Marché du soutien scolaire : une progression inquiétante

S’il y a bien un sujet signalant un déficit de confiance dans l’école, c’est le marché du soutien scolaire qui ne cesse d’attirer des parents, toujours plus anxieux pour l’avenir de leurs enfants et plus sceptiques sur les conditions de réussite offerte par l’Éducation nationale. À l’approche du bac, de ses révisions et de ses fantasmes, un petit point sur le sujet est sans doute éclairant.
Le groupe d’études économiques sectorielles Xerfi publiait fin 2017 une enquête et des prévisions sur le business du soutien scolaire à l’horizon 2020, confirmés par la multiplication continue d’organismes, plateformes et sites de cours en ligne. Cette étude nous alerte sur ce phénomène qui place la France en tête des pays d’Europe pour les cours particuliers, et à la troisième place dans le monde pour le recours à l’aide scolaire à domicile.

Angoisse devant les notes, angoisse devant l’orientation, angoisse devant les examens, l’inquiétude des familles s’accroît au moment même où les résultats scolaires sont plus bienveillants que jamais, où les livrets préfèrent parler d’acquisitions ou de compétences, où les appréciations sont toutes en litotes et euphémismes, où le discours pédagogique veut déplacer l’enjeu éducatif.
Mais il est vrai que dans le même temps  la remise du bulletin reste encore un rituel solennel et dramatisé au collège, vrai aussi que les notes du bac et les mentions correspondantes restent un fétiche pour la vie, vrai que Parcoursup est devenu sélectif, vrai que les diplômes, les bac +3, les bac +5 sont des protections contre le chômage, et dans cette atmosphère de contradiction, relativisant les notes et simultanément les sacralisant, il n’est pas étonnant que les familles fassent le choix de la performance, de la surenchère dans les bons résultats, de la compétition scolaire.
Le soutien scolaire commercial révèle une autre face de la défiance envers l’école lorsque l’on compare le succès des organismes privés face aux mesures d’aide personnalisée mises en place par l’Éducation nationale. L’accompagnement pédagogique existe au collège, avec des heures spécifiques et du personnel dédié. Un programme « devoirs faits » est mis en œuvre depuis 2017, des stages sont proposés pendant les vacances, l’ouverture des établissements aux associations bénévoles est aujourd’hui une pratique courante, et toutefois les organismes privés recueillent majoritairement la confiance des parents et le plébiscite des enfants chaque fois que le désir de progresser est intimement installé dans l’esprit d’une famille.
C’est un peu comme s’il fallait nécessairement changer de lieu, de cadre, d’interlocuteur, pour retrouver l’espoir d’un apprentissage réussi, comme si l’idée que c’est mieux ailleurs, en dehors de l’Éducation nationale, à son domicile ou dans un petit bureau commercial, était une certitude indiscutable. Même baptisée « accompagnement personnalisé », l’aide aux devoirs en milieu scolaire reste collective et tout parent garde inconsciemment en mémoire le modèle du préceptorat d’antan.
Autre paradoxe du soutien scolaire, face au rappel jusqu’à l’obsession de la nécessaire qualification des professeurs, de l’indispensable formation des enseignants, le recours majoritaire à des étudiants (bac+2, +3) par les organismes privés, loin de décevoir les familles et les élèves, fournit d’excellents taux de satisfaction. Lorsqu’il s’agit simplement de réexpliquer une leçon, de diriger un devoir, de mettre sur la voie des bonnes réponses, de faire réviser un chapitre, force est d’admettre qu’un étudiant est parfaitement capable d’apporter ce petit coup de pouce à la compréhension du cours ou des exercices. Faut-il dès lors s’appuyer sur ce genre de constat pour faire entrer davantage d’étudiants dans les établissements scolaires, en soutien, voire en substituts aux professeurs ? Un certificat par l’employeur privé d’un étudiant pourrait-il à l’avenir se transformer en droit d’entrée dans l’Éducation nationale ?
Le succès du soutien scolaire ne peut manquer d’être sinon encouragé du moins observé de près par le ministère parce que sur bien des points ce secteur rencontre ou anticipe des évolutions envisageables dans l’enseignement : c’est le cas notamment pour l’évaluation (par les élèves ou leurs parents), mais aussi pour tout ce qui est éducation en ligne, e-learning, vidéo-corrections, cours interactifs. Certains sites d’aide scolaire mettent en avant leur capacité à innover, leurs outils pédagogiques digitaux, et l’ensemble des acteurs traditionnels des cours particuliers se tourne de plus en plus vers des plateformes d’enseignement numérique.
Avec les incitations fiscales depuis la loi Borloo de 2005 accordées aux familles recourant au soutien scolaire déclaré, la croissance n’a jamais cessé pour les organismes privés. De quoi faire réfléchir sur la réelle égalité dans l’éducation, sur l’adéquation des programmes aux capacités réelles des élèves, sur la pédagogie mise en œuvre dans et les établissements scolaires.
Et vous avez dit confiance ?

Pascal Caglar

Groupe Xerfi : Le marché du soutien scolaire à l’horizon 2020. Menace d’ubérisation, enrichissement de l’offre, recours croissant au numérique : quelles perspectives pour le marché et ses différents acteurs ? (Décembre 2017.)

Pascal Caglar
Pascal Caglar

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *