« Puisque c’est ça, je pars ! » d’Yvan Pommaux

"Puisque c'est ça, je pars !", d'Yvan Pommaux
“Puisque c’est ça, je pars !”, d’Yvan Pommaux © l’école des loisirs, 2017

Norma joue avec son singe en peluche Jojo dans le bac à sable du parc et le pauvre Jojo est menacé par des « milliers de fourmis rouges » qui « défilent sur les dunes ». Norma, trop absorbée par son jeu, n’entend pas maman qui lui commande de rentrer : « On dirait que je suis un tamanoir, constate-t-elle, un animal bizarre… »
Mais voilà que posé sur un album intitulé Animaux étranges, le tamanoir, le téléphone de maman se met à coasser « cooâ, cooâ, cooâ, cooâ ». L’appareil semble bondir à la manière d’une grenouille et occulte le titre de l’album qui a sans doute inspiré Norma dans ses jeux. La vignette concentre le propos de l’album, montrant comment la technologie moderne vient occulter les supports anciens de l’imagination.

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"Puisque c'est ça, je pars !", d'Yvan Pommaux © l'écoledesloisirs, 2017
“Puisque c’est ça, je pars !”, d’Yvan Pommaux © l’école des loisirs, 2017

« Quoi, quoi, quoi, quoi ? » C’est la curiosité des adultes bondissant d’un sujet à l’autre, d’un correspondant à l’autre, sur leurs smartphones qui fait irruption dans la vie familiale. Maman décroche et devient sourde aux appels de Norma qui s’était finalement préparée à partir. La petite fille assiste dépitée à la conversation passionnée de sa mère et cherche vainement à rappeler qu’elle existe. Maman finit par gronder : « Va jouer plus loin ! »
Le cadre s’estompe, là, sur un fond blanc qui manifeste la solitude de l’enfant, le fillette prend une décision : « Puisque c’est ça, je pars ! » Commence alors l’un de ses voyages à la Where The Wild Things Are (Max et les maximonstres) où la réalité vacille. Norma rencontre Félix, un petit garçon noir confronté au même problème : « Avec ma mère c’est kif-kif », dit Félix.
Norma prend la direction de l’expédition, on traverse un buisson qui conduit « LOIN ? LÀ-BAS AILLEURS ». Les enfants débouchent sur un autre monde, onirique, sorte de paradis luxuriant. Le contenu manifeste du rêve de Norma est nourri d’éléments puisés dans la réalité du parc. Les gardiens qui repeignaient les grilles, étalent désormais leur peinture sur les végétaux dessinant les mots « CALME », « COOL ».
"Puisque c'est ça, je pars !", d'Yvan Pommaux © l'école des loisirs, 2017
“Puisque c’est ça, je pars !”, d’Yvan Pommaux © l’école des loisirs, 2017

La statue de la lionne qui semblait veiller sur Norma se prélasse sur les branches d’un arbre et le petit bateau qui tanguait dans un bassin descend un fleuve qui fait penser au Congo ou à l’Amazone. Le paradis n’est pas sans suggérer des motifs d’inquiétude : une plante carnivore rouge comme le téléphone de Maman laisse échapper des pétales en formes de mains et digère une créature poilue aux yeux grand ouverts, un serpent ventru et bleuté s’enroule autour d’une branche basse.
Dès lors les péripéties s’enchaînent. Marion et Félix seront sauvés in extremis des griffes de la lionne par les peintres (figures symboliques le créateur) qui choisit de protéger les enfants, il leur faudra encore affronter les « stakateurs », monstres technologiques broyeurs. C’est au cours de cette péripétie que Norma perd son pauvre Jojo. Elle connaîtra naufrage et sirènes salvatrices – le lecteur s’amusera à retrouver comment, dans ces épisodes, l’imaginaire a transformé la réalité quotidienne du parc, le capitaine du bateau, un morse, ressemble à un vieux monsieur qui somnolait sur un banc, les sirènes étaient auparavant des statues… – avant de se rendre à l’évidence : Jojo est perdu.
"Puisque c'est ça, je pars !", d'Yvan Pommaux © l'école des loisirs, 2017
“Puisque c’est ça, je pars !”, d’Yvan Pommaux © l’école des loisirs, 2017

Le paysage se fait inquiétant, le corps du serpent bleu réapparaît, il a, en lieu et place de la tête, un écran de smartphone qui propose à Norma de l’aider en lui montrant la photo de Jojo. Heureusement le vrai Jojo veille et décoche un coup de poing à l’objet tentateur – un « reptilophone » nous apprend la narration . L’heure des retrouvailles a sonné : Norma et Félix vont pouvoir retrouver leurs mamans enfin disponibles.
On l’aura compris le nouvel album d’Ivan Pommaux est une fable qui stigmatise les nuisances causées par les nouvelles technologies. Maman n’est certes pas disponible pour Norma, à cause de son téléphone, mais Norma elle-même est atteinte, le reptilophone pourrait lui faire perdre Jojo et les trésors d’imagination qu’il lui permet de déployer. Il propose un ersatz de Jojo qui n’aura jamais les vertus du vrai doudou.
"Puisque c'est ça, je pars !", d'Yvan Pommaux © l'école des loisirs, 2017
“Puisque c’est ça, je pars !”, d’Yvan Pommaux © l’école des loisirs, 2017

 
Si la conclusion de l’album semble heureuse : « Le téléphone, à partir d’aujourd’hui, c’est FINI », conclut maman. La page ultime nous laisse sur un point d’interrogation : le téléphone se remet à sonner, plus fort, plus longtemps. Est-ce pour signifier que maman est fidèle à sa promesse ou pour montrer que les voix du téléphone sont terriblement addictives ? Le lecteur jugera.
Quoi qu’il en soit le message est clair : les nouvelles technologies nuisent à votre imagination, à vos relations. Avec un art consommé de la narration, un dessin soigné, maîtrisé, chargé de clins d’œil, Yvan Pommaux compose là un des ses plus beaux albums.

Stéphane Labbe

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• “Puisque c’est ça, je pars !”, d’Yvan Pommaux, l’école des loisirs, 2017.
Voir également sur ce site :

Autoportrait d'Yvan Pommaux © l'école des loisirs, 2013
Autoportrait d’Yvan Pommaux © l’école des loisirs, 2013

Yvan Pommaux et Rémi Chaurand, « Passe à Beau ! », par Alexandre Lafon., ainsi que l’article paru dans le numéro 2 de « l’École des lettres » 2016-2017.
« Nous, notre Histoire », d’Yvan Pommaux & Christophe Ylla-Somers. Un auteur d’albums pour la jeunesse s’attaque à l’histoire du monde, par Anne-Marie Petitjean.
Entretien :  À la rencontre d’Yvan Pommaux.
• Voir le sommaire du numéro spécial de « l’École des lettres » consacré à Yvan Pommaux.
Tous les livres d’Yvan Pommaux à l’école des loisirs.

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