
Nouveaux programmes de français de cycle 3 :
réformer, ordonner, épuiser
Les nouveaux programmes de français du cycle 3 (CM1-CM2-6e) seront effectifs à la rentrée 2025. En une quinzaine d’années, les enseignants des premier et second degrés ont connu pas moins de trois réformes successives en français.
Par Faye Chartres, professeure de Lettres (académie de Créteil)
Personne ne les attendait, mais le gouvernement a maintenu les effets d’annonce autour de la refonte des programmes des cycles 3 et 4. Ils font suite à une lettre de saisine du ministère de l’Éducation nationale par la ministre de l’époque, Nicole Belloubet, datant du 13 mars 2024. Le message ? Travailler « la maîtrise de la langue dans ses trois dimensions (langage oral, lecture et écriture), en visant un niveau expert et autonome ». La lettre insistait notamment sur la ritualisation des exercices : « l’étude d’œuvres littéraires sera contextualisée et replacée dans le cadre d’une histoire littéraire suivie. » Elle lorgnait du côté des programmes de lycée promulgués en 2020 et qui consacraient l’édification « [d’]une culture littéraire commune » avec un programme de première marqué par des œuvres obligatoires et exclusivement patrimoniales.
La version finale des nouveaux programmes est parue au Bulletin officiel du 17 avril 2025 et demeure proche de la maquette originelle. Pour la rentrée 2025-2026, professeurs des écoles et professeurs de français auront à s’approprier puis à appliquer ces nouveaux programmes en CM1 et en 6e, le niveau CM2 étant différé à la rentrée suivante de 2026-2027. Des réunions de présentation et des permanences sont organisées actuellement dans l’ensemble des académies concernant le second degré, tandis que six heures de formation sont imposées aux enseignants du premier degré qui ont pourtant déjà écoulé depuis un moment leurs 108 heures d’obligation de service.
À l’heure où l’offre de formation a été considérablement réduite et principalement reléguée hors temps scolaire, la rapidité avec laquelle les services compétents parviennent à dégager du temps pour une formation choisie par leurs soins étonne. Et ce, d’autant que ce temps est bien souvent refusé aux enseignants qui expriment des besoins spécifiques sur le plan disciplinaire, mais aussi transversal : handicap, harcèlement, différenciation…
Lors des visio-conférences données aux enseignants, les inspecteurs pédagogiques régionaux (IPR) ont donné trois mots-clés : ambition, explicitation et ritualisation. Le professeur doit bannir les questionnaires et les textes à trous. Les élèves doivent lire, écrire et parler à chaque séance. Les inspecteurs et inspectrices ont bien insisté sur l’importance de l’organisation des séquences autour de « projets d’apprentissage» dans lequel des sous-compétences sont associées. Cette notion était déjà présente dans les discours des IPR, mais elle n’a été ni ancrée dans les textes ni véritablement travaillée dans le champ didactique. Ils confirment par ailleurs une volonté institutionnelle de revenir à l’idée de culture commune et vers une approche globale et intégrale des œuvres.
Enfin, le Conseil supérieur des programmes (CSP) a fait paraître courant mai le projet de programmes de français concernant le cycle 4. Une consultation nationale devrait suivre rapidement, comme cela a été le cas pour les programmes de cycle 3. Il faut parfois une décennie pour construire des parcours d’apprentissage solides et adaptés aux besoins des élèves, le message envoyé avec des programmes ficelés en quelques mois ne semble pas aller dans le sens d’un assainissement des relations avec les enseignants et de leurs conditions de travail.
La littérature de jeunesse reléguée en lecture cursive
Programmes de 2016 | Programmes de 2025 |
Comprendre et s’exprimer à l’oral | Lecture |
Lire | Culture littéraire et artistique |
Écrire | Écriture |
Comprendre le fonctionnement de la langue | Oral |
Culture littéraire et artistique | Vocabulaire |
Grammaire et orthographe |
- Les domaines de compétences travaillés restent sensiblement les mêmes, avec un ordre modifié en faveur de la lecture et de la culture littéraire et artistique. Pour résumer : les élèves doivent lire mais pas n’importe quoi. Une liste d’œuvres « proposées » est disponible sur Éduscol. Précédemment, ces listes apparaissaient dans le corps des programmes lorsqu’ils étaient encore sous la forme de projets. Comme pour le cycle 4 actuellement, une consultation a été organisée. À la suite de cette dernière, il semble que les suggestions d’œuvres n’ont pas été retenues pour les textes définitifs. Cependant, le CSP a conservé les prescriptions des genres littéraires qui sont désormais explicitement associés aux thèmes et intitulés. Récits, poèmes et pièces de théâtre doivent être obligatoirement abordés au moins une fois dans l’année alors qu’ils ne l’étaient pas systématiquement dans les textes précédents, mais fortement suggérés. Ces nouveaux programmes de collège sont désormais balisés. À la manière des programmes de lycée de 2019, l’accent est désormais (re)mis sur l’édification d’une histoire littéraire circonscrite par quatre objets d’études dans « un parcours permettant de situer [les œuvres] dans [leurs] contextes historique et générique ».
- En 2008, les élèves devaient avoir étudié« au moins trois œuvres intégrales et trois groupements de textes étudiés en classe, et trois œuvres lues en lecture cursive en dehors du temps scolaire ». Le programme 2025 mentionne « au moins trois œuvres complètes issues du patrimoine en lecture intégrale et au moins trois œuvres complètes en lecture cursive ».Onrevient ainsi à des chiffres sensiblement identiques à ceux d’il y a presque deux décennies. Par rapport aux programmes de lycée, l’écart est minime puisque les lycéens ont à étudier en première« quatre œuvres » en lien avec« les parcours associés »et « quatre œuvres [cursives]». Enfin, la tendance semble aller dans le sens d’une relégation générale de la littérature de jeunesse vers des lectures cursives. Elle peut être étudiée en classe mais, de préférence, à la marge pour ne pas contrevenir à l’exigence d’une culture commune indubitablement liée à l’histoire littéraire.
- Le vocabulaire et le travail lexical redeviennent une catégorie à part entière là où ils étaient intégrés dans l’item « Comprendre le fonctionnement de la langue ». Ce choix rappelle l’organisation des programmes de collège de 2008 où les notions et domaines lexicaux à travailler apparaissaient distinctement. En classe de sixième, l’enseignant devait proposer des séances autour du « vocabulaire des émotions », « des religions », « des genres littéraires » et « mettre ce travail en cohérence avec les activités de lecture et d’écriture » en privilégiant des « entrées lexicales » comme « la métamorphose » ou « l’art de la narration ». On retrouve cette philosophie dans les textes de 2025 qui préconisent un « enseignement structuré et dédié du vocabulaire en français » avec l’idée que « chaque élève réemploie les corpus étudiés ».La différence réside dans l’approche : lors des visioconférences données à ce sujet, les inspecteurs pédagogiques régionaux (IPR) recommandent moins un apprentissage de liste de mots que de les travailler en réseaux : en déduire le sens en contexte, fonctionner par synonymie ….
- Du côté de l’étude de la langue, les manipulations syntaxiques font leur grande entrée avec l’institutionnalisation des gestes du grammairien (supprimer, déplacer, remplacer …). Celles-ci sont évaluées dans le cadre du brevet de français depuis deux ans, mais elles n’avaient pas fait l’objet d’une prescription claire. Des formations ont été données à la marge à ce sujet mais pas suffisamment pour englober la majorité des enseignants. Avec les nouveaux programmes, elles sont désormais un objet d’enseignement explicite et explicité.
- Si les thèmes restent sensiblement identiques, ils sont désormais explicitement associés à un genre littéraire sous une bannière directrice : « Découvrir – Jouer » qui sonne un peu artificiellement. Les récits de création, l’aventure et la figure du monstre sont définitivement liés aux genres narratifs, tandis que la ruse est circonscrite au théâtre et que la poésie prend son indépendance vis-à-vis des cosmogonies (dans les programmes de 2016, elle était juxtaposée sous l’intitulé « Récits de création, création poétique »). Renart et le pauvre Ysengrin, du Roman de Renart, plient donc bagage pour la cinquième qui les accueillera sous la thématique « Imaginer, sentir, raisonner : des histoires pour plaire et instruire ».
Qu’est-ce qui relève du cadre patrimonial ? De nombreux enseignants de lycée ont pourtant alerté depuis plusieurs années sur les difficultés à engager les élèves sur les programmes à œuvres imposées. Thomas B. Reverdy, l’auteur du Grand Secours et enseignant de lettres signait une tribune qui s’inquiétait de voir la littérature réduite à un catalogue de procédés rhétoriques à visée morale. À l’heure où la réforme Choc des savoirs a imposé avec les groupes de besoin une différenciation à marche forcée, il semble quelque peu paradoxal de proposer des programmes aussi uniformisants et où le corpus semble limité.
Si la littérature jeunesse peut être abordée en classe, elle a une place marginale dans les corpus proposés sur Éduscol. À titre d’exemple, sous l’item « Rencontrer des monstres : expérience de l’autre, expérience de soi (récit, fiction) », on retrouve les frères Grimm, Homère, Leprince de Beaumont, Perrault, Sand et Vercors. Les auteurs jeunesse d’hier (Roald Dahl, Patrick Ness …) et d’aujourd’hui (Stéphane Servant, Katherine Arden …) écrivent pourtant bien sur les monstres.

Temps d’enseignement restreint
La structure de ces nouveaux programmes n’est néanmoins pas dénuée de cohérence. Contrairement aux programmes de 2008, ils tentent de mettre à jour les avancées didactiques réalisées aussi bien en lecture qu’en écriture, à l’oral, qu’en étude de la langue. Les différents domaines et sous-compétences vont dans le sens de la prise en compte de la réception des élèves qui doivent « lire une œuvre et se l’approprier » ou bien varier les écrits « pour réfléchir, apprendre et mémoriser ». Les différents outils qui ont émergé ces dernières années comme le carnet de lecture recensant les œuvres rencontrées au cours de la scolarité ou les portfolios sont nommément cités.
Toutefois, ces programmes de cycle 3 n’allègent nullement le volume de compétences et de notions à traiter en à peine 4 heures 30 par semaine, là où les élèves bénéficiaient a minima de 6 heures d’enseignement obligatoire du français.
Sur ce temps restreint les professeurs de la discipline devront :
- … gérer la continuité chaotique du Choc des savoirs I en sixième/cinquième. La réforme dite du Choc des savoirs a eu un impact important sur l’organisation pédagogique des équipes disciplinaires. La mise en place a été plus ou moins difficile dans de nombreux établissements qui ont composé avec les moyens alloués, lesquels dépendaient eux-mêmes des résultats des évaluations nationales non décidées par les enseignants. De plus, les professeurs ont pour impératif de construire une progression commune. En effet, les élèves doivent pouvoir changer de groupes sans être désarçonnés. Dans la mesure du possible, les chapitres et les thèmes doivent être menés en même temps par les enseignants impliqués dans les groupes. Or, cette progression commune est déjà rendue caduque en à peine un an avec le changement des programmes. Même si les thèmes ne changent que sensiblement, les corpus seront globalement à revoir si les professeurs n’ont pas choisi les genres littéraires induits par les prescriptions des nouveaux programmes.
- … mettre en place la Choc des savoirs II … car les quatrièmes et troisièmes n’y échapperont pas. Si les groupes de besoins ne seront pas déployés, ils prendront la forme d’un « soutien renforcé … en classe »à raison « d’une heure hebdomadaire de soutien en groupe de besoins en alternance entre français et mathématiques », selon l’Institut des hautes études de l’éducation et de la formation (IH2F). Outre la progression commune qui sera à revoir pour les sixièmes et quatrièmes, les enseignants devront en repenser une autre qui devra être revue dans moins d’un an étant donné que les programmes de cycle 4 seront très probablement annoncés pour une mise en place à la rentrée 2026-2027. Au regard de la maquette des projets de programmes de cycle 4, les changements seront bien plus drastiques que pour le cycle 3. Comment pérenniser des pratiques lorsque les changements de programmes et les renouvellements émergent sur des temps de plus en plus courts ? Il est vrai que le cœur de ces programmes présente de nombreuses persistances avec ceux de 2016, mais les enseignants doivent, malgré tout, se saisir des nouvelles subtilités en quelques mois. Les réunions de présentation, qui n’excèdent souvent pas 2 heures pour les enseignants et les permanences, seront-elles suffisantes ?
- Les professeurs du second degré piocheront dans les nouveaux manuels qui arrivent actuellement massivement dans leurs casiers. Outre les problématiques écologiques posées par leurs productions en masse, il convient de rappeler que les manuels sont avant tout des initiatives éditoriales privées, parfois produits rapidement. Ils ne sont pas agréés par le ministère de l’Éducation nationale même s’ils sont écrits par des équipes composées d’enseignants de terrain et que les IPR sont souvent consultés lors de leur élaboration. Néanmoins, ils restent le support pédagogique de prédilection des enseignants, et ce d’autant que les profils de professeurs sont marqués par une extrême variété ; ils peuvent être plus ou moins formés selon les modalités de recrutement. Le manuel apparaît souvent comme l’outil de proximité le plus à même de les accompagner lors de la prise en charge quasi immédiate de leurs classes.
- Parmi les manuels reçus, si quelques éditeurs ont encore du mal à sortir des listes d’homophones et que l’enseignement de la conjugaison n’est pas tout à fait redynamisé (il faudrait moins s’attarder sur les exceptions que sur les récurrences), la majorité affiche la volonté d’être plus sensibles et attentifs à la fois aux prescriptions institutionnelles, aux réformes mais aussi aux avancées didactiques en matière de lecture, d’écriture, d’étude de la langue et d’oral. Si on retrouve les classiques questionnaires qui ne sont plus préconisés ni par les IPR ni par les recherches didactiques, certains proposent des approches plus justes des textes et adaptées aux élèves. L’étude de textes doit être en effet marquée par une approche plus générale. Parmi les objectifs principaux fixés par les programmes, les élèves sont amenés à « [d]égager le sens global d’un texte, affiner [leur] compréhension et devenir un lecteur autonome ». Exit donc les questions pointues et technicistes qui ont parfois tendance à dénaturer la rencontre vivante des élèves avec les textes.
- Du côté de la langue, les manipulations syntaxiques sont désormais présentes dans une grande majorité des leçons. Ces gestes consistent en effet à amener les élèves à supprimer, déplacer, ou bien remplacer les différents composants de notre langue afin d’en repérer plus efficacement les spécificités. Les exercices d’étude de la langue ont été ainsi repensés de façon à davantage éviter l’effet cascade. Les consignes demandent davantage aux élèves de manipuler et de réinvestir ce qu’ils ont appris dans un contexte rédactionnel. Les leçons finissent ainsi davantage sur des activités de rédaction reprenant ainsi l’état d’esprit des programmes qui tiennent à lier plus étroitement tous les domaines de compétences du français.
- Les corpus sont toutefois désormais plus équilibrés. En effet, les textes du programme exhortent à « veill[er] à la représentation des autrices ». Marie-Catherine d’Aulnoy et Jeanne-Marie Leprince de Beaumont sont désormais les incontournables de la thématique consacrée aux monstres et aux contes. On retrouve des autrices contemporaines comme Marie Desplechin, Suzanne Labeau et Flore Vesco, mais elles restent encore minoritaires face à l’écrasant point des auteurs masculins. Pour la thématique consacrée à la ruse et associée au théâtre, Catherine Anne et Anne-Marie Desplat-Duc, qui apparaissent pourtant dans le projet de programmes, ont disparu des œuvres recommandées sur Éduscol et sont à peine visibles dans les manuels. Pour l’ensemble du programme, Homère, Charles Perrault ou bien Rudyard Kipling ont encore l’écrasante faveur des corpus des manuels.
Ces nouveaux programmes annoncent une volonté de baliser davantage le choix des œuvres abordées en classe. Si la tendance va à l’équilibre et à la valorisation explicite des autrices mais aussi de littératures francophones et étrangères plus variées, la mise en place effective de ces textes dans les salles de classe devra se faire conjointement avec les réformes de Choc des savoirs, déjà très coûteuses en énergie.
F. C.
L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.