"Noce", de Jean-Luc Lagarce

"Noce", de Jean-Luc lagarceIl est bon de ne pas réduire l’œuvre de Jean-Luc Lagarce (1957-1995) à la seule pièce Juste la fin du monde qui avait été inscrite au programme des classes de terminale L dès 2007.
Le théâtre du Lucernaire donne opportunément à la Compagnie de la Porte au Trèfle la possibilité de faire découvrir une pièce plus ancienne mais toujours d’actualité, Noce (1982), dans une mise en scène de Pierre Notte : belle manière de s’initier au théâtre contemporain et d’élargir sa connaissance de l’auteur.

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Une allégorie de la société

Cinq comédiens, campant deux hommes, deux femmes et une jeune fille, racontent leur histoire, sur le mode : “comment je me suis invité à la noce et comment tout à dégénéré”. Le spectateur peu accoutumé à cette écriture a la surprise de ne pas rencontrer de scènes ou de dialogues à proprement parler, mais des discours, voire des monologues, qui se succèdent, se croisent, se font écho et tissent finalement des liens progressifs et linéaires.
Racontant plus que montrant l’action, les personnages décrivent leur désir de participer à une noce somptueuse dans leur voisinage, leur droit à en être, leur coup de force pour y participer, puis pour en jouir, y prendre leur part, avant de se proclamer les rois de la fête, les nouveaux noceurs et de vivre les conséquences de cet appétit de jouissances.
Il y a dans Jacques le fataliste la description d’un château étrange au frontispice duquel on peut lire : « Je n’appartiens à personne et j’appartiens à tout le monde ». Le narrateur y envoie ses personnages qui commencent à y vivre des aventures puis il s’interrompt et nous dit : ce château n’était qu’une allégorie.
La pièce est de cette veine : le spectateur comprend à mi-chemin que cette noce n’est qu’une allégorie, qu’il s’agit de la société présentée comme une fête, une noce dont sont exclus certains qui feront tout pour s’y introduire et s’en mettre plein la lampe. Les cinq représentent des classes sociales ou des types sociaux : d’abord aigris et revendicatifs, ils deviennent ces nouveaux riches guère meilleurs que ceux qu’ils ont délogés.
 
"Noce", de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Pierre Notte
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Le plaisir de la double lecture

Pour le spectateur le plaisir est dans cette découverte, cette double lecture, littérale et métaphorique, qu’un décor minimaliste et dérisoire rend accessible : quelques chaises, une table, des aliments en plastique, une musique qui provoque les personnages plus qu’elle n’accompagne leur action, un jeu d’acteurs composant des tableaux de groupe plus que des scènes réalistes, tout cela forme une esthétique théâtrale captivante bien que non traditionnelle.
Dans la toute petite salle du Lucernaire, cette salle sous le toit dite Paradis parce que tout en haut de l’ancienne usine devenue atelier de culturel, les acteurs jouent sous le nez des spectateurs, créant une proximité qui tour à tour rend juge ou complice. Le résultat, impressionnant, convainc qui en douterait que l’intérêt pour Jean-Luc Lagarce vaut plus qu’un effet de mode.

Pascal Caglar

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• “Noce”, de Jean-Luc Lagarce, au théâtre du Lucernaire, 53, rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris, jusqu’au 11 mars 2017. Tél. : 01 45 44 57 34.
• Voir sur ce site : “Juste la fin du monde”, de Xavier Dolan, d’après Jean-Luc Lagarce, par Jean-Marie Samocki.
Jean-Luc Lagarce sur France Culture.
Un site consacré à Jean-Luc Lagarce.

Pascal Caglar
Pascal Caglar

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