Paul Claudel résolument contemporain

Paul Claudel à seize ans, par Camille Claudel, musée des Augustins, Toulouse.

« Plus jamais Claudel ! », pouvait-on lire sur des murs en mai 1968. Il a suffi d’ajouter un petit mot de trois lettres pour que, depuis quelque temps déjà, cette caricaturale condamnation permette une juste revanche en affirmant : « Plus que jamais Claudel ! ». Et la célébration du 150e anniversaire de sa naissance apparaît comme le point d’orgue d’une reconnaissance, effective depuis plusieurs décennies, du génie d’un des plus grands écrivains du XXe siècle.

En effet, la Société Paul Claudel a établi, dans un petit livret, un répertoire des très nombreuses manifestations (colloques, expositions, conférences, concerts) organisées à cette occasion : pas moins d’une trentaine en France (sept à Paris, le reste dans presque toutes les régions), plus une vingtaine à l’étranger, tant en Europe qu’ailleurs, et particulièrement au Japon où Claudel fut ambassadeur dans les années 1920, sans compter des publications et es traductions.
Parmi toutes ces manifestations, l’une a remporté un succès indéniable : le colloque international qui a eu lieu à Paris du 19 au 21 septembre 2018. Organisé par Sorbonne Université, Faculté de Lettres, sous l’égide du professeur Didier Alexandre, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France, l’INA, l’université de Chicago et la Comédie-Française, il était intitulé « Paul Claudel résolument contemporain », afin de montrer combien l’écrivain, encore trop souvent associé à une France d’hier, nous interpelle aujourd’hui sur bien des points.
Claudel, par Félix Vallton

La première journée, à la BnF François-Mitterrand, se déroulait en deux temps. La matinée amorça le rapport entre Claudel et le temps contemporain, notamment par une communication de l’académicien Jean-Luc Marion expliquant comment l’écrivain a voulu « habiter poétiquement le monde ». L’après-midi fut consacré aux diverses manières dont Claudel nous parle, en plus de ses textes, à travers le son et l’image. C’est ainsi que Géraldine Poels, responsable de la valorisation scientifique à l’INA, dévoila combien Claudel est présent dans les collections de l’institution (l’intégralité des fonds INA est accessible sur inatec.fr) : pas moins de 20 000 documents radiophoniques et presque 1 000 télévisés.
Parallèlement, une jeune professeure à l’Université Fudan de Shanghaï, Huang Bei, présenta d’émouvantes photographies de la ville « primitive » qu’était encore Shanghaï lorsque Claudel, alors jeune consul suppléant, découvrit ses charmes en 1895, entamant ainsi sa « Connaissance de l’Est ».
Paul Claudel, « Time Magazine », 21 mars 1927

La deuxième journée se déroulait au centre parisien de l’université de Chicago. Sa matinée évoqua, notamment avec le professeur Pierre Brunel, membre de l’Institut, les intuitions quasi prophétiques de Claudel diplomate sur la mondialisation, l’économie, voire l’écocritique, avant que d’autres communications se focalisent plus précisément sur ses activités en Chine et au Japon. Suivirent dans l’après-midi plusieurs confrontations entre Claudel et d’autres écrivains (Rousseau, Gabriel Marcel), ainsi qu’une intéressante étude de la professeure Catherine Mayaux sur l’écrivain lecteur de la presse.
La dernière journée, à la Sorbonne, traita deux autres facettes des préoccupations de Claudel. La première, assez inattendue, révéla son intérêt pour la technique : n’hésitant pas à se contredire dans ce domaine comme dans tant d’autres, le poète en fut à la fois le chantre, au nom d’un pragmatisme mais aussi d’un providentialisme, qui lui fit glorifier l’auto, l’avion et la moto, et de contempteur, dans la mesure où cette technique, conduisant au « divertissement » pascalien, détourne du devoir chrétien par attrait du matérialisme. Un professeur d’humanités numériques, Glenn Roe, compléta ce lien entre Claudel et la technique en nous apprenant comment mieux connaître l’écrivain à partir du numérique.

Mais c’est la modernité du dramaturge qui fut surtout mise en évidence dans la majeure partie de cette journée. D’abord, au cours d’une table ronde, quatre de ses metteurs en scène, Éric Ruf, Yves Beaunesne, Daniel Mesguich et Christian Schiaretti, expliquèrent comment jouer Claudel aujourd’hui, en insistant notamment sur les qualités spécifiques de diction et de respiration que doivent montrer ses interprètes.
Les communications suivantes furent plus nettement centrées sur la postérité du théâtre de Claudel : on exposa d’abord comment nombre d’écritures dramatiques contemporaines (par exemple Jean-Luc Lagarce) s’inscrivent dans l’héritage du verset claudélien ; on découvrit ensuite comment le parcours dramaturgique de notre auteur apparaît en miroir avec celui de Brecht. Enfin, comment pouvait-on mieux mettre en évidence la modernité de Claudel dramaturge qu’en évoquant les débuts de la préparation d’un spectacle qui constituera un événement : la transposition du Soulier de satin en opéra, prévue à l’Opéra-Bastille pour le printemps 2021.
« Partage de Midi », de Paul Claudel, mise en scène d’Éric Vignier © TNS, Jean-Louis Fernandez

En définitive, si on devait trouver une unité aux si diverses raisons qui rendent Claudel « résolument contemporain », on pourrait peut-être affirmer que, plus que par une concordance avec l’actualité, la contemporanéité » claudélienne tient au fait que ses œuvres révèlent une vérité profonde, celle de la complexité des hommes et du monde, devant malgré tout susciter un espoir. D’ailleurs, l’actualité, politique ou autre, n’est-elle pas vouée à l’oubli, alors que la fiction, littéraire et artistique, est perçue comme vraie ? Et c’est pour cela qu’elle, on ne l’oublie pas.

Alain Beretta

Alain Beretta
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