Philippe Meirieu, « Lettre à un jeune professeur »

Philippe Meirieu, né en 1949, n’est pas assez âgé pour nous livrer son livre testament. Et pourtant, cette Lettre à un jeune professeur, nouvelle version d’un ouvrage paru en 2005, peut y ressembler, car elle paraît englober et condenser l’ensemble de ses précédents livres, qui sont nombreux (une trentaine), et qui reçoivent ici comme un couronnement, dans un bouquet final élégant, documenté, dense et convaincant. Même les allergiques à la « didactique », les pourfendeurs de feus les IUFM et les opposants personnels à l’universitaire-pédagogue devenu vice-président de la région Rhône-Alpes, trouveront dans cette lettre de lumineux rappels, de fortes évidences et une matière à reconsidérer en profondeur, avec humilité et sympathie, le métier d’enseignant.

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Une nécessité : reconsidérer le métier d’enseignant

Le titre ne doit pas nous abuser : il ne semble être qu’un subterfuge classique pour faire le point sur la pratique pédagogique. Pas tout à fait toutefois, car la forme de la lettre permet d’abandonner les conventions et les lourdeurs de l’essai et autorise le parler direct. De plus, l’adresse à un « jeune professeur » (qui peut être une femme, la nouvelle édition croit bon d’écarter tout sexisme dans l’apostrophe) signale une volonté de l’auteur de se faire « passeur », d’assumer à plein le rôle, inhérent à la fonction enseignante, d’intercesseur, en transmettant, au crépuscule d’une carrière bien remplie, le témoin à un collègue débutant. Façon de lui léguer un peu de ses certitudes et de ses doutes, beaucoup de son expérience et de son savoir, encore plus de son enthousiasme et de sa foi.

Difficile de proposer un résumé fidèle de ce livre synthèse, ce livre bilan dans lequel est réuni l’essentiel des questionnements sur l’École, éclairés par une référence constante aux grands pédagogues d’hier (Rousseau, Pestolazzi, Claparède, Freinet, Montessori…) et aux essayistes d’aujourd’hui, qu’ils soient des professionnels de l’éducation (Daniel Hameline, François Dubet, Francis Imbert), des penseurs rattrapés par la politique (Luc Ferry) ou des hommes et femmes du terrain soucieux de porter témoignage tels, parmi d’autres, Bruno Descroix (Demain les profs, Bourin, 2004) ou Carole Diamant (École, terrain miné, Liana Levi, 2005)

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De la maternelle à la terminale, professer est bien le même métier

Relevons toutefois quelques idées, pour beaucoup assez traditionnelles, pour d’autres plus inattendues sous la plume d’un analyste suspecté, à tort sans doute, d’être le fossoyeur des humanités.

L’introduction n’a rien de révolutionnaire, qui se propose de découvrir la « dimension cachée de notre métier », ce « je-ne-sais-quoi » qui permet « l’événement pédagogique », épiphanie miraculeuse qui justifie et récompense les efforts du maître. La suite est plus risquée, comme, par exemple, le refus de choisir entre l’amour des élèves et l’amour des savoirs, façon de rejeter la formule prêtée à Jules ferry : « On devient instituteur parce qu’on aime les enfants et professeur de mathématiques parce qu’on aime les mathématiques ». Ce qui conduit Meirieu à défendre, avec conviction, la position, discutable, que, de l’école maternelle à la classe terminale, « professer est bien le même métier ». C’est oublier bien des différences.

Plus originales encore, sont les pages sur « l’inévitable et douloureuse déception » qui guette le professeur soumis régulièrement à « un écart difficile à accepter » entre son idéal et son travail quotidien. Ou celles qui regrettent que l’École échappe à l’autorité des professeurs pour passer aux mains des gestionnaires, encore que l’épistolier imagine une improbable réconciliation sur le très contestable « projet d’établissement ». Ou celles où il réhabilite la démarche didactique dont il reconnaît qu’elle peut être une « théorisation excessive, technocratique et jargonneuse de l’acte d’enseigner » (dont acte), mais qui peut, bien pratiquée, structurer un enseignement pour le rendre plus efficace, non d’une efficacité mercantile, mais  de celle qui permet d’assurer une transmission et de former des esprits.

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De la “culture-zapping” à l’apprentissage de la liberté

On n’attendait pas Meirieu sur le terrain de la discipline, celle qu’on « fait régner » qui, à ses yeux, rejoint celle que l’on a à enseigner. Le spécialiste des sciences de l’éducation se montre, en ce domaine, intransigeant, refusant la « vanité de la séduction » ou la tentation de la démagogie qui entraînent le compromis voire la faiblesse ; il n’hésite pas à prodiguer quelques conseils, peut-être un peu naïfs, quand on connaît les conditions d’enseignement dans certains collèges de banlieue, pour retenir l’attention de l’élève, lutter contre la fameuse « culture-zapping » (finement décrite) et rendre la classe à son harmonie laborieuse.

On le suit encore quand il rappelle une autre des missions de l’École : apprendre à vivre ensemble, à respecter l’autre, à « échapper à toutes les formes de tribalisme » pour réaliser, en somme, l’apprentissage de la liberté.

Avec cette lettre, Meirieu veut se placer – et pourquoi pas ? – dans la lignée des grands pédagogues du passé (on songe par moments à Jean Onimus et à ses beaux livres sur l’éducation). Il accepte aussi, avec pas mal d’humour et une louable sincérité, de se révéler, de se découvrir, de reconnaître ses faiblesses, ses incertitudes, ses erreurs, ses découragements. Il révèle aussi une parfaite connaissance du système éducatif, du métier d’enseignant et des enjeux sociaux et politiques liés à la question de l’éducation.

Confiant dans l’avenir, il plaide enfin pour les droits d’une « utopie de référence » qui seule permet d’échapper à la désespérance. Cela suffira-t-il pour rassurer les jeunes professeurs qui débutent dans le métier et convaincre les étudiants qui hésitent à les rejoindre ? On voudrait le croire.

Yves Stalloni

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• Philippe Meirieu, « Lettre à un jeune professeur », ESF éditeur, deuxième édition, 2011.

Yves Stalloni
Yves Stalloni

2 commentaires

  1. Parler de “singes hurleurs” est indigne d’un professeur de Français. J’ai connu, dans un collège ZEP des élèves insupportables, plus que pénibles, qu’évidemment il fallait sanctionner, neutraliser, parfois malheureusement exclure, mais jamais, jamais je ne les aurai réduit à l’animalité, car ce serait se placer au même niveau que leurs pires comportements. Et les solutions sont bien souvent pédagogiques. Le mot “pédagogisme” est un empecheur de pensée. Ce n’est pas à coup d’insultes qu’on s’en sortira§
    JM Zakhartchouk

  2. Bonjour
    C’est un peu tard pour corriger le tir d’un pédagogisme qui s’est fourvoyé depuis des années dans l’idéologie molle et la négation des savoirs .
    Mon propos n’est pas de trouver un bouc émissaire chez vous , mais la situation catastrophique de certains collèges de banlieue livrés aux singes hurleurs est une accusation implicite de ces pratiques douteuses et peu rigoureuses ; la tolérance dégoulinante de bonne volonté à laissé la voie libre à l’intolérance et la stupidité des communautés ; et tolérer la présence du voile à l’école , à l’université est un aveu d’échec flagrant .

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