La nouvelle circulaire de mission des professeurs documentalistes. Entre promesses et désillusions

APDEN, Association des professeurs docume,ntalistes de l'Éducation nationales
La nouvelle circulaire de mission des professeurs documentalistes a été publiée au Bulletin officiel le 30 mars 2017. La parution de ce texte, attendu depuis 1989 et objet de maintes tentatives de réécriture avortées au fil des ans, est en elle-même un événement majeur pour la profession, événement en faveur duquel l’APDEN milite depuis ses origines.
Il n’était, en effet, plus soutenable que la mission des professeurs documentalistes soit toujours définie par des dispositions vieilles de plus de trente ans, antérieures à la création du CAPES et s’adressant aux « personnels exerçant dans les centres de documentation et d’information », et aux « documentalistes-bibliothécaires ».
Les évolutions du contexte informationnel et médiatique, les avancées de la recherche et des pratiques professionnelles des professeurs documentalistes exigeaient d’être enfin prises en compte. La profession attendait de ce nouveau texte qu’il clarifie sans ambiguïté le profil du métier.
Qu’en est-il réellement ?

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Un contexte de publication marqué par la précipitation

Cette précipitation a sans doute trouvé sa source dans le contexte politique particulier de l’élection présidentielle de mai 2017. Un certain nombre de textes sont ainsi parus les mois précédant l’élection, selon un calendrier resserré qui ne correspond en rien aux échéances habituelles dans ce domaine.
Vraisemblablement, l’articulation entre certains de ces textes est ici également en cause : la réforme en cours de l’évaluation des enseignants (PPCR – Parcours professionnels, carrières et rémunérations) nécessitant que la circulaire de mission des professeurs documentalistes soit fixée afin de servir de base à la conception de la grille d’évaluation qui leur sera applicable.
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Une complémentarité explicite entre les textes

La circulaire de mission entre en vigueur à la suite de plusieurs textes parus successivement depuis 2013, dont les dispositions doivent être comprises comme étant complémentaires. Leur articulation amène quelques observations générales, importantes en ce qu’elles orientent nettement la lecture de la dernière circulaire.
`Dans sa terminologie, celle-ci tient compte des choix opérés dans le référentiel professionnel de 2013. Cette continuité de langage, également retenue dans le processus de refonte des textes définissant notre statut, a pour premier effet de rendre explicite la cohérence d’ensemble de ceux qui fondent le nouveau cadre réglementaire de la profession. Sur le principe, cette cohérence est une bonne chose : elle consolide les dispositions mutuelles desdits textes en induisant leur lecture en complémentarité, sans qu’on puisse nier les relations qu’ils entretiennent.
Les questions, très concrètes, de notre temps de service et de ce qui relève ou non de nos missions, semblent pouvoir aujourd’hui s’appuyer sur un corpus réglementaire auquel chacun pourra désormais se référer. Cependant, ceci a corrélativement pour conséquence de fixer certaines expressions dont nous avions eu l’occasion de pointer le caractère ambigu dès 2013. Le terme « maître d’œuvre » est ainsi entériné pour définir deux des trois axes de mission du professeur documentaliste. Il en va de même du verbe « contribuer », dont on retrouve six occurrences au fil du texte.
Le périmètre indéfini de ces termes maintient, au sujet des tâches et missions auxquelles ils s’appliquent, une marge interprétative que la profession aurait certainement préféré éviter.
 

Une diversité des missions préservée, mais avec quels moyens ?

Les trois axes de mission retenus permettent – et c’est heureux – de préserver et de consolider la richesse d’un métier auquel l’identité enseignante des personnels qui l’exercent donne sens et valeur. Outre la mission d’enseignement, la mission culturelle du professeur documentaliste fait ainsi l’objet d’un axe à part entière et propose un cadre d’action qui s’appuie sur une acception ouverte et non limitative de la culture. Les tâches relatives à la gestion du Centre de documentation et d’information et de son fonds documentaire, essentielles, ne sont pas oubliées.
`En cela, la circulaire pérennise les acquis du texte de 1986 en y apportant une actualisation bienvenue. Mais ses dispositions présentent toujours, dans le détail, une énumération de tâches très importante qui ne s’accompagne, à ce jour, d’aucun élément relatif aux moyens attribués à leur mise en œuvre, et le degré d’implication attendu des professeurs documentalistes manque significativement de clarté : nous « contribuons », nous « prenons en compte », nous « favorisons »…
La faisabilité de l’ensemble des missions définies est conditionnée à la nécessaire politique de recrutement qu’elle exige, incluant des professeurs documentalistes titulaires en nombre suffisant, mais également des personnels complémentaires qualifiés, bénéficiant d’un statut pérenne. Les enjeux portés par le nouveau cadre réglementaire définissant la profession supposent de ne pas faire l’économie de la question des  moyens.
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La mission d’enseignement, entre consolidation et subordination

La nouvelle circulaire entérine de réelles avancées en matière de consolidation de la mission d’enseignement du professeur documentaliste. Ces avancées ont été trop longtemps attendues pour que l’APDEN, depuis toujours engagée en ce sens, ne salue pas avec satisfaction leur inscription officielle dans ce texte.
Le professeur documentaliste – dont le métier a aujourd’hui un nom officiellement institué – est ainsi formellement défini comme enseignant dans l’intitulé de l’axe 1 : « Le professeur documentaliste, enseignant et maître d’œuvre de l’acquisition par tous les élèves d’une culture de l’information et des médias. » La mention du référentiel de 2013 donne un appui solide – pour peu qu’on en retienne la lecture intégrale, seule légitime par ailleurs – à la définition de notre professionnalité.
L’expertise reconnue des professeurs documentalistes dans le champ des sciences de l’information et de la communication (SIC) consolide la définition de notre champ universitaire de référence, en cohérence avec la réforme du CAPES de documentation, également mentionné.
Le texte précise ensuite que le « professeur documentaliste peut intervenir seul auprès des élèves dans des formations, des activités pédagogiques et d’enseignement, mais également de médiation documentaire, ainsi que dans le cadre de co-enseignements, notamment pour que les apprentissages prennent en compte l’éducation aux médias et à l’information ».
Enfin, le décompte des heures d’enseignement apparaît explicitement. La définition de nos contenus d’enseignement bénéficie également de précieuses avancées : le préambule stipule ainsi que les professeurs documentalistes « forment tous les élèves à l’information documentation et contribuent à leur formation en matière d’ÉMI ». Par cette formule, l’institution reconnaît pour la première fois officiellement l’existence de l’information documentation.
Domaine d’enseignement relevant de l’expertise du professeur documentaliste, il lui permet de faire acquérir à tous les élèves une « culture de l’information et des médias ». Il se distingue par ailleurs sans ambiguïté de l’ÉMI, et ce n’est pas anodin : la matière d’enseignement spécifique est ainsi séparée de « l’éducation à », de nature transversale. Cet « enseignement s’inscrit [enfin] dans une progression des apprentissages de la classe de sixième à la classe de terminale » et concerne « tous les élèves », conformément aux ambitions pédagogiques portées par la fédération pour l’ensemble des élèves du secondaire français.
Toutefois, d’autres éléments touchant à la mise en œuvre concrète de la mission d’enseignement du professeur documentaliste, associés à ces inscriptions positives, viennent en fragiliser la portée.
Tout d’abord, la question de ce qui relève ou non d’une heure d’enseignement n’a toujours pas été clarifiée, la présente circulaire reprenant mot à mot l’expression sibylline retenue dans les textes relatifs au statut. Les interprétations discutables auxquelles la profession s’est heurtée depuis 2015 [1] trouveront malheureusement ici matière à persister, contre toute légitimité. Ce type de lecture pourra également être conforté par le choix du verbe « pouvoir », regrettable selon nous, dans la phrase : « le professeur documentaliste peut exercer des heures d’enseignement ». Il affecte un caractère facultatif à l’activité d’enseignement, ce qui représente à la fois une incohérence au regard du statut et de la mission préalablement définis, et une faille que certains représentants de l’institution pourraient choisir d’exploiter.
De même, nous formons des inquiétudes réelles sur les implications que pourront avoir, sur le terrain, les mentions répétées de l’autorité du chef d’établissement. Couplées au caractère prioritaire attribué dans l’axe 1 au « bon fonctionnement du CDI», elles nous semblent de nature à engager des dérives prévisibles dans les établissements, sans que soit jamais défini ce que recouvre ce « bon fonctionnement ». La formulation ici adoptée paraît en exclure l’activité d’enseignement du professeur documentaliste ; cette acception suggérée nous semble un non-sens inadmissible.
Devant ce vide définitionnel, nous proposons aux professeurs documentalistes de refuser toute interprétation réduite à la gestion des flux d’élèves et à la notion d’ouverture du lieu.
Le « bon fonctionnement du CDI » doit en revanche inclure, de manière équilibrée, les activités pédagogiques et d’enseignement du professeur documentaliste, l’accueil des élèves en autonomie, et les tâches de gestion documentaire. L’accueil des élèves en permanence relève des attributions de la Vie scolaire, dont l’APDEN soutient les revendications en matière de recrutements suffisants pour remplir ses missions.
Enfin, la question de la politique documentaire appelle, dans le prolongement de ces considérations, un développement particulier.

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La politique documentaire, un concept contesté et pourtant officiellement institué

Malgré une absence de consensus sur la notion de politique documentaire, l’APDEN prend acte de sa persistance dans la version définitive de la circulaire du 30 mars 2017 ;
elle se voit ainsi inscrite pour la première fois officiellement dans les missions des professeurs documentalistes, quand elle n’était jusqu’alors qu’un concept porté par des publications institutionnelles sans caractère contraignant. Les fortes objections de la profession à son endroit et l’échec de son implantation effective dans les établissements, plus de treize ans après son introduction dans le contexte scolaire par l’Inspection générale, n’ont pas été pris en considération.
L’APDEN, au-delà de son opposition claire à l’inscription de la politique documentaire dans la circulaire de mission, a milité pour qu’elle n’intègre en aucun cas la formation des élèves à la culture de l’information, si son maintien devait être acté. Il s’agissait là, pour nous, de refuser que l’exercice de notre mission enseignante soit subordonné à la validation du conseil d’administration de l’établissement, et de garantir la liberté pédagogique des professeurs documentalistes. Cette revendication n’a pas non plus été entendue.
Nous relevons, d’autre part, que le projet d’établissement, soumis à la validation du conseil d’administration, a vocation à présenter les modalités de mise en œuvre des enseignements, et non leurs contenus ou les choix pédagogiques opérés par les
enseignants dans le but de les transmettre aux élèves. La politique documentaire,
intégrée au volet pédagogique du projet d’établissement, se verra donc affecter la même logique.
En cohérence, la « progression des apprentissages » relève, quant à elle, explicitement de l’axe 1 et n’a donc pas légitimité à être intégrée à la politique documentaire.

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Conclusion

Alors qu’elle aurait dû lever définitivement les incertitudes auxquelles se heurtent les professeurs documentalistes dans l’exercice quotidien de leur mission – et ce, de façon particulièrement sensible depuis 2015 – et réduire au maximum la marge interprétative,
la nouvelle circulaire de mission laisse subsister un manque de précision regrettable sur des points pourtant stratégiques. L’impression d’une rédaction de compromis plutôt que de consensus est sensible, comme si le rédacteur avait souhaité ménager toutes les parties, sans prendre position de façon ferme.
Cependant, ces réserves ne doivent pas occulter des avancées majeures pour la profession, fruits de la mobilisation sans faille des militants associatifs et syndicaux depuis la création du CAPES en 1989. Cette publication reste en elle-même une victoire, et il
revient à présent à chacun de nous, avec l’appui des collectifs représentant la profession, de nous appuyer fermement sur ces acquis pour faire valoir nos droits et notre vision du métier, au service de tous les élèves.

Le bureau national de l’APDEN

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1. 2015 : date à laquelle sont parus le décret n° 2014-940 du 20 août 2014 relatif aux  Obligations de service et aux missions des personnels enseignants exerçant dans un établissement public d’enseignement du second degré » et sa circulaire d’application n°2015-057 du 29 avril 2015 portant sur les Missions et obligations réglementaires de service des enseignants des établissements publics d’enseignement du second degré.

l'École des lettres
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