Le projet d’ajustement des programmes de français : simples accommodations terminologiques ou changement de cap?

En période de Coupe du monde de football où les coachs, selon la terminologie consacrée, ont coutume d’effectuer des « ajustements » par rapport à leur équipe-type, le titre du document du CSP, Projet d’ajustements et de clarification des programmes de français des cycles 2-3-4 arrive à point nommé, de même que le nouveau pilier de l’éducation morale et civique à l’école élémentaire, l’apprentissage par cœur de la Marseillaise dès le CE1.

Clarifier ou rassurer ?

L’exercice de toilettage commence naturellement par l’éviction du terme « prédicat », pomme de discorde par excellence, en lui substituant les sigles plus familiers aux non-linguistes, COD et COI. Comme ce cas surexploité médiatiquement par ses contempteurs peut en témoigner, les réajustements envisagés par le Conseil supérieur des programmes (CSP) reposent d’abord sur une volonté d’explicitation et, de fait, sur un propos structuré autour de termes-clefs susceptibles de parler à tout un chacun.
Pour ce qui concerne l’étude de la langue en cycle 2, les mots que nous soulignons dans le texte de projet demeurent ainsi sans ambiguïté quant aux principes didactiques qui les sous-tendent :
Page 14 : « Pratique quotidienne de dictées de syllabes et de mots », « Rituels fondés sur la répétition et la récurrence pour mémoriser les leçons antérieures et automatiser les acquis. »
Page 15 : « Activités ritualisées de copie de mots, de phrases, de textes courts (de 2 à 5 lignes).
Page 17 : « Élaboration progressive de tableaux de conjugaison. »
A l’heure de la compréhension explicite des textes littéraires, on ne peut faire plus clair !

Décomplexifier ou décomplexer ?

Fondamentalement et résolument pragmatique, le « projet » qui sera soumis au Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) le 12 juillet 2018 procède  à une retouche de tous les éléments trop subtils des programmes de français en cours. On ne sera donc pas surpris du retour en force de l’apprentissage du paradigme entier du passé simple au cycle 3 au lieu de l’exclusive troisième personne du singulier et du pluriel.
Les « nouveaux programmes » ayant eu le vice de semer le doute dans la perception conservatrice des apprentissages menés l’école élémentaire, le texte de projet se charge, à contre-courant, de rétablir quelques-uns de ses marqueurs symboliques. Ce qui justifie, semble-t-il, la réintroduction de l’apprentissage de l’attribut du COD en cycle 4, si peu étudié dans les faits.
Selon cette réorientation des programmes, qu’importe, à titre d’exemple, comme Sylvie Plane le dénonçait au sein du précédent CSP, que l’on surcharge l’apprentissage des élèves de formes aussi inusitées tant à l’oral qu’à l’écrit que  « nous suivîmes », « vous allâtes », « nous crûmes » ou « vous vous assîtes ». Dans le même esprit, on ne sera pas surpris que la « terminologie utilisée » pour l’étude de langue (grammaire, orthographe, lexique), page 35, revienne aux « classiques » nature et fonction d’un mot.

Repérage temporel

En revanche, le projet d’ajustement a tout lieu d’étonner par sa propension à se focaliser exclusivement sur les attendus de fin de cycle sans mettre nettement en perspective des repères de progression annuelle. Il entérine de fait une logique de cycle, qui, pourtant, allait à l’encontre des balises éducatives traditionnelles.
On notera tout de même une orientation quantitative annualisée en ce qui concerne le nombre de livres censés être lus en classe chaque année : soit au cycle 2, de cinq à dix œuvres. Pour ce qui concerne le cycle 3, la quantification est d’ailleurs plus détaillée :
CM1 : 5 ouvrages de littérature de jeunesse et deux œuvres du patrimoine.
CM2 : 5 ouvrages de littérature de jeunesse et 3 œuvres du patrimoine.
6e : 3 ouvrages de littérature de jeunesse et 3 œuvres du patrimoine.
Elle ne l’est pas moins pour le cycle 4 avec, pour chaque niveau du cycle, trois œuvres complètes du patrimoine étudiées en classe, trois œuvres complètes notamment de littérature de jeunesse en lecture cursive, et trois groupements de textes (lecture analytique ou cursive).
Estimable en soi comme repère pour l’enseignant, cette logique quantitative reste un tant soit peu abstraite. L’épaisseur très variable des livres et le caractère fluctuant de leur littérarité ne permettent pas d’en rester à une simple logique comptable finalement très peu opérante dès que l’on envisage sérieusement une progression de lectures à l’échelle d’une année scolaire.

Automatiser l’écriture

Il apparaît très clairement dans le projet de réajustement que le « lien entre l’écriture de textes et l’étude de la langue » (p. 42) est renforcé. Il s’agit d’ailleurs d’un sérieux point de questionnement quant au propos développé. En effet, l’écriture semble délibérément investie d’une dépendance vis-à-vis de l’étude de la langue.
D’après le texte, on écrit d’une part « avant d’étudier un point de langue », d’autre part pour « appliquer une leçon », enfin selon une perspective de « révision » « grâce au savoir acquis en étude de la langue ». Ajouté à l’emploi préalable du verbe « automatiser » (« pour automatiser certaines dimensions de l’écrit »), ce recadrage des activités d’écriture remet implicitement en cause la posture d’auteur de l’élève, agent d’invention et portée par son imagination. Cela présuppose-t-il la fin programmée des chantiers d’écriture au profit d’activités d’écriture principalement chargées d’appliquer les leçons d’étude de la langue ?
Le Conseil supérieur des programmes semble pratiquer à merveille l’exercice présidentiel du « même temps ». « En même temps », donner des gages à la tradition éducative, en rappelant au premier chef la nécessité de recourir quotidiennement à la dictée et « en même temps » ne pas bouleverser des programmes récemment mis en place, fruit d’une longue maturation, d’une réflexion approfondie des chercheurs, d’échanges entre didacticiens et pédagogues lors des différentes conférences de conférences de consensus qui les ont précédés. La logique apparente de compromis réclame toutefois à chaque protagoniste de l’action éducative de rester sur le qui-vive.
L’enjeu des programmes scolaires n’est-il pas de dépasser la zone de confort de chacun pour faire avancer des pratiques pédagogiques en fonction des progrès de la recherche universitaire appliquées au terrain ?

Antony SORON, ÉSPÉ Sorbonne Université

 
• Télécharger le Projet d’ajustement et de clarification des programmes de français pour les cycles 2, 3 et 4.
Télécharger le Projet d’ajustement et de clarification du programme d’enseignement moral et civique des cycles 2, 3 et 4.

Antony Soron
Antony Soron

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *