
Bac de français, proposition de corrigé pour les filières professionnelles 2025 : « Quel temps pour soi ? »
Ce lundi 12 mai 2025, les élèves des filières professionnelles avaient trois heures pour composer sur ce sujet à partir d’un corpus réunissant des textes et des images indexés sur le programme limitatif « Rythmes et cadences de la vie moderne ». Pistes de rédaction.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université
Ce lundi 12 mai 2025, les élèves des filières professionnelles avaient trois heures pour composer sur ce sujet à partir d’un corpus réunissant des textes et des images indexés sur le programme limitatif « Rythmes et cadences de la vie moderne ». Pistes de rédaction.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université
« Quel temps pour soi ? ». Le sujet du bac de français pour les filières professionnelles, tombé ce 12 mai au matin, s’appuie sur deux textes littéraires. Le premier, extrait d’Éloge de la lenteur, de Carl Honoré (Marabout, 2004), se rattache au genre de l’essai. Le deuxième extrait, issu des Instants suspendus, de Philippe Delerme (Seuil, 2023), relève, comme le plus souvent avec l’auteur de La Première Gorgée de bière, d’un court récit construit à partir d’une anecdote de la vie courante, en première analyse insignifiante. Ce corpus est complété par une œuvre picturale du graphiste Pawel Kuczynski, intitulée Le Dîner, dont on pourra d’emblée reconnaître la veine satirique.
Première partie (10 points) : évaluation des compétences de lecture.
Question 1 (2 points) : « Selon le texte 1, qu’avons-nous perdu avec l’accélération du temps ? ».
Proposition de corrigé. Le texte 1 se présente comme un blâme de la société actuelle. La thèse de l’auteur est posée explicitement dès la seconde ligne par l’affirmation « Nous avons perdu l’art de ne rien faire ». L’auteur reprend l’idée pascalienne formulée dès le XVIIe siècle selon laquelle l’homme est incapable de rester dans une pièce, seul, sans s’ennuyer. Par conséquent, on ne sera pas surpris de retrouver le mot « ennui » dans l’extrait de Carl Honoré.
Ce constat établi, l’auteur met en perspective le cercle vicieux que provoque l’obsession de la vitesse. On ne prend plus le temps de réfléchir : « Au lieu de penser en profondeur ». Ce déficit de maturation des idées rend l’homme plus influençable aux opinions toutes faites, voire aux contre-vérités, pourvu qu’elles lui soient compréhensibles en le moins de temps possible. C’est d’ailleurs ce dont atteste l’aphorisme suivant, à valeur de réquisitoire : « Le pays de la vitesse consacre le règne de la réponse toute prête ».
Question 2 (2 points). « Le titre de l’œuvre est-il vraiment adapté ? »
Proposition de corrigé. Au premier regard porté sur l’œuvre graphique de Pawel Kuczynski, on peut constater le décalage entre son intitulé, Le Dîner, et ce qu’elle met en scène, à savoir une famille de quatre personnes (mari, femme, garçon, fille) qui sont attablées chacune devant une tablette en lieu et place d’une assiette et de couverts. La présence au centre de la table d’une box internet renforce l’effet de substitution entre l’image du repas attendu et ce que le spectateur a sous les yeux.
Les personnages ont l’air silencieux et concentré sur leur écran respectif. Leur attitude, mains jointes, pourrait même être qualifiée de religieuse. Si l’on accepte cette interprétation et sa dimension satirique, on peut aller jusqu’à envisager le tableau comme une prière préalable au dîner à suivre, en l’honneur non de Dieu, mais d’un internet omnipotent… À moins que les convives ne se contentent de nourritures virtuelles…
Question 3 (trois points).
a. « Comment les voyageurs réagissent-ils à l’arrêt du train ? »
Proposition de corrigé. Dans cet extrait du texte de Philippe Delerm, l’arrêt inopiné du train provoque une pluralité de réactions en fonction de l’humeur et de la personnalité des voyageurs : « Du voyageur le plus pessimiste ou le plus exaspéré ». En quelques secondes, on observe cependant une évolution des sentiments observés allant de l’exaspération à « l’inquiétude ». À ce premier état de mécontentement global succède un deuxième état valorisé par le narrateur, à savoir une forme d’engourdissement face à la situation exceptionnelle à laquelle le voyageur doit se résoudre : « comme délivré d’un ordre des choses dont on ne percevait pas la tyrannie ».
b. « Pourquoi le narrateur conclut-il : “Plus tard on prétendra que c’est insupportable. Mais on l’a supporté si bien ?” »
Proposition de corrigé. Le narrateur use ici d’une antithèse qui résume la façon dont un voyageur sera enclin à rapporter l’évènement vécu dans le train. Aussi aura-t-il tendance non à s’attacher aux vertus de l’arrêt inopiné, qui l’a rendu plus philosophe, comme l’exprime l’expression consacrée, mais à la gêne occasionnée qui justifie, par habitude, quand on évoque l’incident, d’être mise au premier plan. En somme, ce serait comme si on préférait apparaître dans la norme en tant que personne mécontente plutôt que comme un être singulier ayant découvert inopinément que perdre du temps ce n’était pas si grave voire profitable.
Question 4 (3 points). Comparez la façon dont le texte 1, l’image et le texte 2 évoquent les rythmes de la vie moderne en identifiant les points communs et les différences.
Proposition de corrigé. D’après le corpus proposé, la vie moderne semble caractérisée par ses rythmes spécifiques. Le mot « rythme » implique de réfléchir en termes d’accélération et de ralentissement, que ce soit sur le plan physique ou cognitif. Les textes 1 et 2 suggèrent que l’être humain a du mal à ne pas être en mouvement. D’où la difficulté des passagers à accepter l’arrêt de leur train. Cette hantise de l’immobilité semble aussi liée à une quasi-phobie moderne de « l’ennui », comme le souligne l’extrait d’Éloge de la lenteur. Ce serait comme l’homme moderne était toujours occupé, même statique. Cette idée apparaît nettement sur l’image où chaque membre de la famille, pourtant assis, est rivé à un écran individuel, suivant le rythme que lui imposent les images, mais indisponible aux autres.
Chaque élément du corpus invite à sa façon à envisager les rythmes de la vie moderne. Ainsi, il est intéressant que les deux textes fassent référence à un épisode ferroviaire. Dans le texte 1, l’incapacité d’être dans une forme de méditation est mise en perspective. Chacun se mettant en devoir d’occuper son voyage à tout prix, comme le souligne l’énumération des actions observables : « jouer à des jeux vidéo », « travailler sur son portable », « marmonner dans son téléphone mobile ».
Dans le texte 2, à l’inverse, l’arrêt inattendu provoque un changement de comportement chez certains voyageurs. Le rythme infernal semble forcé de se ralentir. L’image, quant à elle, qui fait référence à une scène quotidienne et banale, déplace la question du rythme vers le constat d’assujettissement collectif au rythme d’internet, autrement dit, que l’on s’impose, même en famille un état de dépendance, voire de servitude.
Deuxième partie (10 points) : compétences d’écriture.
« Se connecter aux rythmes de la vie moderne, est-ce toujours souhaitable ? »
Proposition de corrigé. À regarder les passagers du métro parisien courir dans les couloirs pour rejoindre leur correspondance, on mesure la réalité de l’empressement de chacun. On le mesure d’autant mieux quand on s’attarde sur quelques personnages singuliers qui, en même temps qu’ils pressent le pas, consultent leur portable ou poursuivent leur entretien téléphonique.
Il semble évident que la vie moderne n’est pas de tout repos, imposant à beaucoup un rythme sinon infernal au moins effréné. Le titre du film, À plein temps, d’Éric Gravel, narrant le quotidien d’une mère qui doit cumuler un nombre incalculable de responsabilités sur une journée, reste à ce titre exemplaire. Toute la question étant de savoir s’il est souhaitable de rester toujours connecté aux rythmes de la vie moderne ?
Afin de répondre à cette interrogation existentielle, nous développerons deux axes de réflexion. Dans un premier temps, nous nous demanderons en quoi la connexion aux rythmes de la vie moderne est indispensable pour rester connecté aux autres. Dans un second temps, nous montrerons toutes les limites de l’obsession de la vitesse qui caractérise nos temps modernes.
Évoquer les rythmes de la vie moderne revient d’abord à constater qu’il est difficile d’avoir son rythme à soi. Dans une entreprise par exemple, chacun vit pour ainsi dire au diapason du rythme de l’autre. Il apparaît donc assez compliqué de totalement se singulariser. L’idée d’avoir du temps pour soi, très recommandée par tous les coachs d’épanouissement personnel, pour être intéressante, n’en est pas moins compliquée à tenir en fonction de tous les réseaux qui engagent chacun.
Un individu aura du mal à s’extraire du rythme imposé par les horaires de son emploi, de sa famille ou encore, de ses loisirs. À moins d’être comme un Robinson Crusoé sur une île déserte, comment imposer aux autres son propre rythme, a fortiori s’il est particulièrement lent. De même, comment trouver son propre rythme au sein du rythme général ? À l’adolescence en particulier, le rythme semble imposé par la nécessité de rester en relation avec les autres. Par là même, la connexion par le biais des réseaux sociaux constitue une forme d’impératif. Vivre en société ne suppose-t-il pas d’accepter un rythme de vie collectif et de s’adapter à la rapidité des échanges ?
Pour autant, on voit bien que la question des rythmes de la vie moderne justifie d’exposer des contraintes. Déjà, dans le film Les temps modernes, le personnage de Charlot était dépassé par la rapidité des tâches à exécuter sur la chaîne de montage de de son usine. Depuis le début de l’ère industrielle, comme le montre aussi l’épisode vécu par le personnage de Bardamu au sein d’une usine Ford dans le Voyage au bout de la nuit, de Céline, tout va de plus en plus vite : aussi bien le rythme des actions à réaliser, que celui des informations à ingérer.
La loi tacite de l’existence reviendrait en somme à se fixer un ou des objectifs et de les mener à leur terme en un temps record. Dans son récit, Courir, l’écrivain Jean Echenoz, met en scène un champion de course de fond, Émile Zatopek, qui ne cesse de courir de compétition en compétition, comme obsédé par la course aux records et aux médailles. Ce personnage ne devient-il pas un robot, une machine à aller toujours plus loin, toujours plus vite ? Le culte de la performance prédomine. Cette tendance ne concerne d’ailleurs pas uniquement le sport de haut niveau. Sur les réseaux sociaux, l’obsession n’est-elle pas d’être le premier ou la première à réagir sur tel ou tel sujet ? Personnalités médiatiques et politiques en tête ?
Inversement, l’épisode de la pandémie, malgré sa dimension tragique, a eu la vertu de susciter des questionnements sur les rythmes de vie. Combien ont décidé alors de changer de travail, d’adopter le télétravail ou de quitter la frénésie urbaine pour une vie plus calme à la campagne ? Même le Émile Zatopek de Jean Echenoz, qui a passé sa vie à se déplacer d’un endroit à l’autre pour empiler les médailles d’or, finit par trouver un certain réconfort à vivre tranquillement et dans l’anonymat avec son épouse. Ce ralentissement imposé à l’athlète par son âge, bien des gens le rêverait plus précoce dans leur existence. À une époque où le burn-out est fréquent – au travail notamment mais on parle également de burn-out parental –, l’aménagement du temps de travail se pose avec plus d’acuité, comme si le monde moderne était parvenu à un seuil de saturation et que l’heure était venue de retrouver des équilibres.
Nous avons montré dans notre développement que la déconnexion pouvait être redoutée dans la mesure où elle implique de se couper des autres, une singularisation possiblement excessive, dans un monde qui présuppose une interaction permanente. La question posée par le sujet invite en parallèle à réfléchir nos servitudes volontaires, à notre assujettissement au culte de la vitesse et de l’accélération. Il apparaît indispensable à l’être humain d’accepter les ruptures de rythme, en réhabilitant, sans en avoir honte, des mots comme « lenteur » ou « ennui », qui, après réflexion, ne sont pas forcément négatifs. Ne suffit-il pas d’en faire l’expérience ? Que se passe-t-il quand on ralentit ? Et quand on s’ennuie ? N’est-ce pas alors que la créativité se met en marche ?
A. S.
Retrouvez ici l’intégralité du dossier spécial Bac de français
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