Pisa 2018 : l’école de la défiance

Les résultats des dernières enquêtes PISA n’ont pas répondu aux espoirs des ministères de l’Éducation nationale successifs. En dépit des réformes, l’instrument de mesure de l’efficacité des systèmes éducatifs des pays de l’OCDE répète tous les trois ans le même constat sur l’école française, à savoir sa propension à accroître, malgré elle, les inégalités entre les catégories sociales.
Est-ce à-dire qu’elle refuserait toute évolution pour s’adapter à une société en mutation ou bien plutôt que l’enquête ne pose que partiellement la question éducative à l’échelle de l’Hexagone ?

Un verdict paradoxal à l’épreuve des faits

S’il fallait ne retenir qu’un seul mot pour synthétiser les derniers résultats des sondages effectués dans le cadre de l’enquête PISA, sans doute serait-ce celui de « méfiance ». En effet, d’un côté les élèves ne se sentent pas suffisamment entendus et compris par leurs enseignants, et de l’autre ils sont peu enclins à collaborer entre eux. Méfiance donc, de part et d’autre ; méfiance perceptible aussi dans le rapport que les enseignants entretiennent avec leur hiérarchie et notamment avec leur ministère de tutelle. D’où l’évidente antiphrase que représente aujourd’hui le credo de Jean-Michel Blanquer, l’école de la confiance.
Cette réserve généralisée doit être interrogée en fonction de ce que l’on constate réellement sur le terrain et au regard des charges de travail exponentielles des enseignants depuis une décennie.
Comment ne pas rappeler que dans presque toutes les classes et à tous les niveaux sont établis des programme d’accueil individualisé (PAI) pour les élèves souffrant de telle ou telle pathologie mais aussi de façon croissante des  plans d’accompagnement personnalisés (PAP) pour ceux qui ont des besoins éducatifs particuliers ? Cela implique un suivi rigoureux et d’évidence chronophage pour la communauté éducative.
Dans le même ordre d’idée, jamais le terme de « différenciation » n’aura été autant prononcé, de pair avec la mise en œuvre d’une pédagogie de moins en moins frontale à l’intérieur des classes. Ainsi, même si le personnel éducatif hexagonal semble plus rétif à l’innovation pédagogique que celui des autres pays de l’OCDE, on observe un hiatus entre l’investissement de chacun en faveur d’une école inclusive et la façon globalement négative dont les élèves eux-mêmes le perçoivent.

L’axiome de la communication

Il y a une dizaine d’années, un parent qui souhaitait rencontrer un professeur prenait rendez-vous par le biais du carnet de correspondance de son enfant. Ce n’est quasiment plus le cas aujourd’hui grâce aux espaces numériques des établissements qui rendent possible un dialogue immédiat entre les « partenaires ». Ainsi, un professeur peut tout à fait écrire à un parent pour lui faire part d’une observation sur le travail ou l’attitude de son enfant, tout comme un parent interrogera un professeur sur tel ou tel point méritant selon lui discussion. Ici encore, dans l’absolu, il semble que nous allions vers un progrès. Sauf que la logique d’individualisation est en train de dévoyer ces louables intentions.
En effet, un nombre de plus en plus important de parents d’élèves à profil spécifique, notamment ceux qui ont été catégorisés comme élèves intellectuellement précoces (EIP), intensifient leurs exigences vis-à-vis de l’institution scolaire. Le professeur principal, au premier chef, se trouve ainsi sous le feu de diverses attentes de personnalisations de plus en plus aiguës. Il n’y a bien entendu aucune illégitimité à demander à l’école de s’adapter et de remplir pleinement sa fonction inclusive. Il faut toutefois admettre que le groupe classe demeure l’entité de base en matière éducative et qu’un enseignement à la carte ne sera jamais possible et sans doute, osons-le dire, pas souhaitable.
En effet, si chaque demande parentale spécifique était entérinée, on aboutirait nécessairement à une situation ingérable en raison des injonctions contradictoires. En outre, ces profils particuliers ciblés peuvent avoir tendance à polariser toute l’attention sur eux, au détriment de beaucoup d’élèves en situation scolaire fragile mais issus de familles moins au fait des stratégies éducatives.
Or, il semble bien que l’essentiel des difficultés révélées par PISA se concentre sur toutes celles et tous ceux dont on ne parle pas ou peu, qui se fondent discrètement dans la masse et qui, d’année en année, tendent à désapprendre.

Les rapports parents/professeurs

L’enquête PISA ne prend pas en compte une donnée spécifiquement française, à savoir le manque de fluidité des rapports parents/professeurs. Il est pourtant à craindre que l’on ne soit entré dans une logique de présomptions réciproques qui dessert la cause des élèves. Qu’il s’agisse du travail personnel (faut-il en donner ou pas ?) des évaluations (faut-il leur attribuer une note chiffrée ou pas ?) ou de bien d’autres sujets, on se retrouve trop souvent dans des oppositions radicales de points de vue. Ce qui peut d’ailleurs parfaitement se comprendre dans la mesure où le parent s’attache essentiellement à un cas individuel alors que le professeur est obligé d’adopter un raisonnement en termes de groupe classe.
À l’heure où les personnels de l’Éducation nationale s’interrogent sur leur « progression » de carrière et la prise en compte ou non de celle-ci dans le calcul de leur retraite, tout démontre que le métier d’enseignant, exercé avec professionnalisme, sera toujours plus chronophage.
Des contraintes pratiques et quotidiennes pèsent lourdement sur les emplois du temps avec pour corolaire un déficit d’heures disponibles pour effectuer l’essentiel : la conception didactique des séances en amont. Or si ce travail préparatoire n’est pas effectué on risque de privilégier une pédagogie de l’activité au détriment de la pédagogie de l’apprentissage.

Il est ainsi nécessaire d’expliciter encore et toujours la réalité factuelle de la mission enseignante et la problématique que risque de poser au bout de vingt ans de carrière la somme croissante des exigences imposées, y compris sur les plans administratif et éducatif : rédaction de rapports d’incidents, participation aux commissions éducatives, etc. Sans doute est-il temps, en plein hiver de revendications, de repenser le métier dans sa globalité en remettant en perspective, à l’attention du plus grand nombre, la réalité d’une fonction globale qui mérite d’être enfin mieux comprise et mieux reconnue.

Antony Soron, INSPÉ Sorbonne Université

• Sur le rapport PISA 2018, voir sur ce site : PISA 2018 : les élèves ont-ils encore confiance en leur école ? par Pascal Caglar.

Antony Soron
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