Quelle poésie entre le primaire et la première ?

La prochaine édition du Marché de la poésie, du 18 au 22 juin, place Saint-Sulpice à Paris, est l’occasion de réfléchir à la place qu’occupe la poésie dans les programmes. Le genre est trop peu étudié au collège et en seconde, alors qu’il est plutôt apprécié par les jeunes.

Par Pascal Caglar, professeur de lettres (académie de Paris)

La prochaine édition du Marché de la poésie, du 18 au 22 juin, place Saint-Sulpice à Paris, est l’occasion de réfléchir à la place qu’occupe la poésie dans les programmes. Le genre est trop peu étudié au collège et en seconde, alors qu’il est plutôt apprécié par les jeunes.

Par Pascal Caglar, professeur de lettres (académie de Paris)

Du 18 au 22 juin se tiendra le 42e Marché de la poésie, place Saint-Sulpice à Paris (6°). Événement annuel le plus important consacré exclusivement à la poésie, il rassemble toutes les maisons d’édition spécialisées, organise des rencontres et des tables rondes, propose des activités d’écriture et de découvertes de la poésie pour les plus jeunes, et met à l’honneur un invité ou un ensemble d’invités. L’édition 2025 célèbre « La poésie palestinienne », représentée par plus d’une dizaine de poètes à rencontrer sur place et à retrouver notamment dans l’Anthologie de la poésie palestinienne d’aujourd’hui, parue en 2022 aux éditions Points.

L’événement est soutenu par le ministère de la Culture, la Société des gens de lettres, ainsi que de nombreuses institutions, mais l’Éducation nationale reste à l’écart, son lieu et heure d’intervention restant le Printemps des poètes à la mi-mars, avec son lourd appareillage de concours, dispositifs, projets, ressources et labels sur tout le territoire.

Ces manifestations ont-elles pour autant des répercussions sur l’école ? Les élèves sont-ils plus et mieux sensibilisés ? Malgré l’activisme du ministère, ses pages Éduscol, son réseau Canopé, ses vidéos Lumni et ses listes de lectures longues comme une bibliographie d’agrégation, on peut être franchement sceptique sur le résultat car il suffit de demander aux bacheliers quels poètes ils se souviennent avoir étudié, quels poèmes ont laissé une trace dans leur mémoire ou encore simplement dans quelle classe ils ont le souvenir d’avoir lu de la poésie, pour être accablé par le néant de cette précieuse « culture personnelle » si chère à l’Éducation nationale.

Rien qui plaise ou qui reste

En fait, la poésie connaît deux grandes heures dans la scolarité des élèves : le primaire, où les récitations laissent une trace : pour beaucoup un poème de Prévert, pour d’autres une fable de la Fontaine, et pour quelques-uns un poème de Victor Hugo (mais rien de Roubaud ou Desnos) ; et la classe de première où le bac de Français impose (enfin) l’étude d’une œuvre poétique. Entre ces deux extrémités, il semblerait qu’il n’y ait pas eu de lecture de poètes, « rien qui pèse ou qui pose » comme dirait Verlaine, rien qui plaise ou qui reste.

Ce vide, aussi surprenant soit-il, n’est pas incompréhensible pour autant. Il faut regarder de près les programmes du collège ou de la classe de seconde pour s’apercevoir que la poésie est, certes, présente mais sous forme superficielle, subordonnée, illustrative : au collège, c’est à l’occasion de thèmes (« Regarder le monde », « Agir sur le monde », « Vivre en société », « Se chercher, se construire ») que la poésie est étudiée, bien loin de la seule approche qui marque les esprits, celle du bac par exemple, avec la connaissance biographique d’un auteur, l’étude serrée d’une de ses œuvres et de la signification de celle-ci pour lui et pour ses lecteurs.

La poésie ne peut être au service de « grandes entrées » (tel est le vocabulaire officiel), servant l’idéologie la plus noble ; elle ne met rien entre le poète et son lecteur, ni message, ni valeur, sinon une communauté d’émotions ou d’impressions, d’expériences ou d’espérances, de possible ou d’imaginable. En classe de seconde, l’intitulé « La poésie du Moyen Age au XVIIe siècle » n’est malheureusement que l’assurance d’un survol inévitable, sans trace aucune, comme un film regardé en accéléré ou une toilette faite à la hâte. La classe de seconde veut intéresser à la versification d’un Malherbe, à la technique du sonnet, quand l’adolescence s’intéresse aux élans d’un Musset ou d’un Lamartine (tous deux absents des programmes de toute classe).

Hashtag #poésie

Le plus triste, c’est que les élèves aiment la poésie. Ils ont un désir de poésie, ils le disent, ils le prouvent par les goûts, la sensibilité, les aspirations de leur âge. « Sur TikTok, le hashtag #poésie regroupe plusieurs centaines de milliers de vidéos célébrant la poésie sous toutes ses formes, explique un article de France 3 régions. Certains se mettent en scène face caméra, récitant leurs créations, d’autres célèbrent de grands poètes disparus, quand les plus timides préfèrent partager quelques captures d’écrans de leurs vers. »

Mais l’Éducation nationale ne les comble plus au lycée comme elle a su le faire en primaire : l’école primaire aime intuitivement la poésie, elle voit le lien immédiat entre l’enfant et le poète, faisant sienne ces mots de Baudelaire dans Écrits sur l’art : « L’enfant (comme le poète) voit tout en nouveauté, il est toujours ivre […] le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté, génie pour lequel aucun aspect de la vie n’est émoussé. »

Pas étonnant que les adolescents cherchent la poésie hors l’école, dans la musique, dans le rap, les textes de Nekfeu, Orelsan, Alpha Wann, Lomepal, PNL et bien d’autres partageant le même goût des mots, le sens du flow et les états d’âme de leur génération. Là encore, l’Éducation nationale s’égare et se ridiculise en proposant de mettre en rap les classiques de la poésie (de Ronsard à Verlaine, sur Lumni, notamment), comme si les élèves avaient besoin de cette condescendance pour apprécier le lyrisme de tous temps, le besoin de liberté et d’amour de toutes les époques, et connaître à leur tour des moments d’état poétique.

Henri Michaux a écrit que la (bonne) poésie donne envie d’en faire plus encore que d’en lire. C’est pourquoi tant de jeunes aiment écrire de la poésie, mus par la nécessité interne de donner une langue à leur intuition de l’inconnu, à leur tentation du vertigineux, leur sens du mystère et leur rage de l’expression. Aucun recueil de poésie n’enrichit d’éditeurs, mais le nombre d’auteurs de poèmes ne cesse d’augmenter : le grand prix Poésie RATP attire plus de 14 000 participants, beaucoup plus populaire que le très officiel grand prix national de la poésie remis par le ministère de la Culture depuis 2012 et qui peine toujours à trouver des lauréats emblématiques.

De leur côté, les sites de poésie attirent de nombreux lecteurs qui sont souvent aussi des auteurs, comme Poetica mundi, Poesie.co, Arbrealettres, Bonjour poesie, Un jour un poème, et à travers ces plateformes, c’est toute une activité non éditoriale, faite d’échanges, de partages, d’universalisme qui constitue au fil des ans des bibliothèques virtuelles de poètes de toutes les époques, de tous les genres et de tous les pays.

Aussi puisque l’Éducation nationale peine à convertir en véritable culture cet étonnant potentiel poétique qui parcourt la jeunesse et au-delà, autant porter ses pas du 18 au 22 juin vers ce Marché de la poésie, place Saint-Sulpice. Et, parce que la poésie ne connaît pas de frontières, se laisse traverser par ces quelques vers de poètes invités d’honneur de cette 42e édition :

« Ils ne t’ont laissé qu’un demi-visage
et t’ont tendu un miroir
pour que tu pleures avec l’œil arraché
sur l’œil restant
pour que tu déplores la lèvre amputée
avec la lèvre existante
Nous qui nous absenterons d’ici peu
nous avons appris de nos prédécesseurs à ne pas laisser de trace
À nos successeurs, nous apprendrons à ne pas venir. » (Raed Wahesh, « Absence »)

« Pour écrire une poésie
Qui ne soit pas politique
 Je dois écouter les oiseaux
Et pour écouter les oiseaux
il faut que le bruit du bombardier cesse. » (Marwan Makhoul, « Vers sans domicile »)

« Jamais baissés
Jamais levés
Toujours figés
Toujours pénétrants
Toujours transparents,
Fixant des confins
Que personne ne voit. »  (Samer Abu Hawwash, « Les yeux de nos enfants dans les décombres »)        

P. C.

Lectures conseillées sur la poésie

  • Charles Baudelaire, Écrits sur l’art, le génie et l’enfance, éd. Pléiade, Œuvres complètes, t. 1.
  • Henri Michaux, Recherche dans la poésie contemporaine, éd. Pléiade, Œuvres complètes, t. 1.

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Pascal Caglar
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