Pour célébrer Dashiell Hammett

Hammett est mort il y a cinquante ans. Cantonné dans le genre mineur – le «mauvais genre» du roman noir, il aura pourtant exercé sur la littérature générale une influence considérable.
Les auteurs de romans policiers, bien sûr, lui sont redevables (Chandler, Cain, McDonald, Simenon), mais aussi Hemingway, Steinbeck, et sans doute, de manière indirecte, Camus ou Duras.
Hammett a peu écrit, on lui doit cinq romans et une cinquantaine de nouvelles.
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Des traductions revues et corrigées

Le cinquantenaire de sa mort aura au moins eu la vertu d’amener les éditions Gallimard à revoir la traduction des romans. Publiés dans les années cinquante dans la mythique « Série noire », les traductions de Marcel Duhamel et Henri Robillot s’éloignaient considérablement du texte original, tant par le style que par les coupures opérées. Les nouvelles traductions dues à Pierre Bondil et Nathalie Beunat, universitaire spécialiste de l’œuvre, évitent l’argot surannée des années cinquante et restituent le texte dans son intégralité.
La neutralité du style – rappelons que Le Faucon de Malte et La Clé de verre sont totalement rédigés en focalisation externe et que le Continental Op, narrateur de Moisson rouge et Sang maudit, se garde bien de jamais dévoiler la moindre émotion – sert admirablement la complexité de l’intrigue et exprime sans artifice la violence de ces univers livrés à la criminalité dont Hammett, quelques années détective chez Pinkerton, avait appréhendé tous les rouages.
On regrettera seulement que l’éditeur se soit contenté de reprises en guise de préface (un chapitre de La Prairie perdue, de Jacques Cabau et une traduction du Simple art of murder, de Chandler), la chronologie agrémentée de photographies est néanmoins suffisamment étoffée pour donner envie d’en savoir davantage.
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Une édition intégrale des nouvelles

Nathalie Beunat livre en outre, chez Omnibus, une édition de l’intégrale des nouvelles. L’ouvrage contient bien sûr les enquêtes du Continental Op et de Sam Spade, héros récurrents chez Hammett, mais aussi quelques textes inédits comme Retour au pays ou Le Cerveau. L’entreprise mérite d’être saluée car elle permet de mesurer l’évolution d’un écrivain autodidacte qui entra en littérature pour gagner sa vie et n’acquit que progressivement la conscience de son génie. On lira avec profit, à ce sujet, la correspondance de Hammett établie par Richard Layman et traduite pour les éditions Allia.
Côté critique et biographie, les nouvelles éditions Pierre-Guillaume de Roux publient la biographie actualisée de Richard Layman. Le titre choisi (L’Insaisissable…), outre qu’il renvoie au dernier roman de Hammett (L’Introuvable), met l’accent sur le mystère de cet écrivain qui, en pleine gloire, cessa mystérieusement d’écrire après 1934. Éditée en 1981, chez Fayard, ladite biographie s’avérait bien lacunaire puisque Layman n’avait pu obtenir l’assentiment de Lillian Hellman, exécutrice testamentaire et détentrice des droits d’auteurs de Hammett. La biographie de référence demeurait donc, à ce jour, celle de Diane Johnson ; qui, elle, avait obtenu la collaboration avec Lillian Hellman.
Richard Layman, qui a depuis accompagné l’édition d’un émouvant témoignage de Jo Hammett, la fille cadette de Dash, parvient ainsi au terme d’un projet qui l’a habité pendant plus de quarante ans.
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L’hommage des romanciers

Les romanciers apportent aussi leur pierre à l’édifice mémorial : le regretté Joe Gores qui avait déjà publié un polar particulièrement réussi (le Hammett à l’origine du film de Wenders) s’empare cette fois de Sam Spade, le détective du Faucon de Malte et imagine une intrigue située antérieurement. Joe Gores qui a manifestement lu Hammett, pastiche avec succès le style et les personnages du maître, mais n’atteint jamais la dimension politique de son illustre modèle.
Autre hommage romanesque, celui d’Ace Hatkins qui, dans le Jardin du diable, imite Jo Gores, en conférant à Hammett la dignité du personnage de fiction. Hammett y couvre l’affaire Fatty Arbuckle. Roscoe Arbuckle, star du cinéma muet, est accusé d’avoir causé la mort d’une actrice. Hammett promène donc sa silhouette dégingandée dans les milieux du cinéma, croisant les routes de Charlie Chaplin ou William Randolph Hearst. L’intrigue est menée de main de maître et le San Francisco corrompu des années vingt, dont l’auteur du Faucon de Malte dénonçait les turpitudes, parfaitement restitué.
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Hammett, une sorte d’anti-Céline

L’année 2011 célèbre donc un peu mollement le cinquantenaire Hammett, rien de véritablement neuf sur le front de la critique ! C’est pourtant bien cette dimension novatrice de l’œuvre qui méritait d’être soulignée. Non content d’avoir inventé un genre, Hammett est aussi l’homme d’une technique qui souligne à merveille la dépersonnalisation de l’être et le rapport d’étrangeté que l’homme entretient avec le monde, en ce XXe siècle naissant dont ses romans dénonçaient déjà la férocité.
Hammett, en cette année de célébrations, constitue une sorte d’anti-Céline : à la flamboyance du style il préféra toujours la neutralité, une sorte de degré zéro de l’écriture qu’il parvint pourtant à ériger en œuvre littéraire et dont l’impact s’est exercé sur les plus grands. Homme de gauche, convaincu des iniquités d’un système qu’il n’a cessé de dénoncer, il résista, à sa manière, digne et flegmatique, à l’inquisition maccartiste. Il y a, chez ce dandy alcoolique, véritable antithèse d’un Céline, une exemplarité paradoxale.

Stéphane Labbe

 
• Bibliographie : Dashiell Hammett, Romans, « Quarto », Gallimard, 2010. – Nathalie Beunat, Dashiell Hammett : parcours d’une œuvre, Ancrage, 1997. – Jacques Cabau, La Prairie perdue, le roman américain, Points Seuil, 1981. – Dashiell Hammett, Coups de feu dans la nuit, Omnibus, 2011.– Dashiell Hammett, La Mort c’est pour les poires, Correspondances 1921-1960, Allia, 2002. – Richard Layman, L’Insaisissable, la vie de Dashiell Hammett, Pierre-Guillaume de Roux éditions, 2011. – Richard Layman, Dash, la vie de Dashiell Hammett, Fayard, 1981 – Diane Jonhson, Hammett : une vie, Folio, Gallimard, 1992. – Jo Hammett, Dashiell Hammett, mon père, Rivages/Noir, 2009. – Ace Atkins, Le Jardin du diable, Le Masque, 2011.– Joe Gores, Spade et Archer, Rivages Thriller, 2011.
 

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Un commentaire

  1. Votre article donne envie de se plonger ou replonger dans Hammett. Fatale, de J-P Manchette, était un bel hommage à ce grand écrivain.

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