« Maître des Brumes », de Tomi Ungerer

ungerer_maitre_des_brumes_couv_517x353À plus de quatre-vingt-un ans, Tomi Ungerer continue d’occuper le devant de la scène avec une juvénilité qui n’appartient qu’à lui.
Il était récemment le narrateur du film de Stephan Schesch, Jean de la Lune, adapté de son conte graphique – le film, que l’on peut encore voir dans certaines salles, est une réussite, tant par sa fidélité à l’esprit et au graphisme du conte, que par sa poésie méditative et joviale.
Et l’école des loisirs publie son dernier album, Maître des Brumes, l’un de ces contes eschatologiques et drolatiques dont il a le secret.….

Un hommage à l’Irlande

Cet album est d’abord un hommage à l’Irlande, le pays de son épouse, où Tomi Ungerer a choisi de vivre depuis un certain nombre d’années. La dédicace est sans équivoque : « Ce livre est dédié à l’Irlande et à tous les gens qui nous ont accueillis à cœur ouvert », et si la chaleur s’absente de la grisaille des paysages, elle est bien présente dans l’humanité de ses habitants qui s’unissent pour affronter l’adversité et se retrouvent pour faire la fête.
Le point de départ du récit fait un peu penser au roman de Michael Morpurgo, Le Jour des baleines : deux enfants, un garçon, Finn, et une fille, Cara, vivent sur une île dans un petit village de pêcheurs coupé du monde. « Ne vous approchez jamais de l’île aux brumes ! » les avertit leur père en leur faisant don d’un curragh, petit bateau fait de roseaux tressés et de toiles enduites de goudron.
Comme dans tous les contes, l’interdit sera transgressé, et les enfants débarqueront par une nuit brumeuse sur une île des plus inquiétantes. Les rochers anthropomorphisés, les branchages qui les enserrent comme des doigts de sorcière créent une atmosphère effrayante à souhait qui ravira les plus petits.
Pour échapper au froid et à la faim, les enfants s’en vont sonner à une porte scellée dans un mur de pierres. Se présente alors à eux un étrange personnage, mélange de Noé, de Robinson et de capitaine Nemo, qui leur révélera comment il fabrique les brumes qui ne cessent d’envahir l’île.
Le gris de la brume et des rochers, le brun des terres dominent dans cet album dont chaque planche est une ode à l’Irlande. Le dessinateur s’est plu à multiplier les scènes de genre : travail de la ferme, gardiennage des moutons (sous l’œil bienveillant d’un dolmen !), récolte de la tourbe, filage et ravaudage des filets dans l’humble chaumière familiale.

Un gigantesque mandala

Dans cet univers du quotidien, l’intrusion du mystérieux roi des Brumes et de son usine à fabriquer le brouillard a tout d’un songe. Le récit est d’ailleurs construit sur le mode de l’incertitude propre au fantastique.
La présence de ce personnage, coiffé d’une bougie allumée, illumine le récit comme les maigres taches de lumière qui, de loin en loin, parsèment l’illustration. Les motifs du cercle protecteur et de la tache rouge se déclinent comme autant de contrepoints à la brume qui envahit l’univers des enfants : ils culminent au cœur de l’album quand, sous l’impulsion du maître des Brumes, les deux héros sont amenés à contempler, en une scène dantesque, le cœur de la Terre. La page est construite comme une sorte de gigantesque mandala représentant un puits dont la paroi, véritable toile d’araignée, se perd dans le fond du magma en fusion.
Maître des Brumes est donc une nouvelle réussite à porter à l’actif du vieux maître qui confiait, il y a peu, avoir dans ses cartons des dizaines de scénarios. Souhaitons-lui, comme à son roi des Brumes, une longévité qui lui permette d’alimenter encore longtemps nos rêves et ceux de nos enfants.

Stéphane Labbe

 
Tomi Ungerer, « Maître des Brumes », l’école des loisirs, 2013.
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