Pour autrui, de Pauline Bureau : joyeuse GPA

Sur un plateau modulable, la dramaturge présente les années charnières de la vie d’un couple parti aux États-Unis faire une gestation pour autrui. Histoire d’amour et comédie se mêlent dans une forme chorale qui insiste sur l’expérience plus que sur la polémique. Elle lui donne la force d’un témoignage heureux.

Par Pascal Caglar, professeur de lettres

Sur un plateau modulable, la dramaturge présente les années charnières de la vie d’un couple parti aux États-Unis faire une gestation pour autrui. Histoire d’amour et comédie se mêlent dans une forme chorale qui insiste sur l’expérience plus que sur la polémique. Elle lui donne la force d’un témoignage heureux.

Par Pascal Caglar, professeur de lettres

Pauline Bureau a un talent qui excède le registre militant dans lequel elle aime à se situer. Si elle se plaît à parler de dramaturgie du réel et d’implication dans les questions sociétales, si sa compagnie, La Part des anges, s’intéresse à l’histoire sociale des femmes, si les spectacles précédents, Hors la loi (2019) et Mon cœur (2017), ont traité ont de grands sujets (le procès de Bobigny, l’affaire du Médiator), Pour autrui, sa nouvelle création au Théâtre de la Colline, est plus un grand moment de théâtre qu’un véritable débat d’idées. La gestation pour autrui (GPA), son nouveau sujet, y apparaît moins comme une tribune sur une polémique de notre temps qu’une nouvelle (et belle) histoire à raconter sur le corps de la femme, l’amour et la filiation.

Ainsi, pour le plus grand plaisir du spectateur, la scène reste un lieu de théâtre avec des effets et de la magie, où les questions de génération, de maternité et de paternité sont incarnées plus que portées par un discours. À cet égard, la dramaturge rencontre pleinement la problématique au programme de l’option théâtre des classes de terminale pour 2021-2022 : « Génération(s) ».

« Génération(s) »

Filiation, tranche d’âge, passage d’un monde à un autre, effet de groupe, transmission, rupture, appartenance, le terme « génération », dans la richesse de toutes ses acceptions est présent dans beaucoup de nos discours et à la croisée de nombreuses questions. Ce thème annuel commun, volontairement aussi large que central, va permettre aux élèves de « nourrir leur démarche théâtrale de matériaux artistiques (théâtre, littérature, cinéma…) mais aussi documentaires et, selon les cas, historiques, sociologiques, philosophiques ». C’est une invitation à s’emparer de matériaux extérieurs au champ théâtral pour les investir dans un projet artistique. Par ailleurs, ce projet artistique, à « l’élaboration progressive et partagée […] peut également faire place à des textes nés du jeu (dans le cas d’improvisations), d’une écriture collective lors de répétitions, ou de productions personnelles des élèves agencées dans un ensemble. »

Unité de temps et unité de vie

La beauté du théâtre classique consistait à faire coïncider durée de l’action et durée de la représentation : ce qu’on nomme unité de temps. Dans Pour autrui, le beau consiste à condenser les années charnières d’un couple en deux grosses heures, constituant ainsi une unité de vie. Sur scène se raconte l’histoire d’amour de Liz et Alexandre, depuis leur rencontre dans un aéroport bloqué par la neige en Allemagne, jusqu’à la naissance de leur fille aux États-Unis, au terme d’une GPA longue et difficile, contrariée jusqu’au bout par les jugements de la justice française.

C’est une aventure humaine, qui inclut la rencontre avec la famille américaine « gestatrice », médicale et familiale, qui se noue autour d’une action fragmentée dans le temps et dans l’espace : certaines scènes sont en anglais ou en arabe surtitrés, et le plateau est divisé en plusieurs lieux différents. Pour autrui adopte une forme polyphonique où le désir d’un couple à concrétiser son amour finit par s’accorder avec le recours à une mère porteuse. Il fait entendre les réserves et les craintes des uns, les encouragements et les discours déculpabilisant des autres. Une mère porteuse donne naissance, une mère d’intention donne la vie, c’est-à-dire l’environnement affectif et humain nécessaire au développement de son enfant. Donner la vie n’est pas donner naissance, donner l’amour est plus que donner le jour : la pièce est sans détour sur la pratique de la GPA.

Registres croisés et supports vidéo

Pauline Bureau a l’art de solliciter tous les ressorts de l’écriture dramatique et tous les possibles de la scénographie contemporaine pour raconter une histoire. À l’aise dans tous les registres, elle trouve les mots vrais pour toutes les situations, les joies, les angoisses, les douleurs ou les crises que connaît le couple embarqué dans cette GPA.

Non seulement les scènes dialoguées trouvent toujours le ton juste, émouvant, dramatique, comique ou lyrique, mais ce sont les scènes muettes, scènes d’ellipse, scènes du temps qui passe, scènes de l’intériorité révélée, qui donnent lieu à des séquences poétiques, portées par une musique envoûtante, des vidéos pertinentes, des performances étonnantes.

Le réalisme de la pièce n’interdit pas l’esthétisme, les belles scènes proches du romantisme (la rencontre amoureuse en voiture), du symbolisme (la rencontre des deux mères sur un plateau tournant), de l’onirisme (la danse de la mère américaine) et même de la comédie (la visite des parents). En dépit d’une seule fausse note en scène finale avec l’enfant-arbre, cette variété de langages et de prouesses scénographiques est, pour le spectateur, une succession sans fin de surprises et d’étonnements.

Emportés dans une ambiance de conte, peu importe que la question de la GPA ne soit pas traitée en profondeur, que l’aspect commercial, moral ou juridique du sujet soit escamoté, que le volet médical soit réduit à un cas assez simple : gamètes du père biologique et ovules de la mère d’intention. Ce qui compte, c’est bien l’histoire du désir d’enfant de ce couple, la lutte et les souffrances pour l’obtenir. Leur parcours, qui est aussi le parcours que d’autres ont suivi ou suivront, réinventé par Pauline Bureau, a la force d’un témoignage.

Théâtre pleinement contemporain dans son sujet, sa scénographie, son écriture et sa langue, porté par des acteurs et des actrices formidables, toutes et tous habitués à jouer pour La part des anges, Pour autrui a superbement ouvert la saison du Théâtre de la Colline, institution qui s’est fixée comme mission de faire connaître les écritures d’aujourd’hui. Cette saison fait ainsi la part belle aux écritures féminines et aux portraits de femmes, ce qui ne manquera pas d’intéresser les enseignants de lycée qui se penchent sur les représentations de la femme au théâtre.

Pascal Caglar
Pascal Caglar