer le « maître ». Leur victoire.

Quelle expérience personnelle dans mes classes ?

Depuis trois ans, je fais intervenir Robert Brideau, directeur de la Compagnie Be’ding Bedingue, à Versailles, dans mon établissement scolaire, un lycée polyvalent d’environ cinq cents élèves, en milieu rural, dans l’Indre.
La première année, ne connaissant pas du tout cette pratique, j’ai laissé Robert Brideau animer deux journées d’atelier d’improvisation théâtrale avec ma classe de seconde bac pro secrétariat, une classe de vingt filles. À ma grande surprise, ces deux jours m’ont fait découvrir mes élèves sous un jour nouveau. L’humour, élément fondamental de cette pratique, a créé un climat extrêmement convivial et un peu fou.
La créativité permise, libérée, tolérée, attendue, a permis aux élèves les plus inhibées et les plus en difficulté scolairement de se révéler sous un nouveau jour. Je les ai vues rayonner, sous l’œil rieur et bienveillant des camarades d’ordinaire plus extraverties. Enfin, le niveau se lissait, s’harmonisait, grâce à ces deux jours d’activités.
La moitié des élèves de cette classe est allée au spectacle de la compagnie le soir du dernier jour de stage. Accompagnées de leur famille, les jeunes filles n’ont pas franchi le cap de monter sur scène auprès des comédiens, mais je sentais par leur présence au spectacle, une reconnaissance forte pour le travail de Robert Brideau et ce qu’il leur avait apporté humainement.
De retour en classe, moi, professeur de lettres-histoire, j’étais leur “égale” car j’avais participé au jeu théâtral avec elles, comme elles, avec mes propres peurs face à cette expérience. J’avais pris des risques et elles ne m’en respectaient que davantage. « Madame, on recommence l’année prochaine, c’était génial ? »

Le moyen de décloisonner les filières

L’année suivante, le projet a évolué. Forte de cette première expérience, j’ai décidé d’engager plus d’élèves dans l’aventure de l’improvisation. Nous avons décidé, avec une collègue de français de la SEG, de mélanger mes élèves considérés comme les plus faibles – des CAP parc et jardin – et une classe de première L particulièrement brillante.
Ce projet était fondé sur la participation active des deux classes à l’atelier. Chacune a bénéficié d’une séance de trois heures pour travailler sur les techniques de l’improvisation en petits groupes. Une séance commune de trois heures a ensuite permis de réunir les deux classes, d’homogénéiser les approches et de préparer les possibilités de participation au spectacle du soir dans la ville.
Projet audacieux donc, et risqué, car au lycée ces deux mondes ne se côtoient jamais, s’évitent, voire se méprisent. L’idée était de décloisonner les filières et de travailler sur le respect de l’autre, d’éliminer les préjugés et autres clichés. Passée la première heure empreinte de méfiance, l’alchimie a réussi, les élèves ont travaillé ensemble et agréablement. La mixité a finalement été la difficulté la moins aisée à résoudre. Cette observation, à laquelle nous ne nous attendions pas ma collègue et moi, a été la clef de notre projet pour la troisième année.

Parvenir à la mixité ?

Définitivement conquises par l’expérience, ma collègue et moi-même, avons affiné notre projet la troisième année. Cette fois, nous avons travaillé sur la mixité en mélangeant une classe de bac pro mécanique agricole – que des garçons –, et une classe de première L – que des filles. Superbe interaction. Les liens créés étaient forts et le respect mutuel est devenu palpable. Les garçons ont compris que l’on peut être viril sans être misogyne et les filles que l’on peut être drôle sans être vulgaire et en ne perdant rien de sa féminité.
L’expérience a encore une fois été  un succès, les élèves se sont dépassés et pourtant Robert Brideau avait mis la barre très haut en proposant des exercices axés sur la séduction, le rôle du corps. Par exemple, séduire quelqu’un de l’autre sexe assis sur une chaise en évoluant sur un tango argentin ; marcher comme un top modèle sur un podium ; danser seul quelques secondes sur une musique de Bruno Mars et devant tout le monde… Nos collègues ayant eu des échos positifs de ces ateliers et du succès qu’ils rencontraient auprès des élèves, Robert Brideau a présenté la démarche à l’ensemble du personnel du lycée.
 

En quoi cette pratique artistique peut-elle devenir un outil pédagogique à part entière ?

Le Ministère de l’Education nationale se donne pour objectif de réduire les inégalités et de favoriser la réussite de tous. La pratique régulière du théâtre d’improvisation à l’école, notamment si elle est envisagée comme une option peut avoir pour objectif de remotiver et de revaloriser des élèves car elle travaille sur l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et permet d’éviter le décrochage scolaire.
Cette revalorisation de l’individu améliore le climat de la classe et de l’établissement. Les élèves, investis dans une activité artistique, valorisés dans leur individualité, vont devenir moteurs dans l’établissement.
Enfin, et ne l’oublions pas, cette activité peut également interagir sur les relations élèves-enseignants. L’équipe éducative aura une image plus positive de ces élèves, ne les considérant plus comme étant « perdus pour l’institution. On notera davantage de bienveillance à leur égard, donc des appréciations plus nuancées ou plus valorisées, une re-motivation, moins de décrochage, etc.

Priorité à l’école primaire et aux projets inter-degrés

La pratique régulière du théâtre d’improvisation s’inscrit parfaitement dans le processus de réforme de l’école primaire. En effet, les activités pédagogiques complémentaires (APC), peuvent être le lieu d’une telle activité.
L’objectif de chaque établissement peut être différent, selon qu’il s’agisse de mettre en avant la créativité, l’épanouissement personnel, la maîtrise de la langue, ou les relations garçons-filles…
Un projet inter-degrés dont l’objectif est de favoriser la prise de contact entre les élèves de CM2 et ceux de 6e et de 5e du collège de secteur peut également être imaginé.
Ce dernier point est d’ailleurs préconisé par la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’École qui vise à ” permettre une transition plus sereine et mieux organisée entre l’école primaire et le collège. L’arrivée au collège est en effet pour beaucoup d’élèves, et notamment pour ceux dont les acquis sont les plus fragiles, un cap difficile ».
Ainsi, la pratique régulière du théâtre d’improvisation, qu’elle soit envisagée dans le cadre d’une option au collège ou d’une APC à l’école primaire, nous semble être particulièrement judicieuse. Elle s’inscrit particulièrement bien dans les objectifs actuels de la réforme si du moins une institutionnalisation de cette pratique artistique et culturelle, n’en dénature pas le sens profond. 

Delphine Roux-Bellicaud

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• Voir l’article du Monde du 19 mai 2014 sur la finale du théâtre d’improvisation au théâtre Le Comédia, à Paris.

Liberté, égalité, improvisez, un documentaire de Mélissa Theuriau sur Canal+ mercredi 10 septembre à 20h 50.

• Entretien avec Robert Brideau, directeur artistique du Be’ding Bedingue théâtre : L’improvisation est un art très populaire.

• La fondation Culture et diversité qui organise des matchs d’improvisation inter-collèges.

• Le théâtre dans les  Archives de “l’École des lettres”.

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Delphine Roux
Delphine Roux

Un commentaire

  1. L’impro théatrale est aussi un bon outil dans le domaine de l’inclusion scolaire des enfants en situation de handicap et c’est encore plus démonstratif qu’avec des élèves ordinaires inhibés.
    Il y a une expérience intéressante dans l’académie de la Vienne avec l’impro théatrale avec des autistes Asperger.
    Ce projet devrait être suivi par Canal Autisme avec des captations vidéo.

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